En Israël, échec et mat pour Benjamin Netanyahu ?

De notre envoyée spéciale en Israël – Alors que la guerre fait rage à Gaza depuis trois mois, la Haute cour de justice israélienne vient d’infliger un coup dur à Benjamin Netanyahu. Des dispositions clefs de la refonte judiciaire controversée menée par le gouvernement depuis un an ont été annulées. De quoi affaiblir un peu plus la coalition gouvernementale en berne dans les sondages. Entretien.

C’est un énorme camouflet pour Benjamin Netanyahu. Sa réforme de la justice, celle qui avait jeté des millions d’Israéliens dans les rues, a été vidée de sa substance. Le 1er janvier, les juges de la Cour suprême ont décidé à une courte majorité (huit contre sept) d’invalider une loi fondamentale votée en juillet qui les privaient du droit de révoquer les décisions du gouvernement ou du Parlement (la Knesset) au motif qu’elles n’étaient pas raisonnables.

Deux jours plus tard, une autre décision, prise par six voix contre cinq, a reporté à une date ultérieure l’entrée en vigueur de la loi sur la récusation d’un Premier ministre en exercice adoptée en mars dernier.

Cet amendement à la loi fondamentale sur le gouvernement entrera en vigueur au début de la prochaine législature de la Knesset, c’est-à-dire après les prochaines élections.

De quoi fragiliser un peu plus le chef du gouvernement dont le parti s’effondre dans les sondages depuis les attaques du 7 octobre et le début de la guerre. Si les Israéliens étaient appelés aujourd’hui aux urnes, le Likoud n’obtiendrait que la moitié des sièges qu’il occupe (17 contre 32 actuellement).

Décryptage avec Amir Fuchs, chercheur à l’Israel Democracy Institute de Jérusalem.

Amir Fuchs, le 4 janvier 2024 à Kfar Sava.
Amir Fuchs, le 4 janvier 2024 à Kfar Sava. 

France 24 : Quelles auraient été les conséquences de cette réforme si elle n’avait pas été retoquée par la Cour suprême ?

Amir Fuchs : Toutes les composantes de la réforme ont été conçues pour donner les pleins pouvoirs à la majorité de la Knesset, qui est contrôlée par le gouvernement.

En Israël, nous n’avons pas une Constitution formelle. Nous avons des lois fondamentales promulguées au fil des ans et interprétées par la Cour suprême. Elles servent de norme supérieure, de quasi-Constitution.

Si une loi va à l’encontre des lois fondamentales, les juges peuvent dire qu’il s’agit d’une loi inconstitutionnelle et l’annuler.

Cela s’est produit un peu moins de 20 fois en 30 ans. En Israël, nous n’avons pas de réelle séparation entre l’exécutif et le législatif. Le système parlementaire fait que le gouvernement dispose d’une coalition, d’une majorité à la Knesset en permanence. Et il n’y a qu’une seule chambre au Parlement. Si vous avez une majorité de 61 députés, vous pouvez donc faire ce que vous voulez. Le seul frein ou contrepoids, c’est une Cour suprême forte et indépendante.

Avec cette réforme, la coalition pouvait nommer les juges qu’elle souhaite.

Mais aussi tous les autres juges comme le procureur général. Il est le chef du ministère public et traite avec le Premier ministre qui est mis en accusation. Il aurait pu le renvoyer et en choisir un autre qui lui conviendrait mieux. La Cour a décidé que le pouvoir de promulguer une loi fondamentale est limité. Nous revenons à une situation où le gouvernement est soumis à l’examen d’un caractère déraisonnable.

La loi sur la récusation du Premier ministre a également été reportée en précisant qu’elle était « clairement personnelle » pour Benjamin Netanyahu. Qu’est-ce que cela signifie ?

