Après une nuit de prolongation à la COP28 de Dubaï, les pays du monde entier ont approuvé mercredi un compromis avec un appel inédit à abandonner progressivement les énergies fossiles, principales responsables du réchauffement climatique.
Un compromis inédit. Après des discussions qui auront duré une bonne partie de la nuit et largement débordée par rapport au calendrier prévu, la COP28 s’est terminée mercredi 13 décembre avec un texte appelant, pour la première fois dans l’histoire de ces conférences sur le climat, à abandonner progressivement les énergies fossiles.
« Je n’entend pas d’objection, c’est décidé. » En moins de cinq minutes, Sultan al-Jaber a officiellement mis fin à l’événement qui se déroulait depuis le 30 novembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis, déclenchant une ovation et une salve d’applaudissements. Une victoire pour le président de la COP, à la tête de la compagnie pétrolière nationale émiratie et dont la nomination avait provoqué de vives inquiétudes sur le bon déroulement des négociations. Il s’agit d’une décision « historique pour accélérer l’action climatique », s’est-il ainsi enorgueilli.
The moment history was made.
⁰Everyone came together from day one. Everyone united, everyone acted and everyone delivered. pic.twitter.com/KYsRN6Bu4K— COP28 UAE (@COP28_UAE) December 13, 2023
« Pour la première fois en 30 ans, nous pourrions maintenant approcher le début de la fin des énergies fossiles. Nous faisons un pas très, très significatif » pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, avait salué le commissaire européen chargé du Climat, Wopke Hoekstra, peu avant le vote. L’accord « historique » conclu à la COP28 « marque le début de l’ère post-fossiles », a abondé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Après un démarrage en grande pompe le 30 novembre avec l’adoption de la mise en œuvre du fonds destiné à financer les « pertes et dommages » climatiques des pays vulnérables, la COP28 s’était ensuite rapidement focalisée sur la question des énergies fossiles. Plusieurs États, dont ceux de l’Union européenne, appelaient à mentionner – pour la première fois dans un accord final – la « sortie » du pétrole, du gaz et du charbon, premiers responsables du réchauffement climatique. Leur volonté s’était, cependant, confrontée à l’opposition ferme de plusieurs pays pétroliers, notamment l’Arabie saoudite.
« Transitionner hors des énergies fossiles »
À la recherche épineuse d’un compromis, les Émirats arabes unis avaient d’abord provoqué un tollé lundi soir avec une proposition jugée bien trop faible par les États les plus ambitieux. Mais après un dernier marathon de négociations, les Émiratis sont parvenus à une nouvelle formule dans la nuit appelant à « transitionner hors » ou « s’éloigner de », selon la traduction française retenue, « des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques » pour « atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques ».
En choisissant ce terme de « transitioning away », les Émiratis sont ainsi parvenus à sortir du blocage autour du terme de « phase-out » (sortie) du pétrole, du gaz et du charbon, une expression devenue depuis des mois la bannière derrière laquelle se rangeaient plus d’une centaine de pays et des milliers d’ONG – mais qui braquait notamment les pays du Golfe.
L’expression, assez floue, laisse cependant la porte ouverte aux interprétations et donne l’idée d’une fin des énergies fossiles progressive. « Faire une transition vers la sortie des combustibles fossiles n’est pas la solution d’urgence qui s’impose », déplore ainsi sur X Niklas Höhne, spécialiste de la politique climatique et auteur du Giec, regrettant que le texte ne comporte pas un « signal clair pour leur abandon progressif. »
New #COP28 text
Little better but insufficient for climate emergency
"Transitioning away from fossil fuels" is not the needed emergency break
Large loopholes for fossil fuels in long term
Not a clear signal for fossil phase outhttps://t.co/tFyA8sf0Gs pic.twitter.com/UDKIMv6RdC— Prof Niklas Höhne – only on blsky mastodon threads (@niklashoehne) December 13, 2023
La longue formulation préconise en revanche une transition « juste, ordonnée et équitable », avec un rythme différencié selon les États, leurs besoins de développement et leur responsabilité historique dans le réchauffement climatique. Un point important pour les pays du Sud.
Concernant les autres énergies, le texte officialise une autre avancée importante de cette COP : l’objectif de triplement de la production d’énergies renouvelables et de doublement de l’efficacité énergétique en 2030. Il appelle aussi à enclencher la baisse du charbon – reprenant la formulation trouvée lors de la COP26 à Glasgow.
Un « signal politique » mais « le compte n’y est pas »
Mais au-delà de ces annonces largement saluées, l’accord apporte aussi son lot d’inquiétudes pour les ONG de défense de l’environnement. En cause, notamment, des mentions claires du développement du nucléaire, de l’hydrogène « bas carbone » et des technologies de captage du CO2.
