Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont choisi jeudi une équipe gouvernementale clairement de droite, avec Rachida Dati en tête d’affiche du remaniement. Une figure du quinquennat de Nicolas Sarkozy qui doit notamment faire oublier le maintien des poids lourds de la macronie et permettre à l’exécutif de siphonner l’électorat de droite et d’extrême droite en vue des européennes de juin.
Il s’agit sans doute d’un quiproquo. En félicitant Gabriel Attal sur X pour sa nomination comme Premier ministre, Emmanuel Macron avait mentionné, mardi, « la fidélité à l’esprit de 2017 : dépassement et audace ». Au lendemain de l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, vendredi 12 janvier, il apparaît qu’il fallait plutôt comprendre : faire preuve de stabilité tout en allant encore plus à droite, quitte à réinventer l’UMP façon Nicolas Sarkozy.
Car le coup politique de la soirée est indéniablement l’arrivée de l’ancienne garde des Sceaux Rachida Dati au ministère de la Culture. La surprise a été totale, aussi bien du côté de la macronie que chez Les Républicains (LR), qui ont aussitôt annoncé l’exclusion du parti de la maire du 7e arrondissement de Paris.
Et tant pis si elle évoquait, en juin 2021, au lendemain des élections régionales, « l’absence d’idéologie, de convictions » d’Emmanuel Macron, qualifiant les membres d’En Marche de « traîtres de gauche et [de] traîtres de droite », l’essentiel est ailleurs.
Le scrutin d’hier est l’échec patent de Macron et de son gouvernement, de leur absence d’idéologie, de convictions. La République en Marche c’est quoi ? Un parti de traîtres de gauche et de traîtres de droite, qui n’est rien sans Emmanuel Macron. #ElectionsRegionales2021 pic.twitter.com/4JxBmLfhop
— Rachida Dati ن (@datirachida) June 21, 2021
Comme pour les nominations de Pap Ndiaye, d’Éric Dupond-Moretti ou de Roselyne Bachelot lors de remaniements précédents, son arrivée au sein du gouvernement a notamment pour but de faire oublier qu’à ses côtés, ce sont essentiellement les mêmes poids lourds qui restent une nouvelle fois en place.
Bruno Le Maire (Économie), Gérald Darmanin (Intérieur), Marc Fesneau (Agriculture), Sébastien Lecornu (Armées), Éric Dupond-Moretti (Justice) ou encore Christophe Béchu (Transition écologique) ont ainsi été reconduits à leur poste, tandis qu’Amélie Oudéa-Castéra hérite d’un super-ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Les présentations, lors du premier Conseil des ministres qui doit se tenir vendredi matin à 11 h, devraient donc aller vite.
Sur les quinze membres du gouvernement nommés cette semaine, onze étaient déjà présents dans l’équipe d’Élisabeth Borne.
De l'action, de l'action, de l'action et des résultats. pic.twitter.com/PsOpFB2rOB
— Gabriel Attal (@GabrielAttal) January 11, 2024
Chasser sur les terres de l’extrême droite
Mais au-delà de l’arrivée fracassante de Rachida Dati, le principal enseignement de la composition du gouvernement de Gabriel Attal est qu’il s’agit clairement d’un gouvernement de droite. Alors qu’elle était pressentie pour devenir Première ministre en mai 2022, Catherine Vautrin, ancienne ministre de Jacques Chirac, entre cette fois au gouvernement pour prendre, elle aussi, la tête d’un grand ministère qui regroupera le Travail, la Santé et les Solidarités.
Au total, il y a désormais huit ministres issus de LR, dont trois ont la charge de ministères régaliens (Armées, Économie, Intérieur).
Cela « confirme l’ancrage à droite de la macronie qui était déjà très clair pour les Français, notamment avec les deux réformes symboliques sur les retraites et l’immigration », juge le sondeur Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos, interrogé par l’AFP.
Le message envoyé est clair : pour combattre la montée du Rassemblement national en vue des élections européennes de juin, Emmanuel Macron fait le pari, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle de 2007 face à Jean-Marie Le Pen, de siphonner l’électorat de l’extrême droite en chassant sur ses terres. Après l’immigration à l’automne, le pouvoir d’achat des classes moyennes craignant un déclassement social, l’insécurité, la souveraineté et le « réarmement civique » de la jeunesse devraient être des thématiques omniprésentes dans le discours de l’exécutif ces prochains mois.
Et quoi de mieux, pour atteindre cet objectif, que de s’entourer d’anciens proches de Nicolas Sarkozy, ayant une longue expérience politique et l’habitude de faire campagne ?
Le souvenir des européennes de 2019, avec Nathalie Loiseau comme tête de liste de Renaissance, reste douloureux. Diplomate de formation, l’ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes (2017-2019) avait mené une campagne laborieuse, démontrant semaine après semaine qu’elle n’avait pas les qualités et le charisme requis pour emporter l’adhésion des électeurs.
Les postes clés tous occupés par des hommes
Emmanuel Macron entend visiblement disposer cette fois-ci d’un gouvernement pouvant faire campagne tout en gérant les affaires du pays. Exit, par conséquent, la promesse de 2017 de faire de la politique autrement avec des personnalités issues de la société civile. Une époque où le chef de l’État déclarait à ses députés de la majorité qu’ils devaient être « fiers d’être des amateurs ».
Place désormais aux professionnels de la politique capables de mener le service après-vente de leur action, à l’image du nouveau Premier ministre, très à l’aise avec les médias, mais aussi de Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et, bien sûr, Rachida Dati. Peu importe que cette dernière n’ait aucune connaissance particulière du monde de la culture, elle saura rendre son ministère visible grâce à son aura médiatique.
Le troisième et dernier enseignement du casting gouvernemental – qui doit toutefois être complété dans les prochains jours par un certain nombre de secrétaires d’État – concerne l’abandon apparent de la parité, l’égalité entre les femmes et les hommes ayant pourtant été annoncée en 2022, comme en 2017, « grande cause du quinquennat ». Certes, il y a bien eu jeudi soir la nomination de sept femmes et de sept hommes pour composer le gouvernement.
Mais la fonction de chef du gouvernement et les cinq postes régaliens sont désormais tous occupés par des hommes : Gabriel Attal, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Éric Dupond-Moretti et Stéphane Séjourné. Dans le même temps, les trois postes de ministres délégués, situés tout en bas de l’ordre protocolaire, ont été attribués à des femmes.
Même l’arrivée de Rachida Dati ne permet pas de compenser ce déséquilibre.
Elle rappelle en revanche une autre promesse oubliée de 2017, lorsqu’Emmanuel Macron parlait de « République exemplaire ». La nouvelle ministre de la Culture est en effet mise en examen depuis juillet 2021 pour « corruption » et « trafic d’influence passif par personne investie d’un mandat électif public » dans l’enquête sur des contrats noués par une filiale de Renault-Nissan, quand Carlos Ghosn en était le PDG. Son nom est également cité dans une enquête sur les accusations d’enlèvement, séquestration et torture d’un lobbyiste franco-algérien, qui visent notamment le patron du PSG Nasser al-Khelaïfi.
La mairie du 7e arrondissement avait été perquisitionnée dans cette affaire fin juin 2023.
« Un ministre doit quitter le gouvernement lorsqu’il est mis en examen », avait assuré le candidat Macron, en pleine campagne présidentielle marquée par les affaires Fillon. Près de sept ans plus tard, être mis en examen n’est pas un obstacle à une nomination au gouvernement.
france24