Procès d’Eric Dupond-Moretti : le ministre de la Justice relaxé

Paris, le 30 septembre 2020. Eric Dupond-Moretti (1er plan), garde des Sceaux, ministre de la Justice, inaugure la boutique éphémère de labelPePs, près de la péniche Thalassa. Dans cette boutique, on achète responsable et solidaire des produits réalisés en prison dans des conditions responsables et inclusives.

Poursuivi pour «prises illégales d’intérêts», le garde des Sceaux, à qui était reproché le déclenchement d’enquêtes administratives contre quatre magistrats avec lesquels il avait eu un contentieux avant son arrivée place Vendôme, échappe à une condamnation.

Relaxé. Jugé pendant dix jours pour «prises illégales d’intérêts» au cours d’un procès sans précédent, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a été innocenté, ce mercredi 29 novembre, par la Cour de justice de la République (CJR), seule juridiction compétente pour juger des délits et crimes des membres du gouvernement dans l’exercice de leur fonction.

Après deux semaines de suspens, la juridiction composée à majorité d’élus politiques de tous horizons a rendu sa décision, à laquelle le garde des Sceaux – qui a toujours contesté les faits reprochés – savait son avenir politique suspendu. En amont de sa comparution, la Première ministre Elisabeth Borne avait assuré qu’il devrait démissionner en cas de condamnation. Compte tenu de cette relaxe, l’ancien ténor des assises, chouchou d’Emmanuel Macron, devenu pilier du gouvernement, devrait donc poursuivre son mandat place Vendôme.

Analyse
Si la décision de la cour a été rendue publique ce jour, elle a en réalité été prise dans la foulée de la levée de l’audience, le 16 novembre. Un an de prison avec sursis avait été requis par le ministère public, selon lequel Eric Dupond-Moretti s’était rendu coupable de ce «délit obstacle destiné à éviter la confusion entre les affaires publiques et les affaires privées» en déclenchant des enquêtes administratives (à caractère prédisciplinaire) contre quatre magistrats, un ex-juge d’instruction à Monaco et trois membres du Parquet national financier (PNF), avec lesquels il avait eu un contentieux du temps où il portait la robe.

«Quelle pression sur vous ! Vous êtes chaque jour prévenus qu’une relaxe ne serait rien d’autre qu’une allégeance» avait plaidé sa défense, demandant la relaxe d’un Eric Dupond-Moretti «coupable de rien». Les quinze juges de la CJR – trois magistrats professionnels et douze parlementaires – s’étaient ensuite retirés pour délibérer. Un temps de rédaction de l’arrêt et de ses motivations était néanmoins nécessaire. Tout comme sa relecture et sa validation finale, effectuées ce mercredi matin même, en compagnie de tous les membres de la cour.

Vertigineux
Pour prononcer une relaxe, une majorité absolue de huit voix était nécessaire. Les votes ont eu lieu à bulletin secret dans le but de garantir une liberté totale aux élus politiques.

Car les parlementaires, vêtus d’ailleurs de la robe des magistrats pour l’occasion, jurent «de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de se conduire en tout comme dignes et loyaux magistrats». Un serment qu’ils sont censés tenir, devant reléguer au placard leurs étiquettes partisanes pour ne juger que du droit.

Depuis quinze jours, les pronostics sur le sort du ministre allaient bon train. Et pour cause : c’est sans nul doute la décision la plus attendue de l’histoire de la CJR.

Un procès inédit pour un prévenu hors du commun, le premier ministre en exercice, a fortiori garde des Sceaux, à comparaître devant cette juridiction d’exception, contestée depuis sa création. Un procès vertigineux aussi, tant il fut étonnant de voir des magistrats témoigner à quelques mètres seulement de leur ministre de tutelle, en faveur ou en sa défaveur, et d’assister aux réquisitions des deux représentants du ministère public, portant donc l’accusation… contre leur supérieur hiérarchique.

Dix jours d’audience sous tension, qui laisseront des traces au sein de l’institution judiciaire, et au cours desquels Eric Dupond-Moretti s’est défendu de toute volonté de vengeance, assurant n’avoir fait que suivre les conseils de son administration. Intenable sur sa chaise, maugréant, bougonnant, comme démangé par l’envie de plaider lui-même, l’ex-avocat avait dénoncé un «procès en infamie» et voulu convaincre de sa seule obsession lors de son arrivée place Vendôme : «Rapidement, j’ai un but : réussir mon ministère. Le reste, je m’en fous, je m’en fous !» La cour l’a donc entendu.

Entre-temps, Eric Dupond-Moretti avait repris le chemin de la chancellerie à temps plein.

On l’a vu à Dijon, assister à la prestation de serment des futurs greffiers, ou à Marseille, pour l’audience d’installation du nouveau procureur du tribunal judiciaire. Mais aussi en terrain plus politique, de retour aux questions du gouvernement, le 21 novembre, sous une bronca et des applaudissements. Ou encore au Sénat, hier après-midi, pour présenter son budget 2024 pour la justice. Avec cette relaxe, l’horizon du ministre s’éclaircit donc.

Reste qu’il faudra désormais reconstruire des relations apaisées avec la magistrature, fortement entravées et abîmées au cours de ces trois dernières années. Une gageure.

liberation

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