Au Burkina Faso, la présence russe « s’accentue depuis le 10 novembre »

Le groupe de recherche All Eyes on Wagner a publié, lundi, une étude dans laquelle elle documente la présence de militaires russes au Burkina Faso pour la première fois depuis le putsch militaire de septembre 2022. Moscou semble gagner en influence dans le pays, notamment via son groupe Africa Corps.

« Des relations plutôt au beau fixe ». Voilà comment Lou Osborn, membre de All Eyes on Wagner (AEOW), résume l’état des relations entre le pouvoir burkinabè et le pouvoir russe.

Le groupe de recherche basé en Suisse, qui documente en source ouverte l’influence russe en Afrique, a publié lundi 4 décembre l’étude « OPA russe sur le Burkina ».

Dans cette étude, il est notamment question de l’arrivée, le 10 novembre, « d’hommes caucasiens en uniformes militaires russes » – une vingtaine selon AEOW, une cinquantaine selon plusieurs sources sécuritaires européennes – à l’aéroport de Ouagadougou. Ce groupe a ensuite logé à l’hôtel de luxe Lancaster dans le quartier de Ouaga 2000, a précisé le média Jeune Afrique le 11 novembre.

« On voit s’accentuer la présence russe au Burkina Faso depuis cette date », précise Lou Osborn.

Pour le groupe de recherche, le 10 novembre est un tournant : c’est la première fois que des militaires russes sont repérés dans le pays depuis le putsch militaire de septembre 2022. On ne sait pas, cependant, « quelle unité ou groupe paramilitaire » représente ce contingent russe arrivé dans la capitale burkinabè.

L’ombre de Wagner plane en toile de fond, sans que sa présence sur place n’ait jamais pu être attestée avec certitude, selon les personnes interrogées par France 24.

Un « intérêt bien réel » et réciproque entre Moscou et Ouagadougou
« Jusqu’à preuve du contraire, ils n’y pas de membres de Wagner qui sont arrivés au Burkina Faso en termes d’effectifs combattants – comme c’est le cas au Mali », explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes.

Une version corroborée par le journaliste indépendant, essayiste et enseignant Vincent Hugeux, qui précise : « À ma connaissance, il y avait au sein de la junte de Ouagadougou une certaine réticence à contracter de manière publique et assumée avec Wagner ».

Si la présence du groupe paramilitaire sur place n’est pas formellement démontrée, l’influence de Moscou auprès de la junte burkinabè semble grandissante. « Il est certain que les contacts (entre les deux pouvoirs, NDLR) s’accentuent : l’intérêt russe pour le Burkina Faso est bien réel, et vice-versa », affirme Wassim Nasr.

Dès février dernier, la Russie entendait tirer profit du contexte local burkinabè en « participant activement aux efforts collectifs pour la stabilisation de la situation » dans le pays, selon les mots du vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov. Ensuite, le président de transition du Burkina Faso a été invité au sommet Russie-Afrique organisé à Saint-Pétersbourg en juillet. Le capitaine Ibrahim Traoré y a notamment apporté « le soutien du peuple burkinabè et de son gouvernement » à l’invasion russe de l’Ukraine.

Par ailleurs, d’autres visites d’État de haut niveau ont eu lieu ces derniers mois.

Une délégation russe, menée par le ministre adjoint de la Défense Younous-Bek Yevkourov, a été reçue en personne par le capitaine Ibrahim Traoré en septembre. Puis le ministre burkinabè de la Défense, le colonel Kassoum Coulibaly, s’est rendu à Moscou en novembre pour rencontrer son homologue russe, Sergueï Choïgou.

« Depuis juillet 2022, on voit aussi une pression informationnelle au Burkina Faso de manière à essayer d’influencer l’opinion publique pour qu’elle soit pro-russe », ajoute Lou Osborn. La montée de l’insécurité et l’instabilité politique ont considérablement dégradé la sécurité et le travail des journalistes dans le pays, selon Reporters sans frontières.

Le paravent de l’Africa Corps
D’autres aspects plus récents de l’influence grandissante de Moscou sont mis en lumière par l’étude d’All Eyes on Wagner. Le groupe de recherche mentionne l’Africa Corps, nom d’une chaîne apparue sous ce nom sur Telegram le 22 novembre. Sa mission, telle que présentée sur le service de messagerie instantanée, est d’assurer la protection des juntes et la sécurité mais aussi le soutien dans les projets d’infrastructure et humanitaire.

Surtout, cette initiative servirait de paravent au ministère russe de la Défense, comme l’explique Lou Osborn : « On ne sait pas grand chose d’Africa Corps, cela pourrait être une espèce de label créé pour communiquer et qui permettrait, en coulisses, d’envoyer des forces armées ou certaines unités militaires. »

AEOW ajoute que d’autres groupes privés russes comme Redut – affilié au GRU, le service de renseignement militaire russe – ou Convoy, sont aussi opérationnels au Burkina Faso. Ils sont, eux aussi, « contrôlés par le ministère russe de la Défense », selon le groupe de recherche.

Pour comprendre cette mainmise de Moscou sur ces sous-groupes russes sur le terrain, il faut remonter à la rébellion avortée de Wagner, avec à sa tête Evguéni Prigojine, en juin dernier. La défiance que cela a entraîné vis-à-vis du groupe paramilitaire a conduit à la reprise de contrôle de toutes ses opérations sur le continent africain.

« Le Kremlin a entrepris cette mise sous tutelle afin de ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Wagner était à la fois utile en termes sécuritaire, d’influence locale et aussi, bien sûr, en termes de rétribution – notamment en or et en diamants », résume Vincent Hugeux.

Pour Wassim Nasr, « les groupes russes préexistants cherchent à capitaliser sur les restes de Wagner et sont voués à remplacer le groupe paramilitaire ».

Surtout, ils amorcent un changement de la stratégie russe sur le terrain. « Maintenant, il n’y a plus la liberté qu’avait Prigojine avec Wagner pour faire ce qu’il veut. La tutelle générale du ministère russe de la Défense va remettre de l’ordre. En même temps, Moscou va perdre l’un des plus gros avantages de Wagner, le ‘déni plausible’ – quand il pouvait dire : ‘Ces actions ce n’est pas nous, ce sont des mercenaires d’une entreprise privée' », explique le journaliste de France 24.

« Deuxième phase d’influence » sur le continent africain ?
L’étude d’All Eyes on Wagner évoque aussi les réseaux d’influence russe au Burkina Faso, notamment à travers l’African Initiative, un média russe – en français, anglais et russe – spécialisé dans les questions Afrique-Russie lancé au mois de septembre. Hasard du calendrier ? Peu de temps après, début novembre, une association portant le même nom a été lancée au Burkina Faso.

« Non seulement les logos du média et de l’association se ressemblent, mais il s’agit d’une seule et même initiative avec la présence de Viktor Lukavenko », écrit AEOW. Cet homme est présenté comme « un blogger » qui anime plusieurs pages « appartenant historiquement au réseau d’influence Prigojine ».

Sous les ordres de l’ancien patron de Wagner, « les réseaux d’influence étaient très efficaces », raconte Wassim Nasr.

Ces nouvelles initiatives s’inscrivent ainsi, selon lui, « dans un processus d’influence à bas coût qui fonctionne très bien ».

Plusieurs mois après la mort d’Evguéni Prigojine, Moscou semble reprendre au Burkina Faso « les bonnes recettes » du défunt patron de Wagner. Et finalement, « la Russie semble entrer dans une deuxième phase d’influence sur le continent africain », conclut le groupe de recherche.

france24

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