Pendant des dizaines d’années, nous avons eu une loi très vague qui disait qu’en cas d’incapacité du Premier ministre, quelqu’un le remplacerait. Mais elle ne précisait pas les motifs de cette incapacité. S’agit-il uniquement de questions médicales ? Quelle est la procédure ? Rien n’était écrit. Le gouvernement a décidé de modifier la loi sur l’incapacité afin de retirer ce pouvoir au procureur général.

Seul le Premier ministre lui-même aurait pu déclarer son incapacité ou les trois quarts du gouvernement.

Ils ont mis en place toutes sortes de procédures pour que cela n’arrive jamais. L’idée était de tenir compte de la situation de Netanyahu. Une fois qu’elle a été adoptée, il a annoncé qu’il n’avait plus les mains liées. La loi est reportée à la prochaine Knesset : jusqu’aux prochaines élections, la loi sur l’incapacité n’est pas appliquée. Cette question était totalement paranoïaque de la part de Netanyahu.

Benjamin Netanyahu peut-il être destitué ?

S’il y a une majorité de 61 députés, il suffit de procéder à un vote de confiance et de former un nouveau gouvernement. Il n’est pas nécessaire de mettre le Premier ministre en accusation. Et l’incapacité n’est pas une destitution. Ce n’est pas comme l' »impeachment » aux États-Unis. Nous n’avons donc pas besoin d’une mise en accusation, qui est toujours faite politiquement par une majorité au Parlement.

Et cela n’arrivera pas. Nous sommes en temps de guerre, personne ne voudra le faire maintenant.

Personne ne l’utilise jamais parce qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un nouveau gouvernement. Ce qui arrive toujours en Israël lorsqu’un gouvernement perd son soutien politique, c’est qu’il annonce de nouvelles élections. Pour cela, il faut que 61 membres de la Knesset y soient favorables. Toute l’opposition sera d’accord. Les sondages montrent que de nombreuses personnes qui avaient voté pour la coalition y sont désormais totalement opposées. Je ne sais pas quand la guerre prendra fin mais des élections seront annoncées.

Benjamin Netanyahu devra-t-il rendre des comptes à propos des attaques du 7 octobre ?

S’il y a un changement de gouvernement, il y aura une commission d’enquête indépendante nommée par la Cour suprême. C’est une tradition après les catastrophes ou grands échecs comme celui de 1973 ou Sabra et Chatila [1982] au Liban. Elle posera des questions difficiles à Netanyahu, rendra un verdict formel disant qu’il est coupable de négligence et qu’il ne peut plus reprendre ses fonctions. La commission a dit qu’Ariel Sharon ne pouvait pas être ministre de la Défense, et il a été démis de ses fonctions.

Si Benjamin Netanyahu est condamné dans ses divers procès, peut-il rester au pouvoir ?

Selon les lois fondamentales, une fois que la condamnation est définitive, il doit démissionner. Il faudra un an pour que les affaires soient jugées, puis encore au moins un an pour l’appel. Ça sera long. Peut-être qu’après la guerre, Netanyahu conclura une sorte d’accord : il se retire, ne se présente plus aux élections contre l’abandon de certaines accusations.

Non seulement il n’ira pas en prison mais ne sera même pas condamné pour des faits graves qui figurent dans son dossier.

S’il comprend qu’il ne peut pas être réélu, il choisira peut-être cette voie. Et je suis presque sûr que le procureur général voudra conclure un tel accord et ne pas avoir à s’occuper du procès. Encore une fois, il s’agit d’un scénario optimiste. Je ne suis pas sûr que cela se produise. Beaucoup de gens étaient persuadés que cela se produirait il y a des années, lorsqu’il a été inculpé.

Mais il a choisi de se battre et de se présenter encore et encore aux élections. Il n’a jamais abandonné. Il aura peut-être un jour de bons conseillers qui lui diront que c’est le moment de se retirer, qu’il n’est pas assez populaire, qu’il ne sera pas élu. Il en profitera pour clore tous les dossiers criminels.

france24

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