Les autorités boursières israéliennes ont dénigré, mercredi, les conclusions d’une étude suggérant que des boursicoteurs avaient été informés en amont de l’attaque du Hamas du 7 octobre pour spéculer contre la Bourse israélienne. Les économistes américains à l’origine de ces travaux ont reconnu des erreurs mais maintenu leurs conclusions.
Circulez il n’y a rien à voir ! La Bourse de Tel-Aviv a voulu mettre un terme, mercredi 6 décembre, au déluge médiatique concernant une possible spéculation boursière autour des attaques terroristes du 7 octobre en Israël. Elle récuse l’idée que des boursicoteurs auraient pu avoir connaissance de l’attaque du Hamas en amont.
Le Tel Aviv Stock Exchange (TASE) a ainsi qualifié de « faux et coupé de la réalité » l’étude de deux économistes américains qui a fait couler beaucoup d’encre depuis sa publication lundi 4 décembre.
Robert J. Jackson Jr., économiste à l’université de New York, et Joshua Mitts, juriste de l’Université de Columbia, ont affirmé avoir découvert une activité « très inhabituelle » de spéculateurs quelques jours, voire semaines, avant les attaques du 7 octobre qui ont entraîné la guerre entre Israël et le Hamas.
Théorie du complot ?
Des acteurs boursiers non-identifiés ont gagné des millions de dollars en décidant entre fin septembre et début octobre de miser contre des sociétés israéliennes cotées en Bourse à Tel-Aviv et à New York, soulignent les deux experts dans leur étude.
Cette étude choc n’a pas manqué de susciter des titres tels que « le Hamas aurait profité en Bourse des attaques du 7 octobre » ou encore « Des spéculateurs ont été averti en avance du projet d’attaque sur le sol israélien ».
Une surenchère médiatique qui a fait réagir les autorités boursières israéliennes.
Deux jours après la parution de l’étude, elles ont tout d’abord assuré « être au courant [des conclusions de l’étude, NDLR] et avoir lancé une enquête » avant de dénigrer ces travaux. « Les conclusions de notre examen n’ont soulevé aucune inquiétude concernant une activité suspecte sur la Bourse en Israël », a affirmé l’Autorité israélienne des marchés financiers au Times of Israel.
Le régulateur israélien a notamment soulevé une « erreur grossière » des économistes américains qui ont analysé des transactions sur les marchés financiers israéliens en shekel (la monnaie israélienne) alors que certaines actions de société ne sont données qu’en agorot, c’est-à-dire l’équivalent israélien des centimes.
Des critiques qui ont aussi été reprises par le Financial Times britannique.
Le quotidien économique britannique n’est pas loin de ranger les conclusions de l’étude dans la boîte à théories du complot. Il va même jusqu’à comparer ces travaux aux affirmations de conspirationnistes soutenant que des spéculateurs étaient au courant des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
Les deux auteurs de l’étude ont d’ailleurs reconnu leur erreur et amendé certains passages concernant l’ampleur présumée des gains enregistrés par les spéculateurs. Dans certains cas, ces profits ont ainsi été divisés par 100.
Mais ils maintiennent leurs conclusions globales. « Il faut reconnaître que les données qu’ils fournissent apparaissent solides », assure Antoine Andreani, analyste des marchés sénior pour XTB, un courtier boursier.
Hausse « inhabituelle » des ventes à découvert
L’étude s’intéresse en premier lieu aux opérations boursières autour du MSCI Israel Exchange-Traded Fund (EIS), un produit financier indexé sur la performance d’une cinquantaine de sociétés israéliennes cotées à la Bourse de New York et à celle de Tel-Aviv. Si ces dernières s’envolent, l’EIS rapporte gros… et vice-versa.
Début octobre, des spéculateurs ont beaucoup misé sur la baisse prochaine du MSCI Israel Exchange-Traded Fund. « Près de 100 % des opérations enregistrées le 2 octobre par la Financial Industry Regulatory Authority [Finra – l’autorité de régulation de l’industrie financière] étaient des ventes à découvert », soulignent les deux économistes américains.
Ces ventes à découvert sont l’une des armes favorites des spéculateurs.
Ils empruntent des titres – actions ou autres produits financiers – qu’ils vendent au prix du marché en s’engageant à le racheter plus tard. Si entre-temps, le cours de ce titre a baissé, ces spéculateurs peuvent garder la différence – le profit réalisé – entre le prix auquel ils l’ont vendu et celui auquel ils l’ont racheté.
Autrement dit, cette forte hausse des ventes à découvert concernant l’EIS signifie que certains spéculateurs avaient anticipé une chute prochaine de la Bourse en Israël.
C’est bien ce qui s’est passé après les attaques terroristes du Hamas. Il y a d’ailleurs eu un nombre important « de positions de ventes à découvert qui ont été liquidées lors de la réouverture de la Bourse en Israël après le week-end du 7 octobre », constate Antoine Andreani. C’est-à-dire que les spéculateurs ont racheté les titres au moment où les actions israéliennes étaient en chute libre, réalisant un profit conséquent.
Ces économistes ont aussi regardé de plus près les opérations concernant certaines entreprises spécifiques cotées à la Bourse de Tel Aviv. Là encore ils ont constaté une forte hausse de la spéculation autour de certaines banques, comme Leumi, par exemple. C’est cette conclusion que l’Autorité israélienne des marchés financiers contredit le plus véhément assurant qu’elle n’avait pas observé de changement majeur dans les ventes à découvert concernant la banque Leumi.
Elle a ajouté qu’affirmer le contraire était “irresponsable”, a précisé la BBC.
Pour Antoine Andreani, la spéculation contre l’EIS demeure « inhabituelle ». « On constate très clairement un pic dans le nombre de ventes à découvert entre la fin de l’été et début octobre qui n’avait pas été atteint depuis septembre 2018 », assure cet analyste des marchés financiers.
Spéculation légitime
Mais est-ce que cela signifie que toute cette spéculation est le fruit de boursicoteurs qui savaient que le Hamas allait attaquer Israël ? « C’est là qu’on peut rapidement basculer dans la théorie du complot », reconnaît Antoine Andreani.
Une part importante de ces spéculateurs peut, en effet, avoir tout à fait légitimement jugé que le moment était bien choisi pour miser contre la Bourse israélienne.
« Elle est sur une tendance baissière depuis novembre 2021 au moins. Un contexte qui favorise les mouvements spéculatifs à la baisse », explique Antoine Andreani. Après les attaques du Hamas, ces spéculateurs se sont alors dit qu’il y avait une opportunité à saisir. Un cynisme boursier qui peut rapporter gros, mais n’a rien à voir avec une éventuelle connaissance en amont de l’horreur qui allait frapper Israël.
Peut-être faudra-t-il attendre l’acte II du travail des deux économistes américains pour en savoir plus. Ils reconnaissent en effet n’avoir eu que des données incomplètes de la Finra et être « en train d’en collecter davantage » pour affiner leurs conclusions. Quitte à se fâcher davantage avec les autorités boursières israéliennes ?
france24