Grâce à une combinaison d’approches comprenant la génétique, des mesures d’hormones dans le sang des femmes enceintes et des études sur des souris, des chercheurs ont découvert que la sensibilité maternelle à une hormone produite par le fœtus pourrait être à l’origine d’une forme sévère de nausées et vomissements de grossesse appelée hyperémèse gravidique. Un constat qui pourrait ouvrir la voie à des stratégies pour la prévention et même traitement de cette maladie débilitante.
Les nausées et vomissements sont très courants durant la grossesse, au point d’en constituer l’un des signes les plus évidents lors de ses débuts. Ils commencent habituellement vers la 6e semaine de grossesse et se terminent à la 12e semaine, parfois plus longtemps.
Le plus souvent, les symptômes sont peu sévères et n’altèrent donc que modérément la qualité de vie. Cependant, l’Assurance maladie estime qu’ils sont ressentis comme invalidants, perturbant la vie quotidienne, familiale et professionnelle chez 35% des femmes.
Et dans moins de 4 % des cas, environ, les vomissements sont graves car importants et répétés : c’est l’hyperémèse gravidique. Cette condition se définit par des nausées intenses si qu’elles entraînent une perte de poids et une déshydratation de même qu’un débalancement des électrolytes (sodium, potassium, chlore, magnésium, calcium, etc.). Une prise en charge médicale peut s’avérer nécessaire si la femme enceinte ne parvient pas à s’alimenter pour compenser les pertes en eau et aliments dues aux vomissements, et risque ainsi de manquer de certains nutriments et de se déshydrater.
Les médecins ignorent la cause exacte de ce phénomène mais l’hypothèse est que ces malaises sont probablement attribuables à tous les changements physiques qui se produisent dans le corps, notamment les niveaux élevés d’hormones dans le sang.
Voilà qu’une récente étude menée par des chercheurs de l’Université de Cambridge et d’autres organismes* semble donner raison à cette explication, et évoque même une coupable précise : une hormone connue sous le nom de facteur de croissance et de différenciation 15 (GDF15), une protéine produite par les humains tout au long de leur vie qui envoie des signaux à la partie du cerveau responsable de la sensation d’appétit et des nausées, et qui se trouve en abondance dans le placenta de la mère.
Leur étude publiée dans la revue Nature affirme plus précisément que le degré de maladie que ressent la mère dépend d’une combinaison de la quantité de cette hormone produite par la partie fœtale du placenta et envoyée dans le sang de la mère et due son degré d’exposition avant de tomber enceinte.
« Les femmes enceintes tombent malades si elles sont exposées à des niveaux plus élevés de GDF15 qu’à l’habitude »
En effet, en découvrant que les femmes exposées à des niveaux plus faibles de GDF15 avant la grossesse présentent des symptômes plus graves les chercheurs estiment que ces résultats pourraient non seulement expliquer pourquoi certaines femmes tombent particulièrement malades pendant cette période mais aussi ouvrir la voie à des thérapies préventives.
« Nous savons maintenant que les femmes tombent malades pendant la grossesse lorsqu’elles sont exposées à des niveaux plus élevés d’hormone GDF15 qu’à l’habitude. », explique Marlena Fejzo, professeure en sciences de la santé publique au sein de la Keck School of Medicine et premiere auteure de l’étude.
Pour en savoir plus sur les modifications du GDF15 au cours de la grossesse, l’équipe scientifique a étudié une demi-douzaine de femmes enceintes qui, grâce à un dépistage génétique précédent, produisaient une version légèrement différente de la protéine GDF15 à partir de leur fœtus. Le but étant de « profiter » de cette différence pour déterminer si le GDF15 présent dans le sang de la mère provenait du génome parental ou fœtal : presque tout provenait du fœtus.
L’équipe a également examiné de plus près le lien entre les niveaux de GDF15 et les maladies liées à la grossesse.
Conformément aux recherches précédentes, les questionnaires de plus de 300 participantes ont montré que les personnes ayant signalé des vomissements et des nausées présentaient en moyenne des taux de GDF15 circulant significativement plus élevés que les personnes ne présentant pas ces symptômes. Les chercheurs ont également découvert des taux élevés de GDF15 dans une analyse de plus de 50 femmes hospitalisées pour hyperémèse gravidique. Pourtant, les niveaux d’hormones ne peuvent à eux seuls expliquer la différence dans la gravité de la maladie.
