L’UE défend le commerce « vert », mais veut toujours étendre ses accords de libre-échange

Si l’Union européenne, et notamment la France par la voix d’Emmanuel Macron, prône désormais des accords commerciaux qui intègrent la lutte contre le réchauffement climatique, la poursuite des accords de libre-échange, et en particulier les discussions avec le Mercosur, trahit une volonté à géométrie variable, selon les défenseurs du climat.

« On doit assumer de mettre la politique commerciale au service de la politique climatique. » Cette phrase a été prononcée par Emmanuel Macron, samedi 2 décembre à Dubaï, lors de la COP28. Critiquant les accords commerciaux des années 1990, le président français a appelé l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à intégrer les questions climatiques « pour aligner notre régime commercial à l’accord de Paris ».

Comme souvent sur la scène internationale, Emmanuel Macron a porté un discours offensif pour la cause climatique dans une COP qui proposait pour la première fois de l’histoire de ces événements une journée consacrée au commerce mondial.

Il a notamment pris en exemple les efforts demandés aux industries européennes pour décarboner leurs productions et expliqué qu’il n’était plus possible de permettre l’importation de produits d’industries dont « les pratiques productives ne font aucun effort ».

Emmanuel Macron aurait pu citer le récent traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande.

À en croire Bruxelles, ce traité commercial dit « de nouvelle génération » est un modèle du genre : la Commission européenne insiste ainsi sur les « engagements sans précédent » sur l’environnement contenus dans cet accord, qui intègre les clauses de l’accord de Paris, et assure que les aliments importés devront être conformes aux normes de l’UE.

« La politique commerciale doit contribuer à nos objectifs de neutralité carbone et il faut trouver de bons leviers pour répondre aux enjeux climatiques. C’est ce que nous avons fait avec la Nouvelle-Zélande et l’intégration, non seulement de l’accord de Paris, mais aussi de sanctions en cas de non-respect des clauses de l’accord de Paris », affirme l’eurodéputée française Marie-Pierre Vedrenne (MoDem – Renew Europe), contactée par France 24.

« Des règles qui nous permettent d’aller dans la bonne direction »
« Il y a effectivement une vraie avancée : en cas de violation grave de l’accord de Paris, il existe un mécanisme de sanction et on pourra envisager une suspension du traité de libre-échange », reconnaît auprès de France 24 Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen, qui promeut la transition écologique. « Mais ça ne couvre pas tout, nuance-t-elle. Les violations de l’accord de Paris ne sont pas bien définies.

Et la construction même de l’accord et son architecture sont en opposition avec nos engagements climatiques car ce genre d’accord favorise les échanges dans tous les secteurs. »

L’étude d’impact publiée par la Commission européenne ne dit d’ailleurs pas autre chose : « Les flux commerciaux supplémentaires entre l’UE et la Nouvelle-Zélande entraîneront une augmentation des émissions de GES [gaz à effet de serre] dues au transport de marchandises », mais aussi en raison de « son impact sur le volume d’activité économique dans le secteur agricole, en particulier les secteurs de la viande et des produits laitiers », des secteurs particulièrement émetteurs.

« Il faut bien sûr se poser la question du changement de nos modes de consommation et produire davantage en Europe, mais on ne supprimera pas tous les échanges et tout le commerce, répond Marie-Pierre Vedrenne. Donc il nous faut des règles qui nous permettent d’aller dans la bonne direction. Cet accord avec la Nouvelle-Zélande doit être un nouveau standard minimum pour les prochains traités de libre-échange. »

Problème : en parallèle des appels d’Emmanuel Macron et de ce traité avec la Nouvelle-Zélande dont l’Union européenne se targue, Bruxelles poursuit ses négociations avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) pour trouver un accord après plus de vingt ans de discussions, au détriment notamment des questions environnementales, selon ses détracteurs.

Le projet de traité de libre-échange entre l’UE et le Mercosur est jugé « obsolète » par de nombreux observateurs, qui pointent les manques concernant les questions sociales et environnementales, et en particulier en matière de déforestation de la forêt amazonienne.

« Pour les négociations commerciales, le logiciel n’a pas encore été mis à jour »
« L’UE avait opéré un virage après la crise du Covid en souhaitant prendre en compte les questions de souveraineté et les questions climatiques dans ses accords commerciaux, mais là on sent comme une panique chez certains, à la Commission et parmi les États membres, à vouloir à tout prix conclure un accord avec le Mercosur avant la Chine, mais moi je dis ‘attention’, prévient l’eurodéputée Marie-Pierre Vedrenne.

Il faut sortir de cette idéologie qui consiste à vouloir conclure des accords de commerce quoi qu’il en coûte. »

« La politique commerciale de l’UE est très en retard dans l’exercice d’alignement avec ses propres engagements climatiques, constate Mathilde Dupré. Même s’il y a eu des inflexions importantes – règlement sur les produits importés issus de la déforestation, mécanisme d’ajustement carbone aux frontières – pour les négociations commerciales d’envergure, le logiciel n’a pas encore été mis à jour. »

Professeur à Sciences Po Rennes et auteur du livre « Les accords de libre-échange de l’Union européenne » (Larcier, 2023), Alan Hervé rejoint les critiques au sujet du traité UE-Mercosur, tout en soulignant auprès de France 24 le poids des lobbies.

« La Nouvelle-Zélande est un petit pays qui avait à sa tête un gouvernement de gauche, plutôt sur la même longueur d’ondes que les Européens et qui était de toute façon en position de faiblesse pour négocier, avance-t-il.

Le Mercosur n’est pas dans la même situation. De plus, au Brésil notamment, il existe des lobbies très puissants qui font pression pour ne pas intégrer de contraintes environnementales. Côté européen, il y a aussi un intérêt économique fort à avancer. Et d’ailleurs, si la France brandit de façon cynique l’enjeu environnemental pour justifier son opposition au traité, c’est plutôt l’enjeu agricole qui lui pose problème. »

Un tel accord placerait en effet les éleveurs français en concurrence avec les éleveurs brésiliens et argentins, notamment, dont les bovins sont dopés aux antibiotiques. Une crainte qui vaut d’ailleurs aussi pour l’accord signé avec la Nouvelle-Zélande, où les agriculteurs peuvent utiliser des produits comme l’atrazine et le diflubenzuron, deux substances chimiques jugées toxiques et interdites d’utilisation sur le sol européen.

france24

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