Mer Rouge : l’Egypte fragilisée par la stratégie d’évitement du canal de Suez par les compagnies maritimes

En pleine guerre entre Israël et le Hamas, les Houthis, soutien de l’organisation terroriste, multiplient les assauts sur la mer Rouge. Des vagues d’attaques de drones et de missiles visent les navires, menaçant de perturber les flux du commerce mondial. Point stratégique de cette région, le canal de Suez risque de voir ralentir le transport des matières premières. Et de provoquer, déjà, la remontée du cours du pétrole. Mais le canal est surtout une rente vitale pour une économie égyptienne en difficulté.

Il est un véritable baromètre des relations internationales, ou, à l’inverse, des conflits armés qui couvent.

Inauguré en 1869 par l’impératrice Eugénie après les travaux du Français Ferdinand de Lesseps, le Canal de Suez est un passage stratégique entre la mer Rouge et la Méditerranée, aujourd’hui emprunté par une cinquantaine de navires en moyenne chaque jour (contre trois l’année de son ouverture), soit 20.000 navires par an.

Il est d’autant plus crucial qu’il permet d’acheminer les ressources aux pays (gaz, pétrole, alimentaires…) et donc d’influencer la résolution des conflits.

Alors qu’il permet de raccourcir de 58 % la distance Bombay-Gênes, le canal de Suez est surtout devenu la troisième source de devises étrangères de l’Egypte, après le tourisme et les transferts d’argent opérés par des émigrés. Nationalisé par le colonel Nasser en 1956, le passage imaginé par Napoléon achemine aujourd’hui environ 10% du commerce maritime mondial.

Dès lors, les rebelles Houthis, soutiens du Hamas face à Israël, veulent s’attaquer à ce passage de 195 km de long afin de déstabiliser les alliés d’Israël. Face à cette menace, les Etats-Unis ont annoncé ce 19 décembre vouloir créer une nouvelle force multinationale de protection maritime. La France, qui est présente dans la zone avec la frégate multi-missions (Fremm) Languedoc qui a abattu en décembre trois drones provenant du Yémen, a salué cette annonce.

Une manne pour l’Egypte
En proie à un enlisement de son économie, l’Egypte est la première concernée en cas d’arrêt des échanges maritimes. Sur l’année fiscale 2022-2023, le canal de Suez a rapporté à l’Etat égyptien environ 8,6 milliards d’euros, un nouveau record.

Cela représente une « hausse de 35% » par rapport aux 6,4 milliards d’euros enregistrés l’année fiscale précédente (juillet-juin), a indiqué le président de l’Autorité du canal de Suez (SCA), Oussama Rabie. Cette augmentation s’explique par une hausse du trafic à la faveur d’un nouveau tronçon creusé en 2014 et 2015, qui facilite désormais le croisement des convois et diminue le temps de transit des navires.

Réélu le 18 décembre pour son troisième mandat, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a d’ailleurs le projet d’élargir encore le canal pour éviter tout accident causant sa fermeture. A ce jour, la limite des bateaux est fixée jusqu’à 240.000 tonnes et 66 pieds de tirant d’eau (20,1 mètres).

Aussi, lorsque le canal de Suez se ferme, c’est une catastrophe économique pour l’Egypte.

En 2021, alors que le navire Evergreen s’était encastré dans le canal bloquant le passage, l’Egypte avait alors perdu entre 12 et 15 millions de dollars par jour de fermeture. Les assureurs avaient alors estimé à des milliards de dollars de perte par jour pour le commerce maritime mondial.

Sur place, les conséquences sont immédiates car le canal emploie, avec ses sept filiales, quelque 15.000 personnes et constitue un monde à part avec ses écoles et ses centres de loisirs. La manne est telle pour le pays que chaque année, l’Egypte annonce une augmentation des frais de transit (+10% à 15% à compter de janvier 2023).

L’économie égyptienne en pleine crise
Cette rente pour l’Egypte est d’autant plus vitale que l’Etat croule sous les dettes. Depuis des mois déjà, l’inflation ne cesse d’augmenter, exacerbée par une dévaluation de la monnaie de près de 50%, en contrepartie de ces aides financières.

En août, l’inflation a ainsi atteint +39,7%, son plus haut niveau historique dans ce pays dont la crise économique ne cesse de s’aggraver, tant les réformes réclamées par ses créanciers tardent à venir.

A l’inverse, le gouvernement finance des projets pharaoniques.

Entre méga-projets du président Abdel Fattah al-Sissi, subventions sur de nombreux produits et politique monétaire de soutien de la livre égyptienne, sa dette extérieure a donc explosé. Elle atteint 90% du PIB. L’Egypte n’a pas hésité à tirer davantage de ressources financières du canal alors que le gouvernement doit négocier avec le Fonds monétaire international (FMI).

