Gazaouis de Turquie : « Nous n’avons plus de papiers ici, et nous ne pouvons pas rentrer à Gaza, où irons-nous ? »

À quelques heures du débat parlementaire sur « la stratégie de la France en Afrique et au Sahel », prévu ce 21 novembre, une quarantaine d’organisations et de personnalités*, dont Sylvie Bukhari-de Pontual, appellent à un profond repositionnement de Paris avec, notamment, la coconstruction d’un livre blanc.

Après un été marqué par l’escalade des tensions entre la France et le Niger suite au coup d’État du 26 juillet à Niamey, le président de la République annonçait en septembre l’organisation à l’automne d’un débat parlementaire sur « la stratégie de la France en Afrique et au Sahel ».

Une décision à saluer et qui est désormais prévue le 21 novembre prochain. Loin d’être une fin en soi, ce débat doit marquer un nouveau départ dans les relations franco-africaines, à condition que nous soyons en mesure de tirer les leçons de nos actions passées et de nous projeter avec de nouvelles ambitions et une approche radicalement différente.

Relation déséquilibrée
À bien des égards, la région du Sahel cristallise nombre des défis auxquels la France est confrontée aujourd’hui dans sa relation avec le continent africain, et plus particulièrement avec les pays qui ont connu la colonisation française. Le rejet qui s’exprime, non pas de la France et des Français.es mais bien de la politique menée par notre pays, est le résultat avant tout d’une relation qui depuis des décennies est ressentie comme déséquilibrée, teintée de paternalisme, d’incompréhensions et souvent de contradictions.

Une relation qui n’a pas vraiment su soigner les stigmates de la colonisation.

C’est aussi, au Sahel, la conséquence d’une politique française marquée par un grand déficit démocratique (rappelons une fois de plus que l’opération Barkhane n’a jamais fait l’objet d’un vote du Parlement français), dominée par une dimension militaire et sécuritaire, et largement sourde aux aspirations populaires et aux interpellations des sociétés civiles.

En 2021, plusieurs d’entre nous alertions déjà dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde sur « l’inadaptation des stratégies et le besoin d’une réorientation pour s’attaquer aux causes profondes des conflits ». Mais nous avons été bien peu écoutés par les pouvoirs publics français, peu soucieux de redevabilité et souvent aveugles face aux évolutions profondes qui se jouent sur toute une partie du continent. La suite de l’histoire est désormais connue.

Prendre de la hauteur
L’été 2023 représentera probablement un moment de bascule dans les relations de la France avec une partie de l’Afrique. Face à ce que beaucoup estiment être une nouvelle vague d’émancipation, il est nécessaire de prendre de la hauteur, d’adopter une posture d’humilité et d’écoute réciproque, et analyser de façon honnête et objective les dynamiques à l’œuvre.

Il s’agit désormais de normaliser nos relations et d’arrêter de nous projeter dans un prétendu exceptionnalisme français vis-à-vis d’un continent qui évolue bien plus vite que nos conceptions souvent datées et stéréotypées.

Nous appelons à la désescalade et à arrêter de faire payer aux populations le prix des tensions actuelles.

Et pourtant, plus que n’importe quel autre continent, nous sommes riches de nos relations avec les sociétés africaines. De puissants liens humains, culturels et de solidarité existent entre nos peuples que nous devons renforcer et préserver des brouilles diplomatiques entre États.

La politique de la terre brûlée adoptée par le gouvernement ces dernières semaines en compromettant nos coopérations culturelle, universitaire et de solidarité nous inquiète au plus haut point.

Elle ignore, en outre, les liens essentiels tissés par les diasporas. Des décisions déplorables pour les enjeux de développement et envers les sociétés civiles locales qui sont des voix critiques nécessaires au sein des sociétés sahéliennes et dont la prise en compte doit être encouragée pour reconstruire des contrats sociaux en crise au Sahel. Nous appelons à la désescalade et à arrêter de faire payer aux populations le prix des tensions actuelles.

Nous attendons donc que ce débat parlementaire soit le point de départ d’une nouvelle histoire, la première étape d’un processus démocratique, consultatif et transparent pour repenser en profondeur l’avenir de nos relations avec les pays africains. Nous ne voulons pas d’un débat qui n’engagerait aucun changement.

Soyons audacieux !
Nous demandons aujourd’hui au gouvernement et au Parlement de s’engager dans un chantier de refondation avec pour objectif la coconstruction d’un véritable livre blanc faisant état d’une nouvelle politique française vis-à-vis de l’Afrique.

La première étape implique que le futur débat parlementaire fasse l’objet d’un vote dont l’objet serait la mise en œuvre d’un processus consultatif à travers l’installation d’un « comité du livre blanc » que nous appelons de nos vœux.

