Les chaînes de télé traitent plus du réchauffement climatique, mais cela reste « insuffisant »

Il était temps. En 1990, le premier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) faisait état du réchauffement de la planète, l’influence des activités humaines sur le climat était alors suspectée. Un fait confirmé trente ans plus tard. Pourtant, ce n’est que récemment que les grandes chaînes de télé ont paru s’emparer un peu plus du réchauffement climatique pour l’intégrer dans leur ligne éditoriale, avec l’apparition de nouveaux formats.

Le Giec rappelle souvent dans ses rapports la nécessité de transmettre les informations sur les enjeux climatiques et « le rôle crucial » que peuvent jouer les médias, c’est aussi ce que réclament des associations. Les JT ont une responsabilité ici : ils ont réuni en moyenne en 2022 entre 4,5 et 5,2 millions de téléspectateurs pour France 2 et TF1 et quelque 2,4 millions chacun pour M6 et France 3 en 2022, selon Médiamétrie.

Depuis quelques mois, Claire Morvan, présidente de Plus de climat dans les médias voit « du mieux » dans les journaux télévisés. Mais « on compte insuffisamment d’ordre de grandeur, de chiffres qui permettent de contextualiser, insuffisamment de références au dérèglement climatique, à ses causes, c’est-à-dire aux activités humaines émettrices de gaz à effet de serre », relève-t-elle, comme pour la faible couverture de la synthèse des rapports du Giec en mars. Alors que la COP28 s’ouvre à Dubaï le 30 novembre, on se penche sur l’évolution du traitement du climat sur TF1, France 2 et M6.

  • L’électrochoc de l’été 2022

Avec son record de jours de vagues de chaleur et les images des incendies en Gironde, l’été 2022 a frappé les Français, mais aussi les rédactions. Pour Thierry Thuillier, directeur général adjoint de l’information du groupe TF1, si la thématique était traitée, « les conséquences éditoriales n’avaient pas été tirées au sens où il fallait leur donner un impact. On diffusait des sujets dans les journaux, mais sans vraiment leur donner un sens pédagogique. Et c’est ça qu’on a voulu changer en septembre 2022 », explique-t-il en faisant le bilan de la première feuille de route climat, le 16 novembre.

Côté France 2, un plan d’action climat est aussi en place depuis septembre 2022. « Cet été 2022 a été très édifiant et nous nous sommes dit qu’il fallait donner un coup d’accélérateur à cette volonté de traiter du réchauffement climatique », affirme Virginie Fichet, directrice adjointe de la rédaction en charge du climat chez France Télévisions.

  • Des nouveaux formats pour parler sciences du climat

Dans les rédactions, cela est aussi passé par la formation des journalistes et le renforcement des équipes. Pour le groupe TF1, l’adaptation au changement climatique doit être abordée de façon « positive », « en accompagnant les Français », « sans les culpabiliser », plaide Thierry Thuillier. TF1 a développé depuis un peu plus d’un an une nouvelle « signature » dans ses JT, Notre planète, qui regroupe ses reportages climat, et un format, Terre augmentée, pour se projeter en 2030 ou expliquer comment le réchauffement climatique dérègle le cycle de l’eau par exemple. Le comité d’experts scientifiques, créé l’année dernière, vient d’être renforcé et doit être davantage sollicité.

Depuis mars, sur France 2 et France 3, le traditionnel bulletin météo est devenu le « Journal météo climat », un format salué par le public et les climatologues.

Il décrypte les événements météo en s’appuyant sur les sciences du climat, une séquence permettant à un scientifique de répondre directement aux questions des téléspectateurs. « On est là pour donner des clés de compréhension sur le réchauffement climatique, souligne Virginie Fichet, pas pour donner des leçons.

Les gens ont besoin de comprendre les choses et que ce soit ancré dans leur quotidien. »

Le "Journal météo climat" a été lancé en mars 2023 sur France 2 et France 3.

En mai, M6 s’est engagée, comme TF1, auprès du gendarme de l’audiovisuel français, l’Arcom. La couverture des enjeux climatiques s’est « accentuée », selon son directeur de l’information, Stéphane Gendarme, grâce à la rubrique Planète responsable et un sujet par jour minimum dans le 1245 ou le 1945, « avec une vraie référence à l’écologie ».

