Dans le sillage de #MeToo, l’Adult Survivors Act – loi qui a pris fin jeudi – a permis à plusieurs milliers de victimes d’agression sexuelle de l’État de New York de pouvoir déposer plainte en abolissant tout délai de prescription pendant un an. Parmi elles, des femmes victimes de célébrités mais aussi d’anciennes détenues dénonçant des abus sexuels commis en prison. Au vu de ses résultats, des associations réclament la pérennisation de ce dispositif.
Aux États-Unis, une loi spéciale de l’État de New York a ouvert la voie à une vague de procès pour agression sexuelle. En un an, pas moins de 2 500 procédures ont été engagées grâce à l’Adult Survivors Act, une législation temporaire qui a permis pendant un an, jusqu’à jeudi 23 novembre, aux victimes de violences sexuelles de porter plainte au civil pour des faits criminels ou délictuels prescrits.
Certaines de ces actions en justice ont été largement médiatisées, mettant sous le feu des projecteurs des personnalités américaines comme le rappeur Puff Daddy, l’acteur Jamie Foxx, le chanteur des Guns N’ Roses Axl Rose ou encore le maire de New York, Eric Adams.
L’une des premières plaintes déposées grâce à l’Adult Survivors Act a visé Donald Trump. En mai 2023, un jury l’a jugé responsable d’avoir abusé sexuellement de l’écrivaine E. Jean Carroll 27 ans plus tôt, en 1996, dans une cabine d’essayage. L’ex-président américain, qui a nié ces allégations, a été condamné à verser cinq millions de dollars de dommages et intérêts à la plaignante. Jusqu’alors, cette ancienne journaliste du magazine Elle n’avait pas pu déposer plainte, le délai de prescription étant passé.
Celui-ci varie en fonction du crime sexuel et peut aller jusqu’à 20 ans.
Le décompte précis des dépôts de plainte dans le cadre de l’Adult Survivors Act n’est pas disponible dans l’immédiat, mais il y a eu au moins 2 587 dépôts électroniques dans les tribunaux de l’État de New York, certaines actions ayant été intentées au nom de plusieurs personnes d’après l’agence AP.
Problème « généralisé et systémique » dans les prisons
Si les plaintes les plus médiatiques consécutives à l’Adult Survivors Act ont ciblé des célébrités, d’autres concernent des employeurs ou des structures hospitalières, accusées de ne pas avoir fait assez pour mettre fin aux abus sexuels commis par des salariés, notamment des médecins. Toutefois, la grande majorité des procédures ont été intentées contre l’État, ses comtés et la ville de New York.
En cause, des accusations de violences sexuelles dans les prisons de l’État et les établissements pénitentiaires locaux. Plus de la moitié des plaintes ont été déposées par des femmes affirmant avoir été victimes d’agression sexuelle alors qu’elles purgeaient une peine de prison.
Ces dépôts de plainte en masse font dire à l’avocat Adam Slater qu’il existe un problème « généralisé et systémique » d’agressions sur les détenus. Son cabinet a déclaré avoir déposé plus de 1 200 plaintes pour abus dans les prisons d’État et plus de 470 plaintes pour abus dans le complexe de Rikers Island à New York.
Parmi ces victimes, Alexandria Johnson s’est confiée à l’agence AP.
Ancienne détenue pour une affaire de stupéfiants, elle a décidé de poursuivre l’État de New York : « Pendant si longtemps, je n’ai pas eu de voix. Et je pensais que cela n’avait pas d’importance. Qui étais-je pour que l’on m’écoute ? » Alexandria Johnson dit avoir été violée à plusieurs reprises à Rikers Island en 2014 par quatre agents pénitentiaires, puis dans une prison de la ville de New York un an plus tard, alors qu’elle était enceinte.
Cette dernière agression l’aurait empêché de mener sa grossesse à terme, détaille la plainte.
Les accusations portées par Alexandria Johnson ont été niées par la ville de New York, qui s’est exprimée par le biais de ses avocats et a demandé le rejet des poursuites.
Vers une pérennisation du dispositif ?
L’Adult Survivors Act a fait voler temporairement en éclats le délai de prescription. Mais il est de nouveau en vigueur depuis jeudi 23 novembre, date à laquelle ce dispositif prévu pour ne s’appliquer que pendant une année a pris fin.
Ainsi, dans les jours précédant l’expiration de cette loi temporaire, les plaignantes et les plaignants se sont précipités pour déposer leur requête. Le chanteur Axl Rose tout comme l’acteur Jamie Foxx ont notamment été visés par des plaintes déposées à la dernière minute mercredi.
Après l’avalanche de requêtes déposées en un an, les défenseurs des victimes d’agression sexuelle réclament désormais une prolongation de l’Adult Survivors Act ou un dispositif plus permanent pour réclamer des comptes aux agresseurs.
Lancé par la gouverneure démocrate de l’État de New York Kathy Hochul, l’Adult Survivors Act est né dans le sillage d’une loi new-yorkaise similaire pour les personnes victimes d’abus dans leur enfance. Le Child Victims Act leur a permis de déposer plainte entre août 2019 et août 2021, sans tenir compte là non plus des délais de prescription. Près de 11 000 personnes ont alors engagé des poursuites judiciaires, dont un grand nombre contre l’Église catholique.
L’adoption de l’Adult Survivors Act a fait suite à la lutte incessante des associations, qui réclamaient ce texte depuis des années. Kathy Hochul a aussi estimé que le Child Victims Act avait « oublié » des personnes qui avaient subi le même type d’abus à l’âge adulte.
Safe Horizon, un groupe basé à New York et apportant son soutien aux victimes de toutes les formes de violence, fait partie des associations qui demandent une prolongation de l’Adult Survivors Act. « La raison pour laquelle nous nous sommes tant battus pour ce projet de loi est que les traumatismes prennent du temps à remonter à la surface », fait valoir Liz Roberts, la directrice générale de Safe Horizon.
Une demande soutenue par le sénateur de l’État de New York Brad Hoylman-Sigal. L’élu démocrate avait parrainé la version sénatoriale de l’Adult Survivors Act. Il promet maintenant d’initier un travail auprès des législateurs pour une pérennisation du dispositif. « Je défendrai l’idée d’une prolongation de cette loi, que ce soit de manière pluriannuelle ou permanente, auprès de mes collègues du Sénat », a-t-il assuré, selon la chaîne de télévision WRBG, affiliée à CNN.
AP