Expulser des demandeurs d’asile au Rwanda est illégal, selon la Cour suprême britannique

La Cour suprême britannique a confirmé mercredi l’illégalité du projet hautement controversé du gouvernement d’expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile arrivés de manière irrégulière sur le sol britannique. Tandis que les associations se sont réjouies de cette « victoire » et ont exprimé leur « immense soulagement », le Premier ministre a immédiatement annoncé l’élaboration d’un « nouveau traité » avec Kigali.

Sérieux revers pour le gouvernement britannique. La Cour suprême, saisie par le Premier ministre Rishi Sunak, a estimé que le projet d’expulser les demandeurs d’asile au Rwanda était illégal.

Les cinq magistrats ont, à l’unanimité, rejeté le recours et confirmé la conclusion de la cour d’appel, du 29 juin dernier, sur l’illégalité de cette mesure phare de la politique de lutte contre l’immigration irrégulière du gouvernement conservateur.

« Cette décision se fonde sur des raisons légales et aucunement politiques », a insisté le président de la Cour suprême Robert Reed.

« Nouveau traité » avec Kigali
Un jugement qui ne décourage par pour autant le pouvoir britannique. Mercredi midi, Londres et Kigali ont réaffirmé, lors d’un entretien téléphonique, leur « ferme engagement à faire fonctionner (leur) partenariat en matière d’immigration et ont convenu de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que cette politique soit solide et légale », a indiqué Downing Street dans un communiqué.

Un peu plus tôt devant les députés, Rishi Sunak avait indiqué que son gouvernement travaillait déjà à un « nouveau traité » avec le Rwanda, qui serait finalisé au vu de ce jugement. « S’il apparaît clairement que nos cadres juridiques nationaux ou nos conventions internationales continuent de nous entraver, je suis prêt à modifier nos lois et à réexaminer ces relations internationales », avait-il déclaré, alors que certains élus de sa majorité réclament un retrait de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Le nouveau ministre de l’Intérieur James Cleverly a précisé que le gouvernement travaillait ces derniers mois à « apporter les certitudes que demande la justice », le tout en conformité avec le droit international, a-t-il assuré.

Annoncé il y a un an et demi, à l’époque sous le gouvernement de Boris Johnson, le projet d’envoyer au Rwanda des migrants arrivés de manière irrégulière au Royaume-Uni – quelle que soit leur origine – n’a jamais été mis en œuvre.

Mi-2022, un premier vol avait été annulé in extremis après une décision de la CEDH. Puis fin juin dernier, la cour d’appel de Londres a jugé le projet « illégal », estimant que le Rwanda ne pouvait en l’état être considéré comme un « pays tiers sûr ». Les juges avaient alors estimé qu’il existe « un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient (ensuite) renvoyées dans leur pays d’origine où elles étaient en proie à des persécutions et autres traitements inhumains ». Un raisonnement validé mercredi par la Cour suprême.

Quelques minutes après le jugement de la plus haute cour de justice britannique, le gouvernement rwandais, via une porte-parole, a dit « contester la décision selon laquelle le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr pour les demandeurs d’asile et les réfugiés ».

« Immense victoire »
Du côté des associations, farouchement opposées à l’accord entre Londres et Kigali, l’heure est au soulagement. « Les juges ont souligné le piètre bilan du Rwanda en matière de droits humains (…) La Cour a également cité les préoccupations concernant les exécutions extrajudiciaires, les décès en détention, les disparitions forcées et la torture » dans le pays, a annoncé Human Rights Watch (HRW), par la voix du directeur de la région Afrique centrale au sein de l’ONG Lewis Mudge.

L’ONG Freedom from torture évoque une « immense victoire pour tous ceux qui défendent un système d’asile plus juste et plus humain ».

Le bureau d’Amnesty international à Londres exhorte le gouvernement « à abandonner la loi sur les migrations illégales et sa politique consistant à refuser de statuer sur les demandes des personnes demandant l’asile au Royaume-Uni ».

Le Refugee council va dans le même sens, et demande aux autorités de « se concentrer sur la création d’un système d’asile fonctionnel, équitable et humain, et sur la mise en place d’itinéraires sûrs » pour les migrants.

Les associations françaises, qui œuvrent dans le nord de la France aux côtés d’exilés cherchant à rejoindre l’Angleterre, ont également réagi à la décision de la Cour suprême. Utopia 56 estime que « face à la haine et l’indécence, la justice a tenu bon ». L’Auberge des migrants se réjouit quant à elle d’une « une victoire pour la raison et la compassion ».

Le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) avait aussi fait part de son inquiétude ces derniers mois.

Intervenant dans la procédure judiciaire, l’agence de l’ONU avait estimé que la Rwanda n’avait pas de « système d’asile accessible, fiable, juste et efficace », et rappelé qu’il a « invariablement exprimé de graves préoccupations » dans ce dossier.

Le HCR, a rappelé mercredi le président de la Cour suprême, que le Rwanda rejetait « 100% des demandes d’asile » de pays en zone de conflit comme la Syrie, le Yémen et l’Afghanistan, « alors même que les autorités britanniques concluent souvent que de telles demandes sont bien fondées ».

Plus de 27 000 arrivées de migrants depuis janvier
Ce projet d’expulsion voulu par les autorités anglaises est emblématique du durcissement de la politique migratoire du gouvernement britannique. Mais d’autres mesures inquiètent aussi les défenseurs des droits.

En juillet, le parlement a voté une loi interdisant aux migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni de demander l’asile, indépendamment des raisons qui les ont poussés à fuir leur pays. Un texte contraire au droit international, selon l’ONU.

De nombreux accords franco-britanniques ont par ailleurs été signés ces dernières années pour freiner les arrivées via d’importants déploiements de moyens techniques (clôtures, drones, caméras…) et humains (multiplication des patrouilles). En mars dernier, une enveloppe de 500 millions d’euros a même été versée par Londres à Paris pour militariser davantage la frontière française, dans la région de Calais et Grande-Synthe notamment.

Mais en dépit de ces mesures, les traversées de la Manche n’ont pas cessé.

Au contraire. Depuis janvier, plus de 27 000 exilés sont parvenus à rejoindre les côtes britanniques. Un chiffre certes en baisse, en comparaison du nombre record enregistré sur l’ensemble de l’année 2022 avec 45 000 arrivées.

Mais loin de la promesse du Premier ministre Rishi Sunak, qui dès son arrivée au pouvoir en octobre 2022, avait déclaré vouloir stopper définitivement les départs de canots depuis la France.

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