Environnement: la Commission européenne renouvelle l’autorisation du glyphosate encore pour dix ans

Encore dix ans de répit pour le glyphosate. La Commission européenne a annoncé ce jeudi qu’elle allait renouveler l’autorisation de cet herbicide controversé jusqu’en décembre 2033. Les États membres de l’Union européenne n’ont de nouveau pas réussi à s’accorder sur cette question.

Le glyphosate est la substance active présente dans plusieurs herbicides. Son caractère dangerereux ou non pour la santé suscite de vifs débats.

À l’appui de sa décision, l’exécutif européen met en avant le rapport d’un régulateur européen estimant que le niveau de risque ne justifie pas d’interdire le glyphosate. L’autorisation actuelle expire le 15 décembre.

Les vingt-sept devaient dégager ce que l’UE appelle une majorité qualifiée, c’est-à-dire 55 % des pays membres qui représentent 65 % de la population de l’Union. Comme lors du premier vote en comité, il y a un mois, aucune majorité n’a pu être atteinte dans un sens ou dans l’autre au sein du Comité permanent pour la chaîne alimentaire et la santé animale, rappelle notre correspondant à Bruxelles, Pierre Benazet.

En conséquence, la règle impose que la Commission prenne une décision et elle a l’obligation de suivre l’avis scientifique, à savoir, en l’occurrence, celui de l’Agence de sécurité alimentaire. Contrairement à l’avis de l’OMS qui a estimé le glyphosate potentiellement cancérogène, l’agence européenne a estimé cette année que le glyphosate ne présentait pas « de domaine de préoccupation critique » sauf dans son usage pour dessécher une culture avant la récolte, ce qui sera désormais banni.

La Commission argue donc qu’elle a pris la décision à laquelle elle était contrainte en réautorisant le glyphosate pour dix ans. Mais certains l’accusent d’avoir en réalité fait un choix, puisqu’elle n’a pas modifié sa proposition après l’échec du premier vote. Or, France, Allemagne et Italie, trois des plus grands pays agricoles, se sont abstenus.

La France pratique le « en même temps »
La France « regrette » que la Commission européenne n’ait pas pris en compte ses propositions visant à restreindre l’usage de cet herbicide controversé, a indiqué le ministère français de l’Agriculture. « La France n’est pas contre le principe du renouvellement de la molécule », écrit le ministère.

La première puissance agricole européenne « veut réduire rapidement son usage et encadrer l’utilisation de la molécule, pour en limiter les impacts, et la remplacer par d’autres solutions chaque fois que c’est possible », ajoute le ministère. Le gouvernement avait donc demandé à la Commission d’encadrer « plus strictement les usages du glyphosate » et suggéré plusieurs propositions.

« La France regrette que cette dernière ne les ait pas retenues », indique encore le ministère.

Selon Benoît Biteau, député européen d’Europe Écologie les Verts, joint par Romain Lemaresquier de la rédaction internationale, il n’appartient pas à la Commission de prendre une telle décision

« C’est une situation qui est quand même un peu paradoxale… La Commission, normalement, n’est pas législateur, c’est le Conseil et le Parlement… Mais on est sur une procédure qui fait que la Commission a la main. Sur la position de la Commission, ils tiennent compte d’un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) mais nous, nous considérons que ce rapport n’est pas exhaustif, que ce rapport ne dit pas exactement l’interprétation qu’a pu en faire la Commission, notamment sur la dangerosité du glyphosate.

Forcément, cela ne nous convient pas !

Moi, ce que je regrette, c’est le manque d’audace, de courage des États membres qui n’ont pas réussi à constituer une majorité suffisante pour repousser le glyphosate. On a des États membres qui, visiblement, sont en train de nous raconter qu’ils sont opposés à une ré-autorisation de dix ans du glyphosate, mais qui, en vérité, ne l’ont pas exprimé dans leurs votes.

Une abstention, ce n’est pas une opposition !

C’est le ‘en même temps ‘ de ce gouvernement. C’est-à-dire qu’ils sont capables de dire qu’ils ne veulent pas du glyphosate pour dix ans, mais on ne sait pas ce que ça veut dire en vérité. Maintenant, on a une petite idée, ça voulait dire qu’ils n’en voulaient pas pour dix ans, mais qu’ils étaient prêts à en remettre sur une autre durée que celle de dix ans… si on n’en voulait pas sur dix ans, il fallait voter contre lors de cette consultation qui a eu lieu aujourd’hui.

Ce n’est pas du tout ce qu’ils ont fait ! La communication est désastreuse : on ne peut pas dire qu’on voulait s’opposer au glyphosate, dire que la Commission tord le bras aux Européens en imposant dix ans de glyphosate et s’être abstenu au moment du vote ! C’est illisible, ce genre de positionnement… »

Rappelons que l’an dernier, en France, les experts du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides ont reconnu un lien de causalité entre les malformations d’un enfant et l’exposition au glyphosate de la mère durant sa grossesse. La famille a été indemnisée et l’a fait savoir en octobre, espérant peser sur les décisions futures de la Commission…

Les pressions du secteur agricole
Pour Martin Dermine, directeur de l’ONG environnementale Pesticide Action Network (PAN) en Europe, cette décision révèle les pressions exercées sur les institutions. « Le glyphosate est l’une des clefs de voûte de l’agriculture intensive et il y a des pressions énormes, tant sur les ministères de l’Agriculture des États membres que sur la Commission européenne.

Il a été démontré qu’une majorité de citoyens européens sont exposés quotidiennement au glyphosate que ce soit dans des zones agricoles ou également par les résidus de pesticides dans les aliments. Et d’autres études ont mis en évidence que l’exposition au glyphosate par les aliments génère une certaine toxicité qui peut entraîner éventuellement des cancers.

Pour l’environnement, il y a des centaines d’études qui mettent en évidence la toxicité des herbicides à base de glyphosate sur l’environnement, notamment les environnements aquatiques. Donc la décision de la Commission [européenne] aujourd’hui est scandaleuse. Clairement, son seul but est de favoriser et de maintenir une agriculture industrielle, toxique pour les citoyens et l’environnement.»

rfi

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