Alors que la demande mondiale de lithium devrait se multiplier par six d’ici 2035, l’exploitation de ce minerai critique en Afrique risque de profiter essentiellement à des compagnies minières étrangères et à des élites locales corrompues.
L’exploitation du lithium en Afrique alimente la corruption, ne profite pas aux économies des pays producteurs et cause de graves torts aux communautés locales, selon un rapport publié 14 novembre par Global Witness, une ONG spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique qui l’accompagne.
Intitulé « A rush for Lithium in Africa risks fuelling corruption and failing citizens », ce rapport se base sur des enquêtes menées par Global Witness dans trois mines de lithium au Zimbabwe, en Namibie et en République démocratique du Congo.
Les creuseurs exploités
Au Zimbabwe, quelque 5000 mineurs artisanaux se sont rués vers la mine de Sandawana, un ancien gisement d’émeraudes désaffecté où d’importantes quantités de lithium ont été découvertes, pour extraire « l’or blanc » et le vendre à des négociants sud-africains.
Une partie de ces creuseurs, qui travaillaient dans des conditions dangereuses, ont perdu leur gagne-pain après l’octroi de la concession minière de Sandawana à la Fédération des mineurs du Zimbabwe (ZMF).
Dans le cadre des nouvelles dispositions, seuls les mineurs artisanaux qui paient pour adhérer à la ZMF étaient autorisés à extraire du minerai à Sandawana, et le lithium être obligatoirement vendu à cet organisme destiné à mettre de l’ordre dans le secteur exploitation minière artisanale et à petite échelle.
Des creuseurs ont déclaré aux médias que le prix qu’ils obtiennent pour le minerai a chuté de 75 %.
L’implication de la ZMF dans l’exploitation de la mine n’a pas cependant amélioré les conditions de vie des mineurs artisanaux à Sandawana.
Des creuseurs ont déclaré aux médias que le prix qu’ils obtiennent pour le minerai a chuté de 75 % alors que les conditions de sécurité ne se sont pas améliorées sur le site, où une dizaine de creuseurs ont été ensevelis suite à l’effondrement d’une partie de la mine.
Début 2023, des ONG locales ont fait état d’expulsions massives de creuseurs et de confiscation de leurs minerais après le rachat de la mine par des entreprises ayant des liens étroits avec le parti au pouvoir au Zimbabwe, le ZANU-PF, et l’armée, dont des sociétés qui font l’objet de sanctions de la part des États-Unis ou de l’Union européenne.
Grâce à leurs connexions politiques, les nouveaux propriétaires de la mine ont « continué à expédier des milliers de tonnes de minerais vers l’étranger » malgré l’interdiction officielle des exportations de lithium brut.
Commission anti-corruption
Le rapport révèle d’autre part que la société minière chinoise Xinfeng Investments a été accusée d’avoir versé des pots-de-vin pour acquérir la mine de lithium située près de la ville d’’Uis, en Namibie.
Des journalistes d’investigation travaillant pour le journal local The Namibian ont rapporté que Xinfeng avait obtenu la concession minière d’Uis par le biais d’un accord suspect apparemment négocié par un conseiller technique du ministre namibien des Mines.
Dans le cadre de cet accord, le conseiller du gouvernement, Ralph Muyamba, est accusé d’avoir transféré frauduleusement la propriété de la mine à une entreprise détenue par son cousin, qui l’a revendue à Xinfeng pour 2,6 millions de dollars américains.
À la suite de ces révélations, M. Muyamba a démissionné de son poste et l’affaire a été transférée à la commission anti-corruption namibienne.
Alors que sa licence de prospection ne permettait pas l’exploitation minière à grande échelle, Xinfeng Investments aurait également profité d’une faille dans la législation namibienne pour développer une mine industrielle en utilisant des permis destinés aux petits exploitants miniers locaux, selon l’enquête menée par Global Wintess.
Les communautés locales et des parlementaires namibiens ont par ailleurs accusé la compagnie chinoise de loger les travailleurs dans des « conditions d’apartheid », et de détruire la faune et la flore qui générèrent des revenus liés à l’activité touristique dans la région.
Sociétés-écrans
En République démocratiques du Congo, les efforts visant à développer l’important gisement de lithium Manono-Kitotolo se heurtent encore à un conflit portant sur la propriété la licence minière entre AVZ Minerals, une junior minière cotée en Australie, et le conglomérat chinois Zijin Mining.
Une enquête menée en 2022 par l’Inspection générale des finances (IGF), l’organisme congolais de lutte contre la corruption, a révélé que Zijin Mining a acquis 30% des parts dans le projet Manono-Kitotolo auprès de la société minière publique La Cominière à « un prix nettement inférieur à sa vraie valeur ».
L’enquête a également conclu que la compagnie chinoise aurait versé 1,6 million de dollars à un cabinet de conseil local baptisé Focus Plaidoirie à titre de « commission » dans le cadre de la transaction, tout en précisant que ce cabinet appartiendrait à Lisette Kabanga, une ancienne secrétaire adjointe chargée des relations extérieures du parti politique du président Félix Tshisekedi.
Les investigations ont aussi révélé que les transactions complexes par lesquelles AVZ Minerals a acquis une part majoritaire dans le projet minier auraient rapporté plus de 20 millions de dollars à Dathomir Mining Resources, une société-écran détenue par des hommes d’affaires congolais dont certains sont impliqués dans de précédents scandales de corruption sous le règne de l’ex-président Joseph Kabila.
Cette société-écran avait pris le contrôle de la mine de lithium Manono-Kitotolo en 2016, en signant un contrat avec La Cominière en vertu duquel elle acceptait d’effectuer un paiement de 6 millions de dollars à la société minière d’État en plusieurs versements. Mais avant de devoir effectuer ce paiement, Dathomir Mining Resources a vendu sa participation à AVZ Minerals pour plus de 28 millions de dollars.
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