« Il y avait un grand chevauchement dans les niveaux de GDF15 entre les groupes. », souligne auprès de la revue Science le professeur Sir Stephen O’Rahilly, codirecteur de l’Institut des sciences métaboliques et directeur de l’unité des maladies métaboliques du Conseil de recherches médicales de l’Université de Cambridge. Ce dernier a donc soupçonné qu’une sensibilité des femmes enceintes au GDF15 pourrait également jouer un rôle.
Une exposition prolongée au GDF15 avant la grossesse pourrait avoir un effet protecteur
Pour tester cette idée, les chercheurs ont étudié 10 personnes non enceintes présentant une variante génétique rare connue pour présenter un risque accru d’hyperémèse gravidique. Il s’avère que ces personnes présentaient en amont des taux de GDF15 réduits dans leur sang, ce qui laisse entendre que des taux naturellement faibles de cette hormone pourraient prédisposer à des nausées et vomissements pendant la grossesse.
Les chercheurs ont constaté le contraire lorsqu’ils ont interrogé 20 femmes enceintes atteintes de bêta-thalassémie, un trouble sanguin associé à des taux élevés de GDF15, sur leurs symptômes de grossesse : seulement 5 % ont signalé des nausées ou vomissements. Enfin, le Pr O’Rahilly a découvert une tendance similaire dans les expérimentations animales.
Les souris ayant reçu une grande dose de GDF15, simulant la montée de l’hormone pendant la grossesse, ont évité de manger, signe qu’elles ne se sentent pas bien. Mais en leur injectant du GDF15 à libération lente 3 jours avant cette grande injection, ce « prétraitement » a semblé désensibiliser ultérieurement les animaux aux effets de l’hormone.
Autrement dit, le fait de développer la tolérance d’une femme à cette hormone avant la grossesse pourrait être la clé de la prévention de l’hyperémèse gravidique : les patientes souffrant d’hyperémèse pourraient un jour prendre des médicaments pour bloquer les effets de l’hormone dans le cerveau, si les essais cliniques devaient démontrer qu’ils sont sans danger pendant la grossesse. La Pre Marlena Fejzo se félicite de cette découverte, ayant elle-même vécu l’expérience de cette maladie.
« Quand j’étais enceinte, je suis tombée si malade que je pouvais à peine bouger.
Lorsque j’ai essayé de découvrir pourquoi, j’ai réalisé à quel point on savait peu de choses sur mon état, même si les nausées de grossesse étaient très courantes. » Outre un traitement d’avant grossesse il serait aussi possible, selon les chercheurs, d’exploiter le fait qu’une mutation rare dans le gène codant pour le GDF15 entraîne des niveaux anormalement bas de l’hormone, exposant ainsi les femmes enceintes à un plus grand risque d’hyperémèse gravidique lorsqu’elles sont soudainement exposées à un taux plus élevé que d’habitude.
Comment ? Dans le cas où le fœtus hérite également de cette mutation précise : concrètement, dans les grossesses où la mère et le fœtus présentaient tous deux la mutation faible GDF15, les bébés sont nés en bonne santé, ce qui suggère que la réduction des taux de GDF15 pendant la grossesse pourrait aussi être un autre moyen sûr de prévenir l’hyperémèse gravidique. La prochaine étape pour l’équipe de recherche consiste à tester si l’initiation des femmes à l’exposition au GDF15 avant la grossesse peut réduire les nausées et les vomissements ou même prévenir cette condition.
Il s’agira aussi de déterminer si la metformine, un médicament qui augmente les niveaux de GDF15, peut être utilisée sans danger chez les patientes ayant des antécédents d’hyperémèse gravidique lors de précédentes grossesses. Les chercheurs espèrent également tester une classe supplémentaire de médicaments qui pourraient aider à éviter sa survenue en empêchant le GDF15 de se lier à son récepteur dans le cerveau.
Plusieurs de ces médicaments font déjà l’objet d’essais cliniques pour la cachexie (condition métabolique complexe qui entraîne une perte de poids extrême) et pour les patients cancéreux souffrant de nausées et de vomissements.
femina