A la rentrée, la chaîne a lancé sa « Météo instructive » pour décoder les évolutions du climat, présentée par Mac Lesggy. Un choix qui a fait grincer des dents en raison des publications climatorassuristes de l’animateur sur les réseaux sociaux. L’été dernier, la climatologue Valérie Masson-Delmotte avait recadré ses propos « en décalage avec l’état des connaissances ».

Stéphane Gendarme le défend en expliquant que Mac Lessgy travaille avec la rédaction et qu’il apporte « sa caution scientifique et son côté très didactique dans le point climat ».

  • Des « tâtonnements » et des « dissonances cognitives »

Tout va bien alors ? Non, répond l’association Plus de climat dans les médias, qui va sortir un bilan de la couverture climatique des événements extrêmes entre juin et septembre 2023 sur TF1 et France 2. « Et 327 reportages plus tard, l’été 2023 n’aura pas été le tournant médiatique tant attendu et annoncé », relève Claire Morvan.

Pour l’association, les reportages exclusivement factuels, sur les sinistrés ou les « sauveurs » comme les pompiers prennent une place trop importante quand l’impact des activités humaines et la capacité d’agir pour limiter le réchauffement sont insuffisamment mis en avant. « Ce qui manque dans les JT, c’est de donner la capacité aux gens d’agir, de faire la différence », regrette-t-elle.

L’association critique aussi le manque d’approfondissement des sujets, comme sur le reportage « à charge et sans preuve » sur les militants écologistes, diffusé le 21 novembre sur France 2.

Ou en octobre sur la contestation du projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, suivi sous l’angle opposition entre forces de l’ordre et militants. D’autres pistes auraient pu être explorées, estime-t-elle : questionner la cohérence entre les politiques publiques et la décarbonation ou donner la parole à des scientifiques, opposés au projet. Interrogée sur l’A69 le 14 novembre, Virginie Fichet indique « pouvoir entendre » ces critiques, mais rappelle que dans un JT, il faut aller à l’essentiel.

 

Plus de climat dans les médias constate aussi « des tâtonnements » sur TF1, citant un plateau sur un projet de capture du CO2 pour le piéger dans les fonds marins, présenté sans ordre de grandeur en janvier 2023.
« Pour nous, ce genre de reportages soutient des discours dénialistes et rassuristes qui disent qu’il n’y aura rien à changer dans nos vies, pointe Claire Morvan. Alors que, sur France 2, un reportage sur le même sujet expliquait que la technologie de captage était encore peu performante. »

Elle note encore « des dissonances cognitives ». Un exemple ? Dans le 20 heures de TF1 du 13 novembre, un reportage explique clairement l’influence du réchauffement climatique sur le courant jet-stream et son impact sur les crues dans le Nord. Puis, dans la foulée, Gilles Bouleau se réjouit d’une « bonne nouvelle », en lançant un sujet sur la baisse des prix des carburants.

« D’un côté est expliqué que le changement climatique va rendre nos vies beaucoup plus compliqué, analyse-t-elle. Et, de l’autre, il y a la promotion d’un mode de vie non durable. » « Ce sont les contradictions de la société française, défend Thierry Thuillier. Notre rôle, c’est de raconter cela, on ne va pas juger. »

Malgré quelques « bons formats pédagogiques », l’association avait regretté un manque d’information concernant les négociations de la COP27 il y a un an sur les trois chaînes. Une position encore défendue par TF1 pour celle de Dubaï : « On ne va pas raconter les bisbilles internes au jour le jour, ça n’aide d’aucune manière le public à être informé et mobilisé », estime Thierry Thuillier.

M6 et France 2 prévoient d’illustrer les enjeux dans leur JT. Sur TF1, vingt minutes cumulées d’antenne seront consacrées à la COP, avec un nouvel épisode en réalité augmentée revenant au XIXe siècle, au début de l’ère industrielle. De quoi permettre de faire le lien entre les activités humaines, les émissions de CO2 et le dérèglement climatique.

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