Cela serait le gage d’un engagement fort pour enclencher une transformation en profondeur de la politique française sur le continent et à mettre cette discussion le plus rapidement possible à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Soyons audacieux ! C’est l’occasion de démocratiser notre politique étrangère et de l’adapter pleinement aux évolutions de notre monde. Ce comité dont la composition doit se faire avec nos diplomates, nos parlementaires et des personnes qualifiées venus d’horizons divers devra avoir l’ambition de s’inscrire dans une démarche réellement participative et consultative pour nourrir des réflexions collectives.

Concrètement, cela veut dire prendre le temps d’auditionner et d’écouter les acteurs actifs dans les coopérations et les échanges avec les pays africains, notamment les collectivités territoriales et les sociétés civiles : diasporas, universitaires, ONG, journalistes, acteurs de la culture, etc.

Mais aussi, les sociétés civiles africaines elles-mêmes, y compris celles critiques de notre politique. Le président de la République a eu l’audace en 2021, lors du sommet Afrique-France de Montpellier, de mettre les sociétés civiles au cœur de ces échanges. Poursuivons, amplifions et faisons-en un élément majeur de refondation de notre politique.

Les travaux de ce comité devront s’articuler autour de deux temps : d’abord mener un bilan honnête et courageux sur la manière dont nous avons organisé nos relations avec l’Afrique ces dernières décennies, en sachant admettre nos erreurs quand elles existent tout en regardant les réalités continentales comme elles sont et non plus comment nous voulons les voir.

Ensuite, définir les nouvelles orientations de la relation que nous voulons entretenir avec le continent – y compris dans le cadre européen – de façon apaisée, respectueuse et équilibrée, assainissant les blessures de notre passé colonial et post-colonial tout en nous projetant ensemble face aux défis collectifs de notre temps. N’attendons pas qu’il soit trop tard pour tout repenser.

*Liste compète des signataires de la tribune : Agnès Rossetti, présidente Initiative Développement – Alexandre Morel, co-directeur général CARE France – André Bourgeot, chercheur, directeur de recherche émérite (CNRS) – Beatriz de León Cobo, chercheur, coordinatrice du groupe d’experts du Forum de dialogue Sahel-Europe à l’université Francisco de Vitoria – Binta Sidibe-Gascon, vice-présidente, Observatoire Kisal – Céline Méresse, présidente CRID – Demba Diabira, président Haut-Conseil des Maliens de France – Emmanuel Charles, co-président Ritimo – Emmanuela Croce, co-directrice générale CARE France – Emmanuelle Olivier, ethnomusicologue, CNRS – Frédéric Apollin, directeur, Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) – Géraud Magrin, chercheur, professeur de géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Gilles Holder, chercheur (CNRS-IRD, IMAF, France), anthropologue CNRS – Hervé Depardieu, porte-parole, Collectif citoyen pour la fraternité Europe-Mali – Hélène N’Diaye, porte-parole, Collectif citoyen pour la fraternité Europe-Mali – Isabelle Droy, présidente Iram – Jean-Claude Félix Tchicaya, chercheur – Jean-Hervé Jezequel, historien spécialiste de l’Afrique de l’Ouest – Jean-Marc Pradelle, président GRDR – Jean-Michel Sourisseau, chercheur, Cirad – Jean-Pierre Olivier de Sardan, chercheur, directeur de recherche émérite au CNRS (France) et à Lasdel (Niger) – Joaquim Nogueira, directeur ECPAT France – Laurence Tommasino, déléguée générale, Groupe énergies renouvelables environnement et solidarité (Geres) – Luc de Ronne, président Action Aid France-Peuples Solidaires – Mackendie Toupuissant, président Forim-Réseau des diasporas solidaires – Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur, directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement – Marie-Noëlle Reboulet, présidente, Groupe Initiatives – Marielle Debos, maîtresse de conférence, Université Paris Nanterre – Mathieu Pourchier, directeur exécutif Tournons La Page – Moriké Dembélé, directeur de publication, Université des lettres et sciences humaines de Bamako – Olivier Bruyeron, président, Coordination Sud – Olivier Moles, chargé des programmes Habitat, CRAterre – Philippe Morié, délégué général, Agir ensemble pour les droits humains – Rémi Carayol, journaliste, Afrique XXI – Richard Banegas, chercheur, professeur de science politique à Sciences Po, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et des Grands Lacs – Roland Marchal, chercheur, CNRS – Serge Michailof, chercheur associé à l’IRIS, Senior Fellow FERDI – Serge Perrin, Mouvement pour une alternative non-violente (MAN) – Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur en analyse des conflits internationaux à la Brussels School of International Studies.

jeuneafrique

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