Le Salvador a voté en 2017 une loi interdisant toute forme d’extraction de métal de ses sols. Une initiative qui en avait fait le premier pays à dire « non » à la mine pour des raisons environnementales, avant le Panama. Depuis, l’or et l’argent dans les montagnes du nord du pays sont restés dans les sols, les mines canadiennes et australiennes sur place ont fermé. Une victoire historique pour les défenseurs de l’environnement, mais le président Bukele, s’il est réélu, pourrait modifier la loi.
À l’époque, il s’agissait de donner la priorité à la préservation de l’eau. Le Salvador est un petit pays, mais assez peuplé et pauvre et déjà victime de la sécheresse, ensuite accentuée par le changement climatique.
Selon les Nations unies, c’est le pays d’Amérique centrale où il y a le moins d’eau disponible par habitant.
L’activité minière a donc été jugée incompatible avec la sauvegarde du liquide vital : l’extraction de métaux utilise des très grandes quantités d’eau, ainsi que des produits chimiques comme le cyanure ou le mercure – ceux-ci sont dangereux et très contaminants. Cela alors que l’eau du Salvador est déjà et encore très polluée.
Selon le propre ministère salvadorien de l’Environnement, 90 % des eaux superficielles sont contaminés par des métaux ou des produits chimiques. Plusieurs sources se sont taries ou sont inutilisables dans le pays.
Une fois réélu, Nayib Bukele pourrait revenir sur la loi
Mais après six ans de cette interdiction, la réélection quasi assurée du président Nayib Bukele peut changer la donne. Les associations de défense de l’environnement ont peur qu’après sa réélection quasi assurée bien qu’inconstitutionnelle, le président décide de revenir en arrière sur ce sujet pour récupérer des investissements étrangers.
Les associations n’ont jamais vraiment baissé les armes sur ce sujet et sont toujours restées sur le qui-vive.
Aujourd’hui, le gouvernement a exprimé la volonté de réviser la loi et, clairement, plusieurs indices permettent de croire que le gouvernement pourrait bien revenir sur cette interdiction.
Vidalina Morales, la présidente d’Ades, une association de défense de l’environnement, explique que l’alerte a été donnée en 2020 quand malgré la loi, le pays a montré un intérêt pour le sujet minier. « Le gouvernement du Salvador a rejoint un panel intergouvernemental de pays qui soutient l’extraction minière.
Ensuite, il envoie un projet de loi à l’Assemblée pour la création d’une Direction des hydrocarbures et des mines.
Clairement, dans cette loi, il y a des articles qui ouvrent la possibilité qu’il y ait des mines dans ce pays. Et ensuite, en 2022, le budget de cette direction des hydrocarbures et des mines a été doté de 4,5 millions de dollars. Notre préoccupation est montée encore d’un cran : ce sont trois indices qui nous mettent la puce à l’oreille pour penser que ce gouvernement a un grand intérêt pour développer l’extraction minière à nouveau dans ce pays.
D’autres activistes ont même dénoncé que des visites de prospections d’anciennes mines ont eu lieu ces derniers mois, mandaté par des entreprises chinoises — la Chine négocie d’ailleurs actuellement un accord commercial avec le Salvador et investit massivement en Amérique latine pour développer des projets miniers.
Utiliser l’état d’urgence instauré contre les groupes criminels pour faire taire toute opposition
Concrètement, le Salvador, qui est en état d’urgence depuis bientôt deux ans depuis qu’il s’est lancé dans une guerre acharnée contre les groupes criminels salvadoriens pourrait très bien outrepasser la loi et la changer à sa guise.
La situation pour les contestataires devient de plus en plus compliquée : plusieurs ONG de défense des droits de l’homme dénoncent l’utilisation de l’État d’exception pour faire taire les voix dissidentes, comme les activistes et les défenseurs du territoire.
Vidalina Morales en a elle-même été victime, ainsi que cinq de ses compagnons défenseurs de l’eau : ils ont été arrêtés en janvier 2023 pour des motifs très douteux et sont toujours actuellement en résidence surveillée.
Crise économique et pays dirigé d’une main de fer
Depuis son arrivée à la présidence en 2019, Nayib Bukele dirige le Salvador d’une main de fer.
Dès le départ, la priorité a été donnée à l’investissement étranger et à la construction de grandes infrastructures, routes et aéroport, notamment. Cela avec très peu de considérations environnementales.
Le pays qui dépense actuellement beaucoup dans sa sécurité avait parié dans le passé sur le bitcoin, la faisant sa monnaie officielle. Mais avec la crise de cette crypto monnaie, le Salvador est en difficulté financière. Dans ce contexte, le gouvernement pourrait tout à faire voir la fin de l’interdiction minière comme une option à ses problèmes.
AP