Alors que le Conseil européen doit se réunir jeudi et vendredi à Bruxelles pour décider d’une enveloppe de 50 milliards d’euros à l’Ukraine, ainsi que de sa demande d’adhésion à l’Union européenne, Viktor Orban a d’ores et déjà annoncé qu’il mettrait son veto à ces propositions. Une position politique, mais aussi économique.
Viktor Orban a décidé de jouer les trouble-fête au prochain Conseil européen. Alors que les représentants des 27 États membres doivent se réunir les 14 et 15 décembre à Bruxelles, pour trancher sur une aide de 50 milliards d’euros apportée à l’Ukraine et sur sa demande d’adhésion à l’Union européenne, le Premier ministre hongrois a prévenu qu’il s’y opposerait dans les deux cas. Un veto qui menace d’emblée le soutien des Européens à Kiev, puisque la décision requiert l’unanimité des États membres.
« L’Ukraine est en difficulté, elle subit l’invasion russe, et nous avons décidé de la soutenir.
Il est donc légitime que l’ensemble du Conseil européen envoie de bons signaux à l’Ukraine (…) Cependant, il existe d’autres types de signaux à envoyer que l’ouverture de négociations pour l’adhésion à l’Union européenne. (…) Je suis pour élever notre niveau de coopération, mais cela ne signifie pas l’adhésion », a déclaré le Premier ministre hongrois dans une interview au magazine Le Point publiée vendredi.
Quelques jours avant le Conseil européen, ces déclarations ne présagent rien de bon pour Kiev, d’autant que le soutien occidental à l’Ukraine commence à s’effriter : selon un rapport de l’institut Kiel, les aides nouvellement engagées sont en baisse de 90 % sur la période d’août à octobre 2023 par rapport à la même période de l’année dernière. De son côté, Kiev fait face à une pénurie de munitions après l’échec de sa contre-offensive cet été.
« C’est une stratégie de négociation »
Pour éviter tout blocage de l’aide européenne à l’Ukraine, Emmanuel Macron a invité Viktor Orban à l’Élysée, jeudi 7 décembre, pour tenter d’infléchir sa position. « Emmanuel Macron entretient de bonnes relations avec Viktor Orban.
Ce dernier critique de manière très sévère la Commission européenne, mais pas directement la France », explique Jacques Rupnik, directeur de recherche émérite au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris.
Moins de 24 heures plus tard, les ministres des Finances de l’UE ont approuvé le versement à la Hongrie de 920 millions d’euros sur les 10,4 milliards d’euros prévus dans le cadre d’une révision de son plan de relance post-Covid-19. Les 9 milliards restants demeurent conditionnés à des réformes pour lutter contre la corruption et les conflits d’intérêt, améliorer l’indépendance de la justice, la liberté d’expression et la liberté académique, la protection des droits des minorités et des migrants.
Le montant de cette aide n’est pas négligeable quand on sait qu’il représente quasiment 5 % du PIB hongrois en 2022, et que l’inflation vient tout juste de retomber sous les 10 %.
Demandeurs d’asile : les discussions bloquées à Bruxelles par la Hongrie et la Pologne
Avec plus de 6 milliards d’euros de subventions annuelles reçues depuis 2018, la Hongrie est le premier bénéficiaire du Fonds de cohésion européen, qui vise à compenser les retards de développement entre les pays de l’UE. En août dernier, l’hebdomadaire libéral hongrois HVG se demandait même si Budapest pourrait survivre sans ses fonds.
« Viktor Orban a une approche très transactionnelle : ‘Je bloque à moins que vous ne débloquiez les fonds’. C’est une stratégie de négociation avec l’Union européenne, mais je pense qu’il n’ira pas jusqu’à mettre son veto », estime le politologue Jacques Rupnik.
Une adhésion qui rebattrait les cartes des subventions européennes
Reste que la position de Viktor Orban dépasse le seul cas de la Hongrie. L’adhésion de l’Ukraine à l’UE ferait mécaniquement baisser les fonds européens à l’ensemble des pays d’Europe centrale. « Surtout que l’Ukraine ne rentrerait pas seule, rappelle Jacques Rupnik, en référence à la Moldavie. Il n’est pas question de faire entrer l’Ukraine avant les pays des Balkans qui attendent depuis vingt ans dans la salle d’attente ».
Viktor Orban s’inquiète notamment des conséquences d’un tel élargissement sur la Politique agricole commune (PAC), le premier budget de l’UE avec 264 milliards d’euros pour 2023-2027. Incorporer l’Ukraine, plus grand pays agricole du continent (41,5 millions d’hectares de surfaces agricoles utiles), reviendrait à rebattre les cartes des subventions agricoles pour chaque pays.
Selon une étude informelle européenne révélée par le Financial Times, l’entrée de l’Ukraine dans l’UE permettrait ainsi à Kiev d’engranger 96,5 milliards d’euros sur sept ans en PAC. « Si vous laissez cette agriculture entrer dans le système agricole européen, elle le détruira le lendemain », a-t-il prévenu dans Le Point.
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