Après une dangereuse traversée de la Méditerranée, et parfois des mois voire des années difficiles en Libye ou en Tunisie, c’est le début d’une nouvelle vie pour les migrants débarqués en Italie. Que se passe-t-il pour ces exilés ? InfoMigrants fait le point.
Ce matin du 7 novembre, la tension est palpable sur le pont du Geo Barents. Hormis les bruits sourds et continus des machines du navire, pas une parole ne s’échappe de la bouche des 30 migrants bangladais secourus quatre jours auparavant.
Dans quelques minutes débutera le débarquement à Bari, dans le sud de l’Italie, port assigné par les autorités italiennes au navire de Médecins sans frontières (MSF) après le sauvetage. La nuit qui a précédé, Emon, 18 ans, a « très peu dormi ». « Je pensais à trop de choses.
Mais je suis content », confiait le jeune homme ce jour-là, petit sac bleu sur le dos, bonnet noir vissé sur la tête.
1/Aujourd’hui est un grand jour pour les 30 migrants secourus il y a un peu plus de 3 jours par le Geo Barents @MSF_Sea : celui du débarquement à Bari, dans le sud de l’Italie. pic.twitter.com/mwIOBFXFg0
— Marlène Panara (@m_panara) November 7, 2023
Comme des milliers d’exilés chaque année, le Bangladais s’apprête à poser le pied en Italie.
Entre le 1er janvier et le 17 novembre, plus de 149 000 personnes ont débarqué dans le pays après avoir traversé la Méditerranée centrale. En provenance de la Libye ou de la Tunisie, secourus par les garde-côtes italiens, une ONG de sauvetage ou arrivés par eux-mêmes, tous entament leur nouvelle vie en Europe en débarquant sur le sol italien. Comment s’organise alors leur prise en charge ? Explications.
Première étape : l’identification
C’est la première étape pour tous les exilés. L’indentification peut se faire dès l’arrivée sur le quai de débarquement ou dans un centre d’enregistrement, appelé « hotspot ». Lors de ce processus, les migrants sont pris en photo par la police, renseignent leurs noms, leur lieu de naissance, et leurs empreintes digitales sont relevées.
« Les autorités peuvent aussi poser quelques questions sur le parcours d’exil qui les a menés de la Libye jusqu’en Europe par exemple, et quelles sont les raisons de leur départ », explique Sébastien Ponsford, chargé des affaires humanitaires à bord du Geo Barents.
Toutes ces étapes peuvent être conduites avec l’aide d’un interprète. C’est un droit. « Il ne faut jamais, j’insiste, jamais signer un papier que l’on ne comprend pas. Si on ne sait pas ce qui est écrit, on demande un interprète, comme l’exige la loi », appuie l’humanitaire.
Attention : si vous avez sur vous une pièce d’identité ou une copie de celle-ci (photocopie ou capture d’écran), vous avez le devoir de la montrer aux autorités. « C’est obligatoire. Si vous l’avez, que vous ne la montrez pas, et que l’agent s’en rend compte plus tard, cela peut être un problème. C’est très important », souligne Sébastien Ponsford.
Sachez que dans certains « hotspots », les conditions de vie peuvent être difficiles. Celui de Lampedusa, qui concentre beaucoup d’arrivées, est régulièrement surchargé. Mi-septembre, environ 10 000 personnes se sont entassées dans la structure, après de nombreuses arrivées sur l’île en seulement quelques heures.
Si vous souhaitez une protection internationale, c’est dans cette structure qu’il faut en faire la demande. Le protocole Dublin vous y oblige : cette loi européenne impose au premier pays d’entrée d’un exilé de traiter sa demande d’asile.
L’un des objectifs du règlement est d’éviter qu’une personne ne dépose des demandes d’asile multiples dans plusieurs États adhérant au protocole. Ainsi, débarqué en Italie, retenez que vous ne pourrez déposer votre demande d’asile que dans ce pays, sauf cas exceptionnels.
Pour les demandeurs d’asile : le centre de réception
Si vous avez fait une demande de protection internationale, vous serez redirigé vers un centre de réception, en bus. Il peut se trouver à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de débarquement.
Là, vous passerez des consultations médicales, afin d’établir de potentielles vulnérabilités.
D’après la fondation italienne Openpolis, un décret publié en 2023 a supprimé « les services d’assistance psychologique, les cours de langue italienne et les services d’orientation juridique et territoriale des centres de réception ». Outre l’accueil matériel, « seuls restent donc actifs les soins de santé, l’assistance sociale et la médiation linguistique et culturelle ».
Vous aurez aussi à remplir un formulaire détaillé dans lequel vous expliquerez pourquoi vous ne pouvez pas rentrer dans votre pays d’origine. Un interprète peut vous aider lors de cette étape.
Une fois le document rempli, un récépissé est fourni par les autorités. Vous devenez alors officiellement un demandeur d’asile, et vous pouvez rester légalement sur le territoire italien. Vous serez ensuite convoqué pour un entretien avec un agent chargé de l’asile.
