Cinq migrants sont morts dans la nuit de samedi à dimanche dans la Manche, alors qu’ils tentaient de rejoindre une embarcation à la mer dans une eau glaciale pour rejoindre le Royaume-Uni. Parmi les rescapés se trouvent des dizaines d’enfants en bas âge et un nourrisson d’un mois.
C’est le premier drame de 2024 au large des côtes françaises.
Cinq personnes ont péri noyées dans la nuit de samedi 13 à dimanche 14 janvier dans la Manche, et un sixième migrant en arrêt cardiaque a été transféré « en urgence absolue » à l’hôpital de Boulogne-sur-Mer, a indiqué la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord (Premar). Un autre exilé est légèrement blessé et 32 personnes ont été secourues, indique l’AFP alors que le quotidien régional la Voix du Nord évoque 71 rescapés, dont une dizaine d’enfants en bas âge et un nourrisson d’un mois.
« C’est le chaos », a déploré au média local le chef des opérations de secours Nicolas Leclet.
« J’ai vu des gens disparaitre en sautant du bateau »
Selon le parquet de Boulogne-sur-Mer, « le bateau a été mis à l’eau à distance du rivage. Douze à quinze personnes étaient à bord, d’autres s’apprêtaient à monter » quand il « a basculé » à cause de « la houle et de la marée montante ». « C’est à ce moment-là que le drame s’est déroulé » aux alentours de 1h45, a-t-il expliqué à l’AFP.
Les exilés ont eu du mal à monter dans l’embarcation en raison des vagues et de l’obscurité.
Un Soudanais de 29 ans a raconté aux journalistes de la Voix du Nord qu’à « peine quelques mètres dans la mer, l’eau nous arrivait à la poitrine. Des personnes parvenaient à attraper le bateau et à grimper dedans. D’autres non ». Le jeune homme a aussi expliqué que « les vagues nous ramenaient vers la plage. J’ai vu des gens disparaitre en sautant du bateau.
C’était quasi impossible de partir ».
Un remorqueur d’intervention, « en patrouille dans la zone », a été mobilisé et l’équipage a identifié sur place « des personnes inanimées et inconscientes » dans une eau à neuf degrés et une température extérieure de quatre degrés, selon la Premar. Dans ces conditions climatiques, les chances de survie sont particulièrement réduites.
Les victimes seraient de jeunes hommes d’origine syrienne, d’après le parquet. Une information qui reste à confirmer.
Enquête ouverte
Les rescapés ont dans un premier temps été conduits dans la salle des fêtes de Wimereux, où s’est produit le drame. Des agents d’astreinte de la ville et le premier adjoint au maire ont distribué de l’eau, du café et du thé aux survivants, précise la Voix du nord. Une cellule médicale a été installée et la Protection civile déployée.
La préfecture a ensuite affrété un bus pour amener les exilés dans un hangar à Calais mis à disposition des migrants dans le cadre du plan grand froid.
Jusqu’en milieu de matinée les » investigations en mer » pour retrouver d’éventuelles personnes en difficultés liées à ce naufrage « se sont poursuivies », a assuré la Premar. Plusieurs bateaux ont sillonné la zone et un hélicoptère de la Marine nationale a survolé le secteur avec un énorme projecteur. « Aucune nouvelle découverte n’a été faite », a ajouté la préfecture. Mais « nous ne sommes pas à l’abri de trouver d’autres corps dans les heures qui viennent ».
Une enquête a été ouverte, notamment pour « homicide involontaire aggravé », « aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière en bande organisée » et « association de malfaiteurs », a signalé le parquet de Boulogne-sur-Mer.
De nombreux départs dans la nuit
Cette nuit-là, les départs ont été nombreux. Selon la Premar, au total, « 182 personnes ont été secourues au large par des moyens français » au cours de la nuit de samedi à dimanche et dans la journée de dimanche. et au total ce week-end, 400 exilés ont été pris en charge par les forces françaises.
Les migrants ont profité d’une accalmie pour tenter la traversée.
« Nous avons eu 26 jours consécutifs de mauvais temps. Là, les personnes ont profité de conditions un peu meilleures pour partir. Mais on voit bien que la situation n’était pas plus favorable », note Mathilde Potel, commissaire à la direction zonale de la police aux frontières du Nord, interrogée par la Voix du Nord.
Pour les autorités, ce drame « nous démontre une nouvelle fois l’importance de notre mission de lutte contre les réseaux de passeurs et contre les traversées maritimes », a estimé lors d’un point presse le préfet du Pas-de-Calais (nord), Jacques Billant.
« Ce sont là des réseaux criminels qui font courir des risques inconsidérés aux populations migrantes. Prendre la mer dans une eau à sept degrés, c’est aller à la mort avec une durée de vie limitée à dix minutes en cas de chavirage », a-t-il ajouté.
Ce phénomène des « taxi-boats » s’est particulièrement développé ces derniers mois.
Des bateaux pneumatiques partent plus au sud du littoral, souvent dans la Somme, où les contrôles sont moins fréquents, avec quelques personnes seulement – passeurs ou migrants – à bord. Ils mettent dans un premier temps le cap au nord, vers les plages plus proches de Calais, où se cachent les passagers ayant payé pour la traversée. Ceux-ci se jettent alors à l’eau pour embarquer : selon le droit maritime, les policiers ne peuvent pas interpeller les bateaux déjà en mer.
Avec cette méthode particulièrement dangereuse, les exilés attendent les embarcations dans les eaux glaciales de la Manche, et sont parfois immergés jusqu’au torse.
« Nous devons stopper les bateaux »
Le chef de la diplomatie britannique David Cameron a affirmé à la BBC que cette nouvelle « déchirante » lui « brisait le cœur ». Mais elle « montre aussi à quel point nous devons stopper les bateaux, stopper ces trafics et les êtres humains qui sont derrière », a-t-il ajouté. « Dans un monde idéal, nous renverrions juste ces personnes en France, et le trafic s’effondrerait. Mais ce n’est pas possible, et c’est pour cela que nous poursuivons cette politique avec le Rwanda », a-t-il poursuivi.
Les députés britanniques doivent se prononcer cette semaine sur le projet de loi permettant d’expulser vers le Rwanda les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni.
« Nous avons perdu le contrôle de nos frontières et nous devons faire quelque chose pour arrêter les bateaux. Maintenant, je pense que le point de départ pour cela est de s’attaquer aux gangs criminels qui mènent ce trafic ignoble », a réagi pour sa part Keir Starmer, leader de l’opposition travailliste, sur la BBC.
Mais le maire de Wimereux, Jean-Luc Dubaële, pointe du doigt les autorités françaises et britanniques, coupables, selon lui, du drame.
« Il est temps que l’État prenne les choses en main et tape sur la table au niveau des Anglais qui sont responsables de ces tragédies », fustige l’édile avant d’ajouter, en pesant ses mots : « Les passeurs sont eux aussi responsables de cette situation bien entendu, pour moi ce sont des assassins. »
Douze migrants ont perdu la vie en 2023 en tentant de traverser la Manche, selon la Premar.
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