Le texte ouvre également la voie, sans le dire, à une exploitation prolongée du gaz, puisqu’il « reconnaît que les carburants de transition peuvent jouer un rôle en facilitant la transition énergétique tout en assurant la sécurité énergétique ».
« L’accord voté à la COP28 contient un signal politique vers la sortie des énergies fossiles », salue Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales à l’ONG Réseau action climat. « Mais le compte n’y est pas car il y a de nombreuses mentions très inquiétantes : le gaz comme ‘énergie de transition’, la capture et le stockage du carbone ou encore le nucléaire. Cette COP n’est donc pas à la hauteur des ambitions promises. »
Un constat partagé par Guillaume Compain, chargé de plaidoyer climat à Oxfam.
« Si cette COP envoie un signal fort en appelant à la transition hors des énergies fossiles, il ne faut pas se réjouir trop vite : une pléthore de fausses solutions sont au menu, comme les technologies immatures de capture du carbone », déplore-t-il.
Certains pays, Émirats arabes unis en tête, poussaient en effet depuis le début des négociations pour faire mention dans le texte final des « dispositifs d’atténuation », notamment les techniques de capture, de stockage et de revalorisation du CO2 – jugées peu convaincantes par les scientifiques.
« Certains veulent faire croire à de magnifiques technologies mais ces dernières, toujours trop coûteuses et peu matures, ne pourront jamais être déployées à une échelle suffisante », insistait début décembre le géographe et contributeur aux travaux du Giec Wolfgang Cramer.
« Ces technologies nous serviront mais elles ne changent pas le constat que l’arrêt de l’utilisation des énergies fossiles est primordial. »
« Il faudra se débarrasser des supercheries climatiques qui parasitent la lutte contre le réchauffement climatique, sous la pression des lobbys fossiles et de plusieurs pays », résume Arnaud Gilles, chargé de plaidoyer énergie-climat à WWF France. « Elles n’ont rien à faire dans une feuille de route de lutte contre le réchauffement climatique. »
Les financements, point faible de l’accord
Autre regret pour les différentes ONG interrogées : la question des énergies fossiles semble avoir éclipsé un autre sujet primordial, celui de l’adaptation au changement climatique à travers les moyens mis en place pour préparer les pays, notamment les plus vulnérables, au réchauffement actuel. « Les moyens financiers n’ont pas été mis sur la table pour accompagner les pays qui en ont le plus besoin », déplore Gaïa Febvre, de Réseau action climat.
Certes, la mise en place, au début de la COP28, du fonds « pertes et dommages » – outil censé compenser les dégâts des catastrophes ou les pertes irréversibles liées au changement climatique – a entraîné une vague d’annonces de financements de la part des États développés atteignant au total 655 millions de dollars de promesses de dons.
Mais les annonces de financement global pour l’adaptation sont, elles, jugées beaucoup trop faibles.
L’Allemagne a promis 65,7 millions de dollars, la France a mis 10,9 millions sur la table, la Suède et l’Espagne 22 millions, les États-Unis 17,5. Des sommes presque dérisoires face aux 215 à 387 milliards de dollars qu’il faudrait mobiliser chaque année de cette décennie pour s’adapter au changement climatique, selon les calculs des experts du Programme des Nations unies pour l’environnement.
« Le lancement du fonds pertes et dommages va enfin permettre d’aider les populations touchées par les pires impacts du changement climatique », salue Fanny Petitbon, porte-parole de l’ONG Care France. « Mais les financements globaux manquent encore à l’appel. Il faudrait mille fois plus que ce qui a été mis sur la table pour répondre aux besoins des populations. C’est le nerf de la guerre. »
Le texte voté mercredi demande « instamment » aux pays développés de doubler leurs aides à l’adaptation au changement climatique destinées aux pays en développement d’ici 2025. Plusieurs États réclamaient des engagements plus précis, notamment sur les moyens à mettre en œuvre.
« Le texte de la COP montre le travail difficile qui nous attend : restructurer le système financier, prendre des mesures pour augmenter considérablement les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique et, surtout, accorder beaucoup plus d’attention à l’adaptation qui a été négligée, nous mettant tous en danger », juge ainsi Tom Evans, du groupe de réflexion sur le climat E3G.
« La prochaine COP sera une COP de la finance. Nous devrons nous assurer que nous nous donnons les moyens pour cette transition énergétique et pour répondre aux besoins des États en termes d’adaptation et d’atténuation », conclut ainsi Gaïa Febvre. Rendez-vous donc à Bakou, en Azerbaïdjan, pour une COP29 organisée, cette fois, dans un pays gazier.
france24