Décidément, cette fin d’année est pleine de surprises. On se remet à peine de notre expérience Godzilla Minus One (attendez-vous à ce qu’on y fasse souvent référence, juste pour le plaisir d’en parler) que Netflix nous sort son propre cadeau de Noël : Le Monde après nous est un thriller sous fond de film catastrophe produit par les Obama. Bingo.
Un film qui traite de cyber-attaque, d’événements étranges et de la peur de l’autre réalisé et scénarisé par le créateur de Mr Robot ? D’accord on signe. Nouvelle production de l’ex-couple présidentiel Barack et Michelle Obama via leur société de production et leur partenariat avec Netflix, et leur première dans la catégorie blockbuster ?
D’accord on signe. Julia Roberts, Mahershala Ali, Ethan Hawke et Kevin Bacon au casting ? Puisqu’on vous dit qu’on signe ! Le Monde après nous avait, intrinsèquement, tous les ingrédients pour attirer notre attention. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’on évite le pétard mouillé.
Car chat échaudé craint l’eau froide et on a l’expérience de certaines pièces du catalogue de la firme au N rouge qui avaient tout pour nous plaire sur le papier, mais dont le résultat faisait grincer des dents. C’est donc avec envie, mais avec des attentes mesurées qu’on lançait le long-métrage de Sam Esmail, tiré du roman du même nom de Rumaan Alam. Car qu’est-ce qui pouvait mal se passer, à part tout ?
Et c’est d’ailleurs le sujet du film puisqu’on y suit Amanda (Julia Roberts) et son mari Clay (Ethan Hawke) partir en week-end avec leurs enfants Archie (Charlie Evans) et Rose (Farrah Mackenzie) dans les environs de New York dans une maison qu’ils ont loué. Mais dès la première nuit, deux étrangers frappent à leur porte. G.H. (Mahershala Ali) et sa fille (Myha’la).
Ils prétendent qu’une énorme panne d’électricité a frappé la ville et ils sont venus se réfugier dans cette maison, la leur. Face à une série d’événements étranges et la crainte que le monde autour d’eux soit en train de s’effondrer, les deux familles vont devoir cohabiter. Mais à qui faire confiance ?
Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir
Il est facile de comprendre ce qui a convaincu Sam Esmail de se jeter sur cette histoire qui présente une société américaine (et plus largement occidentale) sur le fil, en proie à ses addictions, à ses peurs, et dont il suffit de la couper de l’un pour accentuer l’autre. Un peu à la manière de Don’t Look Up avant lui, Le Monde après nous est une œuvre qui extrapole nos craintes pour montrer combien il est facile de détruire une civilisation. Sauf qu’ici, il n’y a aucune forme d’humour, mais un pessimisme brut, une froideur abyssale.
Voilà le portrait glaçant d’une société en apparence solide et dont il suffit de gratter le vernis pour faire ressortir notre dépendance vitale à la technologie, comme lorsque un GPS ne répond plus ; notre xénophobie et plus largement notre peur de l’autre quand la méfiance prend le pas sur l’entraide en période de crise. On sait que peu de personnes louant leur bien sur Airbnb y habitent vraiment, ce qui donne des endroits sans personnalité et tout le monde s’en accommode bien volontiers.
Et soudain, cette habitude devient problématique dès lors qu’il faut prouver la possession du lieu. Le Monde après nous invite à « laissez le monde derrière vous » (le titre original du film en anglais) et voir le résultat.
Le métrage à l’intelligence de ne pas révéler ses cartes afin qu’on se sente happés par les événements au même titre que les personnages. On ne connaît rien à l’avance et c’est ce qui va créer une identification avec ces six cohabitants, participant à alimenter notre propre sentiment de paranoïa.
Ce qui rend le propos cynique malheureusement davantage , car on va personnellement ressentir cette méfiance, cette colère, cette peur, alors qu’on se croyait au-dessus. Le Monde après nous punit notre arrogance.
Cette perte de confiance en l’autre est accentuée par la mise en scène dont les angles de caméra aiment donner le vertige, jouer avec l’espace afin de créer un sentiment de vide, de solitude ou d’étouffement, que ce soit au milieu d’une plage bondée ou d’une maison. À ce titre, le décor est un personnage à part entière et le réalisateur aime travailler avec pour marquer la différence entre ses habitants.
La réalisation raconte quelque chose et certains choix nous rappellent le Panic Room de David Fincher en jouant autant sur la sécurité d’un lieu qui peut se transformer en prison.
Esmail aime également jouer avec les symboles, usant de la forme circulaire autant pour montrer des personnages condamnés à tourner en rond, que pour définir le diagramme de Venn où chacun va établir sa propre théorie sur les événements, sa propre zone de certitude, qui sera constamment ébranlée à chaque croisement avec le cercle du voisin. Mais c’est peut-être également cette jonction qui rend la compréhension possible.
Ceux qui restent
Bien qu’ils n’aient pas tous le même poids (Charlie Evans presque inutile, Kevin Bacon sous-exploité), le casting joue parfaitement avec les sentiments habitant leurs rôles et on parvient autant à les comprendre qu’on a envie par moment de leur mettre des baffes. Esmail a écrit des personnages humains, envahis par les émotions et dont on parvient sans mal à comprendre le trouble qui les anime. À ce jeu-là, Julia Roberts et Mahershala Ali ont les beaux rôles.
On peut néanmoins reprocher au cinéaste de parfois vouloir diriger nos réactions en insistant sur l’atmosphère anxiogène, ses éléments naturels surexploités et sa musique entêtante. C’est bien fait, mais cela ressemble un peu trop à une manipulation de la part d’Esmail afin de nous forcer dans une direction et de nous tromper plus d’une fois.
Oui, l’ambiance paranoïaque fonctionne à merveille, mais il faut dire que le réalisateur n’hésite pas à nous mettre un flingue sur la tempe pour qu’on accepte de se laisser berner.
Une manœuvre peu subtile qu’on pardonne tant on accepte de se prendre au jeu, cherchant dans le moindre plan, la moindre révélation, un indice pour nous révéler la vérité. Mais y a-t-il besoin d’en découvrir une ? Finalement, peu importe le pourquoi ou le comment, Le Monde après nous s’attarde surtout sur le résultat et il a tout pour être glaçant.
Sauf que Sam Esmail n’est pas un défaitiste convaincu et se plaît à nous distiller une note d’espoir avec effronterie en usant de la série Friends comme le dernier fil de bonheur qui ne demande qu’à être tiré. Car il y a Ceux qui s’en allaient, et ceux qui restent.
JDG