Des émotions pures seront au rendez-vous ce jeudi pour la traditionnelle soirée inaugurale de la Scala de Milan, qui ouvre sa saison avec « Don Carlo », opéra magistral de Giuseppe Verdi mêlant luttes pour le pouvoir et drames de la jalousie.
Temps fort de la vie culturelle italienne, la « Prima » (Première) de la Scala clôt ainsi sa trilogie consacrée aux tourments de la quête du pouvoir initiée en 2021 avec « Macbeth » de Verdi et poursuivie avec « Boris Godounov » de Moussorgski en 2022.
A la baguette, Riccardo Chailly qui voit dans « Don Carlo » la « bible de Verdi » et « une partition grandiose qui fait du bien à l’âme », permettant, le temps d’un spectacle, de « mettre de côté ses angoisses ».
En l’absence du président Sergio Mattarella, c’est la sénatrice Liliana Segre, 93 ans, une rescapée de la Shoah, qui suivra la « Prima » depuis le palco reale, la prestigieuse « loge royale », aux côtés du président du Sénat Ignazio La Russa, cofondateur du parti post-fasciste Fratelli d’Italia.
« Don Carlo est l’une des grandes œuvres du répertoire lyrique mondial et en même temps une parabole sur le pouvoir autoritaire qui décrit un dictateur sans foi ni loi et sans vergogne », commente à l’AFP Dominique Meyer, directeur de la Scala.
L’œuvre reprend les thèmes fétiches de Verdi comme le conflit entre le pouvoir religieux et le pouvoir royal, la difficile relation entre père et fils et l’oppression des peuples.
« De l’euphorie au désespoir »
La basse Michele Pertusi incarne Philippe II, roi d’Espagne et père de Don Carlo, un personnage complexe qui dirige d’une main de fer un empire immense, mais se montre fragile dans sa vie sentimentale.
Les rapports du roi avec Don Carlo se sont envenimés après sa décision de rompre les fiançailles de son fils avec la princesse française Elisabeth de Valois pour l’épouser lui-même.
Dans le rôle-titre, Francesco Meli, considéré comme l’un des plus éminents ténors du répertoire verdien, reconnaît que Don Carlo est « difficile » à interpréter car « il change d’humeur et donc de registre en permanence ».
La célèbre soprano Anna Netrebko, une habituée de la « Prima », endosse les habits d’Elisabeth de Valois, belle-mère de Don Carlo, un rôle qui demande lui aussi un grand raffinement vocal.
« Sa voix est basse, grave, légère et lumineuse à la fois, elle a tout », exprimant « sa solitude, sa tristesse et son grand coeur », explique la diva russe.
Toute-puissance de l’Eglise
La scène du théâtre est dominée par une immense tour en albâtre translucide reliée à des grillages, symbole de la toute-puissance de l’Eglise, et les costumes sont pour la plupart noirs, signe de richesse à l’époque.
L’albâtre, souvent utilisé pour habiller les fenêtres des anciens édifices religieux, « a toujours une odeur d’encens, une odeur d’église », explique le metteur en scène de « Don Carlo », l’Espagnol Lluis Pasqual.
« Le message de Verdi, dont je me sens très proche, est très anticlérical: les religions sont l’une des pires choses que les êtres humains aient inventées », assure-t-il. Et « à la fin, c’est toujours le Grand inquisiteur qui gagne ».
Et il n’hésite pas à dresser un parallèle avec la guerre au Moyen-Orient: « tous les jours à la télévision, nous voyons des fondamentalistes de toutes les religions défendre violemment leurs croyances ».
L’opéra se déroule pendant la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648), période de révolte des protestants néerlandais qui luttaient pour leur indépendance face à l’occupant espagnol catholique.
Verdi avait créé en 1867 pour l’Opéra de Paris « Don Carlos », une œuvre en français en cinq actes qui avait reçu un accueil mitigé. Remanié en 1884, l’opéra connaît davantage de succès et devient « Don Carlo », spécialement conçu pour la Scala de Milan, en quatre actes.
Trente-cinq lieux à Milan, théâtres, musées, espaces publics, voire des prisons, résonneront jeudi des airs de « Don Carlo », avec des projections sur grand écran.
AFP