Cette attente est très aléatoire : « Certains demandeurs attendent deux ou trois mois, d’autres un an », indique Sébastien Ponsford.
Après cet entretien, les autorités vous feront parvenir leur accord, ou refus, quant à votre demande. En attendant un retour de leur part, vous pouvez travailler, deux mois après le dépôt de votre dossier. Vous bénéficiez aussi d’un hébergement réservé aux demandeurs d’asile, dans un centre dédié ou dans des maisons d’hébergement, gérées par des associations mandatées par l’État.
« Tout le monde peut demander l’asile, c’est un droit. Mais tout le monde ne l’obtiendra pas », tient à préciser Sébastien Ponsford. En cas de refus, vous pouvez faire appel.
En 2022, l’Italie a accordé une protection à un peu moins de la moitié des demandeurs, qui étaient au nombre de 84 033, d’après le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR).
Les titulaires d’une protection internationale sont inclus dans le système d’accueil et d’intégration (SAI). Il s’agit pour la plupart de centres d’accueil (appartements) très répandus, mais ils peuvent également prendre la forme de centres d’accueil collectifs.
Rappel : en Italie, le statut de réfugié et la protection subsidiaire sont valables cinq ans. Ils garantissent au bénéficiaire le droit de travailler, de toucher des allocations, d’obtenir des documents de voyage au sein de l’Union européenne et en dehors (pour une durée maximum de trois mois dans ce dernier cas). La protection humanitaire, réservée aux personnes qui nécessitent des soins médicaux lourds par exemple, est valable un an, renouvelable pour la même durée.
Dès le printemps 2024, certains migrants secourus en mer par les garde-côtes italiens seront transférés immédiatement en Albanie pour y déposer leur demande d’asile.
C’est ensuite ce pays qui aura la charge des exilés. Ce procédé a été rendu possible par un accord signé le 6 novembre à Rome, entre la Première ministre Giorgia Meloni et son homologue Edil Rama. L’Albanie, État non membre de l’Union européenne, disposera de deux centres pour prendre en charge les demandeurs d’asile arrivés sur les côtes italiennes.
Pour les personnes qui ne demandent pas l’asile
Si un exilé ne demande pas de protection, il peut être envoyé en centres de rétention, en vue d’une expulsion. Mais « en raison d’un manque de places » notamment, le passage par le centre de rétention n’est pas systématique, avait assuré à InfoMigrants en 2021 Adelaïde Massimi, consultante juridique au sein de l’ASGI, une association italienne spécialisée dans l’immigration. Dans ce cas-là, les migrants concernés reçoivent l’ordre de quitter le pays – par leurs propres moyens – sous sept jours.
Les exilés se retrouvent alors souvent sans solution.
Chaque année, « des milliers de migrants quittent les ‘hotspots’ pour se retrouver en dehors du système d’accueil officiel de l’Italie », confirme Susanna Zanfrini, directrice de l’International Rescue Committee (IRC) pour l’Italie, dans un communiqué. D’après une étude publiée par l’ONG en octobre dernier, les migrants installés en Italie peinent à couvrir leurs besoins fondamentaux.
Sur les 600 personnes interrogées et arrivées dans le pays au cours des trois derniers mois, presque tous disent souffrir d’un manque d’accès au logement, à des informations fiables sur leur statut juridique et à de la nourriture. Plus de 100 d’entre elles (18%) affirment ne pas avoir d’endroit où dormir.
Les migrants sans-papiers en Italie ont tout de même le droit de consulter un médecin ou d’aller à l’hôpital.
Pour les migrants originaires de « pays sûrs »
Fin septembre, l’Italie s’est dotée d’un centre d’un nouveau genre. Situé à Pozzallo en Sicile, il accueillera uniquement les exilés provenant de « pays sûrs », qui ont donc très peu d’espoir d’obtenir une protection en Italie. Objectif affiché ? Accélérer le traitement des demandes d’asile et donc les expulsions de ces migrants, et désengorger le hotspot de Lampedusa, à 200 km de là.
D’après La Reppublica, ce centre disposera de 84 places exactement pour les demandeurs d’asile originaires de « pays sûrs », qui y resteront « un mois » maximum. Deux-cent seize autres places seront à disposition dans le centre, pour les migrants d’autres origines.
Rome considère comme « sûrs » la Tunisie, le Nigeria, l’Algérie, le Sénégal, le Maroc, la Côte d’Ivoire ou encore la Gambie.
Les centres de rétention fermés (CPR) répartis ailleurs dans le pays continuent, eux, de prendre en charge l’hébergement des exilés sous le coup d’une expulsion « pour irrégularités dans leur dossier », ou « dangerosité avérée ». Dix établissements de ce type, répartis dans toute l’Italie, sont aujourd’hui fonctionnels. La durée maximale de rétention est de 135 jours, avant expulsion.
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