Attaquée en justice pour des problèmes de pollution autour d’une usine en région lyonnaise, l’entreprise Arkema ne voit pas pour autant son contrat avec la Fédération française de football être menacé. Un tel scandale interroge sur la dépendance des instances sportives vis-à-vis de leurs partenaires économiques.
Impossible de rater les tours de l’usine Arkema de Pierre-Bénite en longeant le site depuis la M7 ou en observant l’entraînement de l’Olympique Lyon Sud au bord de la pelouse synthétique du stade du Brotillon. À l’ombre de l’imposant établissement industriel, des traces inquiétantes de perfluorés ont été détectées dans le sol autour de ce stade sur lequel évoluent les jeunes du club plusieurs fois par semaine.
Selon une enquête de France Télévisions, les taux décelés sont 86 fois supérieurs aux normes néerlandaises, principal pays luttant contre ces substances.
Celles-ci, inscrites sur la liste noire de l’Union européenne pour les éliminer dès 2024 et surnommées « les polluants éternels », auraient investi l’air, l’eau et le sol du sud lyonnais. Tommy Durand, membre de l’association Alternatiba qui se mobilise contre le dérèglement climatique, met en lumière un problème majeur : « La présence de perfluorés dans le lait maternel des femmes de la région est largement supérieure à celles vivant ailleurs.
Elles consomment l’eau distribuée autour de Pierre-Bénite, mais les analyses à la sortie des canalisations d’Arkema sont très inquiétantes. » S’il réside au nord de la commune lyonnaise, Tommy Durand reste inquiet à quelques jours d’organiser un rassemblement pour sensibiliser à ce sujet.
Un scandale sanitaire inquiétant
Arkema est bien connu des Rhodaniens pour son usine de Pierre-Bénite, mais aussi parce que la marque porte le nom de la première division féminine remportée chaque année ou presque par l’Olympique lyonnais. Après un premier coup d’œil durant le Mondial 2019 en tant que partenaire national, le géant de l’industrie chimique s’est lancé à pieds joints dans le monde du football dans la foulée en devenant le « nameur » officiel de la D1.
Au même titre que la Barclays Women’s Super League outre-Manche, il est nécessaire d’accoler le patronyme de l’entreprise à l’intitulé du championnat de France.
Désormais si implantée dans le paysage footballistique, la société en oublie presque ses principales fonctions. Vincent Cottereau, responsable du sponsoring d’Arkema, botte en touche au moment d’évoquer le scandale actuel dans la région lyonnaise : « C’est une affaire en cours de jugement, donc on ne s’exprime pas dessus. »
La première plainte déposée contre l’entreprise en mai dernier par 47 victimes de pollutions aux perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS), dix associations, dont Alternatiba, et un syndicat a été suivi par une, plus récente, de 34 communes du Rhône pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « écocide ».
Tommy Durand et les autres requérants ont toutefois pris un coup sur la tête, lundi 20 novembre, lorsque la justice a rejeté ce référé environnemental. « Cette décision est décevante et pas du tout à la hauteur du scandale sanitaire, s’est exprimée Louise Tschanz, avocate spécialisée en droit de l’environnement qui représente le groupe Notre affaire à tous – Lyon dans le dossier de pollution aux perfluorés. Un appel est prévu par les associations, les syndicats et des victimes. »
Pour eux tous, Arkema pollue depuis de longues années sans être inquiété. « L’entreprise a raison de se défendre, c’est la loi qui est en retard », soupire de son côté Tommy Durand. La Fédération française de football semble également se fier à cette législation en poursuivant son accord avec la marque sans se soucier des conséquences écologiques.
Main dans la main malgré la tempête
À la suite d’un premier mandat réussi, Arkema et la FFF ont renouvelé, avant les révélations de France Télévisions, leur partenariat pour le naming de la D1 féminine jusqu’en 2025. L’entreprise n’a pas flanché lors des troubles au sein de la Fédération, alors que les deux contrats ont été signés sous la présidence de Noël Le Graët. Désormais, c’est à l’instance sportive d’être affectée par l’image de marque de son associé. Contactée, la FFF n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ces liens et sur une éventuelle dépendance vis-à-vis de son collaborateur.
« Il y a des clauses de protection des marques vis-à-vis de potentiels comportements déviants des partenaires sportifs, mais je ne sais pas si ça existe dans l’autre sens », avoue Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de l’organisation Sporsora, notamment à l’initiative de l’Observatoire du naming.
Alors qu’on ressent une certaine méconnaissance du monde sportif à l’égard de son associé économique, les entreprises, quant à elles, savent exactement ce qu’elles viennent chercher autour du rectangle vert. « Notre stratégie est de féminiser nos effectifs, donc la D1 sert de caisse de résonance, éclaire Vincent Cottereau.
Notre boîte est industrielle, donc on n’est pas allé chercher un sponsoring pour augmenter nos ventes, le gain de notoriété n’a pas de but commercial. » Réciproquement, la Fédé y gagne aussi puisque la somme de 1,2 million injectée par Arkema chaque année est distribuée à parts égales aux clubs de première division.
Ce chèque – encore loin de celui de 15 millions de la part d’Uber Eats pour la Ligue 1 ou des 2 millions alloués par BKT pour la Ligue 2 – ne devrait normalement pas suffire à faire oublier l’impact écologique désastreux au sud de Lyon.
« Il n’y a pas de lien particulier avec le naming », préfère évacuer rapidement le responsable sponsoring de la société. De telles secousses peuvent avoir raison du partenariat, à l’image du stade Enron Field renommé Minute Maid Park suite à la fraude et la manipulation financière découverte en 2001, menant à la plus grande faillite de l’histoire américaine de l’époque. Au niveau des marques qui se distinguent de manière peu éthique, aucune affaire semblable ne sert de jurisprudence.
Ainsi, malgré le scandale autour de Volkswagen en 2015 après des révélations sur les réductions frauduleuses des émissions polluantes, le groupe est resté affilié au VfL Wolfsburg. En France, la Ligue 1 n’a pas forcément de leçon à donner à son homologue du football féminin en étant liée à Uber Eats, mis en cause notamment à propos de la rémunération et du statut de ses livreurs. Si la Fédération française de football n’a pas indiqué son souhait de rompre le contrat à la suite de cette affaire, Arkema n’a, de son côté, aucune raison de s’éloigner du football.
Depuis son engagement auprès de la D1, la société se félicite d’engager plus facilement la conversation auprès de jeunes femmes présentes dans les écoles de chimie, encore très masculines. De quoi poursuivre l’union, au moins, jusqu’en 2025 car, comme l’indique froidement Magali Tézenas du Montcel, « le naming est un mariage pour le meilleur et pour le pire ».
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