Sur fond d’inflation galopante, les Argentins vont devoir choisir entre la continuité proposée par l’actuel ministre de l’Économie et la rupture totale voulue par le candidat « anarcho-capitaliste ».
Rupture ou continuité ? Centre gauche ou « anarcho-capitalisme » ? Après quatre semaines d’entre-deux-tours, près de 36 millions d’Argentins sont appelés aux urnes ce dimanche 19 novembre pour choisir qui de Sergio Massa ou de Javier Milei sera le prochain président du pays.
Un choix lourd de conséquences qui va se faire dans un contexte particulièrement tendu, notamment sur le plan économique.
Mi-novembre, l’Institut national de la statistique a ainsi annoncé que sur un an, l’inflation s’établissait à près de 143 %, continuant ainsi de galoper et de plomber la troisième économie d’Amérique latine. Surtout, dans un pays qui a connu des heures terribles en matière économique et qui voit la hausse des prix retrouver des niveaux jamais atteints depuis trois décennies, le sujet s’est imposé dans tous les débats politiques.
Et pour cause : Sergio Massa, le candidat républicain de centre gauche qui est arrivé en tête au premier tour avec 36,68 % des voix et six points d’avance sur son concurrent n’est autre que le ministre de l’Économie en poste.
De quoi ouvrir une brèche béante pour son rival, le libertarien Javier Milei, qui promet des coupes drastiques dans la dépense publique, des baisses d’impôts immenses, le choix du dollar américain comme monnaie nationale et des privatisations à tout-va, y compris pour l’école ou l’hôpital. En bref, un libéralisme total, allant jusqu’à la vente d’organes, « un marché comme un autre ».
Négationnisme et conservatisme
Un discours qui s’accompagne d’un populisme décomplexé et d’un négationnisme des crimes de la dictature argentine (1976-1983), notamment par la voix de Victoria Villarruel, l’avocate qui partage le « ticket » présidentiel de Javier Milei. Ce couple présidentiable, qui domine pour l’instant d’un souffle les sondages de l’entre-deux-tours (c’était déjà le cas avant le premier tour, à tort), a en effet adopté une rhétorique et une posture rappelant volontairement l’Américain Donald Trump.
Minimisation du nombre de victimes du régime du général Videla (les tristement célèbres « desaparecidos », ou disparus en français), lutte pour freiner voire empêcher la tenue de procès pour crimes contre l’Humanité, transformation sémantique du camp démocrate en « guérillas d’extrême gauche »… Tous leurs discours visent à réécrire l’Histoire récente de l’Argentine et à diaboliser les dépositaires actuels de la démocratie.
D’autant que ce positionnement radical sur des questions propres au pays s’accompagne d’une idéologie que l’on retrouve partout dans le monde chez les nouveaux mouvements d’extrême droite. Opposition au féminisme et à l’avortement, xénophobie, discours ultra-sécuritaire, défense du port des armes, toutes les cases sont cochées.
Sergio Massa tente de rester droit dans ses bottes
Et face à un Sergio Massa qui joue la carte de l’optimisme en voulant croire que le plus dur de la crise économique est passé, le ton monte forcément. Façonné par des sorties outrancières sur les plateaux de télévision et adepte des saillies fleuries contre le « système » et la « caste parasite », Javier Milei ne lésine pas sur les jurons ou les déclarations de guerre à l’État argentin qu’incarne son rival.
Massa, lui, reste dans le sillon creusé par les « Péronistes » et les « Kirchnéristes » qui ont succédé à la dictature. Il maintient que l’État doit subventionner des secteurs comme l’énergie et les transports pour éviter que les prix s’envolent, tout en tentant d’apparaître comme un candidat neuf pour rompre avec le gouvernement auquel il appartient.
Dans la droite lignée de l’histoire de son camp politique, il joue aussi la carte du rassembleur, martèle la nécessité d’union nationale. Et il se défend plutôt bien, si l’on se fie au débat du 12 novembre dont il est sorti grand vainqueur aux yeux de la presse locale, comme le rapportaient nos confrères de Courrier international.
Et ce au terme d’une passe d’armes particulièrement discourtoise, un euphémisme.
Il n’en reste pas moins qu’en l’absence de front républicain, en autre, les sondages continuent de donner une légère avance, qui se creusait même à l’approche du second tour, à Javier Milei. Raison pour laquelle le camp démocrate tente à tout prix de mobiliser dans la dernière ligne droite.
À l’image d’une vidéo devenue virale ces derniers jours et dans laquelle on voit Ricardo Gené, un médecin presque octogénaire interpeller sa rame de métro à Buenos Aires pour vanter les mérites de l’enseignement et de l’hôpital public, menacés de mort par Javier Milei.
Le symbole d’une Argentine qui se retrouve à la croisée des chemins, tiraillée entre le choix de faire confiance à un système en place depuis 40 ans ou de céder à une forme de dégagisme populiste.
Quoi qu’il en soit, la seule présence de Javier Milei au second tour fait planer une menace certaine au-dessus du pays : à l’image de son idole américaine Donald Trump, il a d’ores et déjà prévenu qu’il contesterait le résultat du scrutin s’il venait à être battu.
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