Le Caire a ainsi obtenu en décembre son quatrième prêt du FMI depuis 2017, mais les trois milliards de dollars qui lui seront versés sur environ quatre ans pèsent peu, le seul service de la dette pour 2022-2023 s’élevant à 42 milliards de dollars.

Selon l’agence Moody’s, le pays est l’un des cinq qui risque le plus de ne pas rembourser sa dette extérieure.

Pire, 71,5 millions d’Egyptiens dépendent encore du programme public de subventions alimentaires qui inclut le pain, mais aussi le riz, le sucre ou encore les pâtes. En un an, les prix de l’alimentation ont bondi de 71,9%, ceux des transports de 15,2% et ceux de l’habillement de 23,6%.

Résultat, 60% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté ou tout juste au-dessus. Le pays de 105 millions d’habitants, premier importateur de blé mondial, subit de plein fouet la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ses deux principaux fournisseurs.

La flambée du dollar par rapport à la monnaie affecte directement les ménages, puisque la grande majorité des biens sont importés en dollars en Egypte.

ZOOM : Il y a 67 ans, la crise du canal de Suez

– 26 juillet 1956 : Le président égyptien Gamal Abdel Nasser annonce la nationalisation de la Compagnie du Canal de Suez, après le refus anglo-américain de financer la construction du barrage d’Assouan.

– 27: La France et le Royaume-Uni, principaux actionnaires de la Compagnie, bloquent les avoirs égyptiens.

– 1er août: Le secrétaire d’Etat américain, John Foster Dulles, se rend à Londres pour des discussions avec les autorités françaises et britanniques.

Dulles propose un organisme international chargé du contrôle et de la gestion du canal.

– 16-23: Conférence de Londres réunissant les principaux usagers du canal, en l’absence des Egyptiens: 18 des 22 puissances se rallient au plan Dulles.

– 9 septembre : Nasser rejette le plan.

– 19-21: Conférence des « 18 » à Londres pour approuver la création d’une Association des usagers du canal, proposée par Paris et Londres.

– 1er octobre : Troisième conférence de Londres: le Club des usagers du canal est constitué.

– 13: Le Conseil de sécurité de l’ONU définit six principes pour la gestion internationale du canal.

– 24: La France, le Royaume-Uni et Israël signent à Sèvres (banlieue parisienne) un accord secret, visant à reprendre le canal de Suez.

– 29 : Le gouvernement Ben Gourion lance l’opération « Kadesh »: les troupes israéliennes franchissent la frontière égyptienne.

– 30 : Paris et Londres adressent un ultimatum de 12 heures aux belligérants, leur enjoignant de retirer leurs troupes des rives du canal, sans quoi les forces franco-britanniques prendraient position dans la zone.

– 31: Nasser rejette l’ultimatum et rompt les relations diplomatiques avec Londres et Paris. Israël l’accepte.

Les forces franco-britanniques bombardent les principaux aérodromes et détruisent en partie l’aviation égyptienne.

– 1er novembre: Les forces israéliennes s’emparent de Gaza (sous tutelle égyptienne) et du désert du Sinaï.

– 2: Adoption à l’ONU d’une résolution américaine réclamant un cessez-le-feu.

– 3: L’Egypte obstrue le canal en coulant des navires.

– 5: Les parachutistes français et britanniques sautent sur Port-Saïd (opération « Mousquetaire »).

Ultimatum de Moscou qui met en demeure les trois pays d’arrêter leur offensive, les menaçant à demi-mot d’utiliser l’arme nucléaire.

– 6: Débarquement des Alliés qui prennent pied de chaque côté du canal, les Français à Port-Fouad, les Britanniques à proximité de Port-Saïd. Ils entament leur progression vers Ismaïlia (80 km au sud).

– 6 : Cédant au président américain Eisenhower qui menace de laisser s’effondrer la livre sterling, Londres annonce pour minuit un cessez-le-feu, suivi peu après par Paris.

– 11: Nasser accepte l’intervention de la Force d’urgence des Nations unies (Funu), les premiers Casques bleus, qui commencent à se déployer le 15.

– 22 décembre: Départ des derniers détachements britanniques et français.

Israël se retirera de la bande de Gaza et du Sinaï en mars 1957.

– 29 mars 1957: Réouverture du canal à la navigation.

– 13 avril 1958: Par l’accord de Rome, Le Caire s’engage à verser 28 millions de livres égyptiennes aux actionnaires de la Compagnie du canal de Suez.

latribune.

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