«Augure», Baloji est la nouvelle voix du cinéma et en course pour les Oscars

Courez-y ! Son premier long métrage Augure sort ce mercredi 29 novembre dans les salles en France et le prix de la Nouvelle voix au festival de Cannes était bien mérité. L’artiste belgo-congolais Baloji s’impose avec son courage et sa créativité de raconter cette histoire de sorcier pas comme les autres.

« Attention au plafond ! » « Ne vous inquiétez pas, c’est l’histoire de ma vie. » En route pour le studio d’enregistrement, Baloji nous fait gentiment comprendre qu’il est passé maître dans l’art de gérer les obstacles. Les nombreuses difficultés dans sa vie, il les a transformées en particularités et en avantages.

Congolais né à Lubumbashi, en 1979, il est devenu Belge vivant à Liège et vient d’entrer dans l’histoire du cinéma, du Congo et de la Belgique s’il vous plaît.

En mai dernier, il a été acclamé comme premier Congolais en sélection officielle du Festival de Cannes avec un film de fiction. Et avec le même film, Augure, son premier long métrage (!), il représente actuellement la Belgique dans la course aux Oscars 2024.

Réaction humble de l’artiste : « Quand on a été sélectionné, c’était une fabuleuse récompense pour le projet. »

Baloji : « Peau de Chagrin x Bleu de Nuit » (2018), photo issue de l’exposition « Augurism » consacrée à Baloji au Musée de la mode d’Anvers.© photo : Kristin-Lee Moolman
Baloji : « Peau de Chagrin x Bleu de Nuit » (2018), photo issue de l’exposition « Augurism » consacrée à Baloji au Musée de la mode d’Anvers. 

« Le vêtement est une extension de soi »

En réalité, déjà son apparence éblouissante fait partie de son habilité à attirer l’attention. Grâce à sa tenue vestimentaire spectaculaire, chaque apparition de Baloji est un évènement, mis en scène par ce géant élégant de plus de deux mètres.

Pour couronner le tout, il adore porter de grands chapeaux, comme s’il pouvait ainsi plus facilement chapeauter tous ses talents en tant que cinéaste, performeur, rappeur, compositeur et styliste d’une créativité folle.

À tel point, que le Musée de la mode d’Anvers en Belgique consacre actuellement une exposition (Augurism) aux décors et aux costumes de ses films.

« Mon aura vestimentaire ? répète-t-il la question en cherchant ses mots. Ce n’est pas très compliqué. Je viens vraiment du tag. Et du tag, je suis arrivé au graffiti et au graphisme. Puis j’ai été intéressé par les matières, les fabriques, puis j’ai commencé à travailler avec des professeurs de l’Académie de la mode d’Anvers.

Ils m’ont appris à me décomplexer par rapport à mes envies en termes d’univers vestimentaire, à réfléchir de vestiaire masculin, à réfléchir les matières qu’on pouvait utiliser. »

Et cette étoffe des rêves se retrouve dans tout le film. « Par exemple, on a retravaillé la dentelle, qui est une matière assez noble au départ, et où l’on a découvert qu’elle avait été importée au Congo pendant les années du colonialisme. Sauf, qu’ils avaient remplacé la dentelle par du raphia.

Tout ça devient une matière sur laquelle on travaille dans le film et en même temps qui m’habille dans mes performances ou dans mes représentations. Il y a toujours un aspect assez ludique par rapport aux vêtements et une façon de décloisonner, de déconstruire la façon dont on les porte.

Parce que je pense que le vêtement est une extension de soi aussi. »

« Augure », un manifeste cinématographique contre l’assignement

Chez Baloji, dans la création, rien n’est accessoire, tout est au centre. Il a aboli la frontière entre le réel et le rêve. Il trouve normal de composer quatre albums de musique pour indiquer à l’équipe du film l’univers et le point de vue des quatre personnages principaux. Son Afrique est un présent futuriste et un futur fantasmé à la foi.

En même temps, ses idées déjantées ont longtemps eu de mal à convaincre l’univers du cinéma. « Oberhausen a changé ma vie », avoue-t-il en parlant du grand festival international du court métrage en Allemagne où il est reparti en 2019 avec le prix principal pour son court métrage Zombies, une déambulation hallucinée à Kinshasa.

