Gazaouis de Turquie : « Nous n’avons plus de papiers ici, et nous ne pouvons pas rentrer à Gaza, où irons-nous ? »

« J’ai quitté Gaza il y a environ deux mois. Et je suis parti en Turquie à la recherche d’une vie meilleure, je pensais soit à m’installer dans le pays, soit tenter ma chance vers la Grèce. Mais maintenant je suis coincé à Istanbul. Je ne peux pas retourner à Gaza à cause de la guerre, et je ne peux pas obtenir un permis de séjour en Turquie », a confié à InfoMigrants Khaled* d’une voix tremblante. « Toutes mes tentatives pour rejoindre la Grèce ont échoué. Où vais-je aller ?

Quel sera mon sort après la fin de cette guerre ? »

Un soldat israélien patrouille dans un quartier de Gaza, détruit par les bombardements israéliens, en novembre 2023. Crédit : Reuters
Un soldat israélien patrouille dans un quartier de Gaza, détruit par les bombardements israéliens, en novembre 2023. Crédit : Reuters

 

Khaled a 33 ans. Ce Gazaoui, diplômé en électronique et programmation informatique, n’a jamais trouvé d’emploi dans la bande de Gaza, où le taux de chômage atteint 74% parmi les diplômés, selon les données du Bureau central palestinien des statistiques pour l’année 2022.

« Je n’ai pas connu de journée normale depuis 17 ans à cause du siège imposé à Gaza », explique-t-il. « À Gaza, il n’y a pas d’électricité, pas d’eau potable, pas de liberté de mouvement et pas d’avenir ».

Il y a deux mois, donc, le jeune homme décide de fuir l’enclave appauvrie et de tenter sa chance ailleurs, en Turquie, l’un des rares pays à accorder aux Palestiniens des visas touristiques, qu’ils peuvent ensuite convertir en permis de séjour touristique renouvelable.

Durcissement de la législation turque

Depuis son arrivée en septembre, Khaled a déjà tenté à deux reprises de prendre la mer vers les îles grecques de la mer Égée. Par deux fois, les garde-côtes turcs ont intercepté son canot et l’ont renvoyé en Turquie.

Le jeune homme dit ne pas avoir d’autres choix : impossible pour lui de rentrer à Gaza, sous les bombes, impossible aussi de rester en Turquie.

Depuis le conflit à Gaza, Istanbul a durci les conditions d’obtention de permis de séjour. Les autorités ne délivrent plus de permis touristiques aux nouveaux arrivants. Elles ont aussi réduit la durée des titres de séjour : il est désormais renouvelé pour un maximum de six mois ou un an, contre deux ans auparavant.

Ces permis permettent aux Palestiniens de résider en Turquie, mais pas de travailler ou de posséder des biens, ce qui oblige nombre d’entre eux à exercer des emplois illégalement.

Les renouvellements de permis nécessitent désormais de présenter de nouveaux documents : une quittance de loyer ou une souscription à une assurance logement.

De nombreux Gazaouis contactés par la rédaction ont déclaré qu’ils n’avaient pas d’autres choix que de falsifier leurs documents pour renouveler leur permis de résidence.

Seuls les étrangers et les binationaux peuvent quitter Gaza, via le poste-frontière de Rafah, à la frontière égyptienne. Crédit : Reuters
Seuls les étrangers et les binationaux peuvent quitter Gaza, via le poste-frontière de Rafah, à la frontière égyptienne. Crédit : Reuters

 

Khaled, comme de nombreux « Gazaouis de Turquie », s’est donc retrouvé dans l’impasse. Pour Abdullah aussi, l’angoisse est permanente. Le jeune homme de 26 ans, arrivé en Turquie en 2017, qui a obtenu un titre de séjour touristique puis étudiant, ne parvient pas à renouveler ses papiers.

« J’ai attendu des heures entières dans les files d’attente [des bureaux spéciaux pour les étrangers, ndlr]. Mais il y a trop peu d’employés. Tout cela est cruel. Nous voulons juste vivre légalement et nous intégrer dans le pays.

Tous les Palestiniens que je connais en Turquie sont dans la même impasse que moi », raconte-t-il.

« Ma sœur, par exemple, vit ici avec sa famille depuis plus de cinq ans. Ses enfants ne parlent que le turc, ils ont fréquenté des écoles turques et se sont pleinement intégrés. Pourtant, elle n’arrive pas à renouveler son titre de séjour, les autorités ont refusé sa demande de permis de séjour humanitaire. Ses enfants ne peuvent plus aller à l’école. Nous n’avons aucune idée de quoi sera fait notre avenir. »

« Le racisme et le coût élevé de la vie »

Souad* partage les mêmes peurs. En Turquie depuis six ans, cette retraitée a quitté la bande de Gaza après y avoir enseigné toute sa vie. « Ma pension de retraite me permet de vivre à Istanbul de manière stable. Mais la vie est devenue très compliquée ces deux dernières années à cause du racisme et du coût élevé de la vie », détaille-t-elle.

« Je me suis toujours dit que je rentrerais à Gaza un jour parce que j’ai une maison là-bas, mais avec la guerre, j’ai tout perdu. Et quand bien même, qu’y ferais-je sans infrastructures de santé, sans services de soins ? En raison de mon âge avancé, je ne pourrai plus y retourner… Où vais-je aller maintenant ? Vais-je devoir à nouveau expérimenter la fuite, le déplacement forcé ?

Et si partais, quel pays acceptera de m’accueillir ? », s’interroge Souad.

Des Gazaouis aident des personnes blessées à l'hôpital Nasser, à Khan Younis, en novembre 2023. Crédit : Reuters
Des Gazaouis aident des personnes blessées à l’hôpital Nasser, à Khan Younis, en novembre 2023. Crédit : Reuters

 

Le conflit entre Israël et le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, a été déclenchée par l’attaque sanglante du mouvement islamiste palestinien le 7 octobre sur le sol israélien. En représailles, Israël a juré d' »anéantir » le Hamas, pilonnant sans relâche le territoire assiégé où s’entassent 2,4 millions de Palestiniens.

La totalité de la population a été sommée de quitter le nord de la bande de Gaza, détruit par les bombardements israéliens.

Selon le dernier bilan du gouvernement du Hamas, 13 000 personnes ont été tuées dans les bombardements sur la bande de Gaza depuis le début de la guerre, incluant plus de 5 500 enfants et 3 500 femmes. Côté israélien, l’attaque du Hamas a fait 1 200 morts, majoritairement des civils tués le 7 octobre, selon les autorités.

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