Un tribunal russe a ordonné, mercredi, la dissolution du Centre des droits humains de l’ONG Mémorial, gardienne de la mémoire du Goulag et pièce maîtresse de la défense de l’État de droit. Cette décision vient couronner une année d’intense répression contre de nombreux acteurs de la société civile en Russie.
Un tribunal de Moscou a ordonné, mercredi 29 décembre, la dissolution du Centre des droits humains (CDH) de l’ONG Mémorial, au lendemain de l’interdiction de la structure mère de cette organisation emblématique – interdiction qui a suscité l’indignation à l’étranger.
Le tribunal « a décidé d’accéder à la requête du procureur de dissoudre l’organisation de défense des droits Mémorial et toutes les entités rattachées », a déclaré le juge Mikhaïl Kazakov, selon une correspondante de l’AFP.
Dissolution Mémorial : deux juridictions différentes se sont prononcées
L’organisation non gouvernementale est accusée d’avoir enfreint la loi l’obligeant à s’enregistrer comme « agent de l’étranger ».
Mémorial, spécialisée dans le recensement des crimes de l’ère soviétique et la défense des droits de l’Homme, dénonce des accusations politiques.
Anna Dobrovolskaïa, directrice générale du CDH, a expliqué à la sortie du tribunal qu’elle pressentait que le ciblage de Mémorial n’était que la première étape d’une « purge » du secteur de la défense des droits humains par les autorités russes.
« Manifestement, notre travail était devenu trop gênant et a dérangé quelqu’un », a-t-elle déclaré, précisant que cette décision n’était « pas une surprise » pour les équipes de Mémorial mais risquait de dissuader d’autres activistes des droits humains en Russie.
Le CDH de Mémorial dispose d’un réseau de représentations dans le Nord-Caucase, région à majorité musulmane du sud de la Russie, où il a œuvré à documenter les atteintes aux droits humains dans certaines régions comme la Tchétchénie, tout en fournissant une aide juridique et pratique aux victimes.
« Pour chacun d’entre nous, c’est très très dur »
« Coup dur » pour la liberté d’expression
Il maintient également une liste de personnes considérées comme des prisonniers politiques en Russie, par exemple l’opposant Alexeï Navalny et ses soutiens, ou encore des Témoins de Jéhovah ou des musulmans accusés de terrorisme qui, selon Mémorial, ont été les victimes « d’accusations infondées reposant sur des preuves montées de toutes pièces simplement du fait de leur appartenance religieuse ».
Comme la dissolution la veille de Mémorial International par la Cour suprême russe, qui a suscité une vague de critiques à l’échelle internationale, la fermeture du CDH de l’ONG a immédiatement été dénoncée par d’autres organisations de défense des droits humains.
« En deux jours, la justice russe a assené deux coups durs successifs au mouvement pour la défense des droits humains en Russie », a déclaré sur Twitter Rachel Denber, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de l’ONG Human Rights Watch.
La ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, a condamné cette fermeture, qu’elle a qualifiée de « coup dur pour la liberté d’expression en Russie ».
La Cour européenne des droits de l’Homme a pour sa part demandé à Moscou de « suspendre » la décision de dissoudre Mémorial.
Aucun commentaire du Kremlin
Cette offensive judiciaire intervient à la fin d’une année marquée par l’incarcération d’Alexeï Navalny, farouche adversaire du président Vladimir Poutine, par l’interdiction des activités de son mouvement et l’exil contraint de bon nombre de ses alliés.
Aucun commentaire n’a pu être obtenu dans l’immédiat de la présidence russe au sujet de la fermeture du CDH de Mémorial, alors que le Kremlin assure régulièrement ne pas interférer dans les décisions de justice et simplement veiller à l’application des lois afin de lutter contre l’extrémisme et de protéger le pays des influences étrangères malveillantes.
Fondée en 1989 par des dissidents, dont Andreï Sakharov, Mémorial s’est d’abord attachée à documenter les crimes de l’ère stalinienne et à défendre les droits humains en Russie, avant d’élargir ses activités à la répression des opposants sous Vladimir Poutine.
Reuters