Augure raconte le retour d’un Congolais au pays pour présenter sa femme, une Blanche, à la famille. Mais la véritable histoire au cœur du film est l’assignation de Koffi en tant que sorcier, parce que né avec une tache de vin.

Pour cela, lui, le héros du film, doit partager son statut de rôle principal avec trois autres personnages, également considérés comme des sorciers, même si c’est pour d’autres raisons. Et Baloji, né avec un prénom qui signifie aussi « sorcier » en swahili, ne cache pas que le problème de l’assignation est resté omniprésent depuis qu’il vit en Belgique :

« Oh, le nombre d’assignations auxquelles je suis confronté au quotidien en tant qu’homme noir… Elles sont nombreuses, elles sont innommables. Je ne pourrais pas en citer une seule, parce que, en fait, je suis constamment confronté à du racisme structurel, à du mépris de classe… »

Extrait du film « Augure » du réalisateur belgo-congolais Baloji. © « Augure » / Baloji
Extrait du film « Augure » du réalisateur belgo-congolais Baloji.

De Lubumbashi à Liège

Pour résister aux attaques et rester debout, Baloji a toujours dû compter sur lui-même.

À l’âge de 4 ans, son père l’enlève en Belgique, sans dire un mot à la mère, restée à Lubumbashi.

Le petit garçon Baloji Tshiani est forcé d’apprendre le français à la dure, dans un internat, chez les jésuites. Après le choc du déracinement suit le choc du déclassement. Son père, homme d’affaires, fait faillite. La famille déménage en HLM. Baloji arrête l’école, quitte la maison à 15 ans.

Il se révolte par la musique, devient MC Balo, membre du groupe Starflam, à l’époque la sensation du rap en Belgique. Mais, il refuse de considérer la musique comme sauveur ou remède miracle.

« J’ai vraiment fait les choses juste par volonté. Après, oui, c’est assez violent de vivre dans une structure familiale où on passe d’un certain confort à une pauvreté radicale. Ce n’est pas évident. » Pour lui, l’élément décisif, « ce sont plutôt des rapports humains. C’est de faire de la musique avec des gens qui avaient un autre background que le mien et qui m’ont permis d’avoir d’autres perspectives. »

Et pourtant, il n’est certainement pas anodin s’il a composé et chanté des textes comme « Tant que la musique me temporise / Je ne serai jamais ce criminel que j’aurais pu être ». Un extrait de son premier album solo Hôtel Impala, récompensé en 2008 avec deux Octaves [Victoires] de la musique belge dont Artiste de l’année.

En effet, avant de réussir, il a failli mal tourner dans sa jeunesse. L’ironie du sort, aujourd’hui, à l’âge de 44 ans, avec son grand talent d’investir et de relier les arts, son sens d’innovation, de justice sociale et d’humanisme, et doté d’une immense persévérance, Baloji pourrait tout à fait servir de modèle à des jeunes qui ne veulent pas être obligés de choisir entre deux pays : « Je suis à la croisée de ces deux identités et d’autres identités, par extension.

Je ne sais pas si on doit choisir. J’ai une fille métisse et je pense qu’elle ne doit pas choisir. »

Extrait du film « Augure » du réalisateur belgo-congolais Baloji. © « Augure » / Baloji
Extrait du film « Augure » du réalisateur belgo-congolais Baloji.

Le Congo, une inspiration et une obsession

Depuis qu’il a trouvé son chemin dans la vie et dans les arts, Baloji retrouve aussi de plus en plus son pays d’origine.

Dans ses créations, le Congo apparait souvent comme une inspiration et une obsession. De sa chanson à succès Tout ceci ne vous rendra pas le Congo, en passant par Le jour d’après/Indépendance Cha-cha, jusqu’à l’Afrique imaginaire dans Augure, il aborde avec des couleurs saturées, des textes percutants et des tonalités surprenantes le continent qui l’a vu naître. En revanche, à la question ce que lui, l’artiste, souhaite changer en République démocratique du Congo, il répond :

« Il y a des élections [en RDC] qui auront lieu à la fin du mois de décembre et je pense que nous sommes impuissants face aux enjeux qui ont effet aujourd’hui. Parce que les enjeux politiques, géopolitiques, dépassent en fait des envies d’émancipation que des artistes peuvent porter.

Malheureusement, ça nous dépasse. »

Extrait du film « Augure » du réalisateur belgo-congolais Baloji. © « Augure » / Baloji

RFI

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