Emmanuel Macron a qualifié l’infertilité de « tabou du siècle » lors de sa conférence de presse mardi soir. Le président français a annoncé le lancement d’un « grand plan » pour affronter ce problème qui concerne plus de 3 millions de personnes en France. Un enjeu majeur de santé publique qui n’a jusqu’à présent jamais été traité comme tel.
Le « tabou du siècle ». Ce sont les termes utilisés par Emmanuel Macron lors de son annonce, mardi 16 janvier, d’un « grand plan » pour lutter contre l’infertilité dans l’optique d’un « réarmement démographique » de la France, dont la natalité baisse (voir encadré).
Une annonce qui n’en est pas vraiment une puisque ce plan était attendu et prévu par la loi de bioéthique de 2021.
Selon un rapport remis au gouvernement en février 2022 dans le prolongement de cette loi, en France, environ un couple sur quatre désirant des enfants ne parvient pas à concevoir naturellement après 12 mois d’essais ou plus, délai correspondant à la définition de l’infertilité par l’OMS. L’équivalent de 3,3 millions de personnes.
Virginie Rio est l’une d’elles. Après plusieurs années d’essais infructueux, elle a enfin réussi à tomber enceinte par PMA.
Mais son parcours a été semé d’embûches, notamment en raison du manque de considération de la part du corps médical.
« On me disait que les femmes avaient des problèmes psychologiques, qu’il fallait que je me détende », raconte-t-elle. Virginie Rio dénonce un paternalisme qui contribue à la stigmatisation des couples infertiles. « C’est un discours qui est très culpabilisant pour les femmes. On leur fait comprendre que c’est de leur faute si elles n’arrivent pas à avoir d’enfants. » Présidente et cofondatrice du Collectif Bamp !, une association qui accompagne les couples concernés, elle appelle à une meilleure prise en charge de l’infertilité.
Des causes sociétales, environnementales et médicales
Mieux prendre en charge l’infertilité nécessite d’en comprendre les origines. Les études montrent que la probabilité d’obtenir une grossesse diminue avec l’âge. À moins de 30 ans, une femme a 85 % de chances de tomber enceinte dans l’année qui suit, d’après une étude publiée en mai 2020 dans la revue Upsala Journal of Medical Sciences. À 30 ans, les chances diminuent à 75 %.
Elles sont de 66 % à 35 ans et de 44 % à 40 ans.
Mais cet argument peut renforcer le sentiment de culpabilité. « Le stigmate selon lequel les femmes sont considérées comme les seules responsables de l’infertilité est très ancré dans l’imaginaire populaire, souligne Élise de La Rochebrochard, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined).
Il ne faut pas renforcer cette représentation qui assigne les femmes à la reproduction, alors que c’est également une question qui concerne les hommes. »
Ce recul de l’âge de la maternité est lié à une multitude de facteurs sociétaux. Les sociologues citent la généralisation du travail féminin et l’accès aux techniques contraceptives. La baisse du désir d’enfant chez les jeunes générations, la recherche d’une stabilité professionnelle et affective avant d’avoir un enfant, ou encore la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle peuvent aussi y contribuer. Or, plus la demande d’accompagnement pour les couples infertiles est tardive, plus les chances de succès sont faibles.
Des causes médicales, comme l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) ou des troubles de la production de spermatozoïdes, peuvent aussi être à l’origine d’infertilité.
Par ailleurs, une méta-analyse réalisée en 2017 a montré que la concentration moyenne de gamètes dans le sperme a chuté de 50 % entre 1973 et 2011. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette baisse : le tabagisme, l’alcool ou encore l’obésité. La pollution et l’exposition régulière aux perturbateurs endocriniens sont aussi pointées du doigt.
« La baisse de la qualité du sperme est un sujet préoccupant, mais il ne faut pas paniquer, veut rassurer Micheline Misrahi-Abadou, professeure et praticienne hospitalière à l’université Paris-Saclay. Les concentrations actuelles de 40 ou 50 millions de gamètes par millilitre, même si elles sont inférieures à celles d’autrefois, sont encore largement suffisantes à une fertilité. »
Que faire pour y remédier ?
Quand l’infertilité est liée à des causes médicales, des traitements hormonaux permettent de favoriser une grossesse. La PMA (procréation médicalement assistée), aussi appelée AMP (assistance médicale à la procréation) – accessible à toutes les femmes depuis 2021, sans critère médical d’infertilité – constitue une porte de sortie pour de nombreux couples infertiles. Mais les professionnels l’affirment, elle n’est pas toujours nécessaire.
« Une part des trois millions de personnes qu’on estime concernées par l’infertilité peut être due au fait que les couples vont directement à la PMA, pointe Micheline Misrahi-Abadou, tout en comprenant l’impatience à devenir parents. « L’infertilité est une souffrance terrible, vécue comme un drame, surtout lorsqu’on n’en connaît pas la cause. Mais la PMA peut être une souffrance supplémentaire, avec 40 % d’échecs en moyenne. »
De nombreux couples désireux d’avoir un enfant passent par des examens et des traitements qui peuvent être coûteux et éprouvants. L’infertilité est un défi non seulement sur le plan social, mais aussi sur le plan professionnel.
« Les protocoles d’AMP sont souvent chronophages et peu couronnés de succès, ce qui peut rendre difficile de concilier vie professionnelle et traitement, explique Virginie Rio. Les employeurs attendent souvent des employés productifs et présents, mais les traitements d’AMP peuvent nécessiter des absences du travail ou des retards. »
Dans le rapport sur l’infertilité remis au gouvernement, les auteurs recommandent une meilleure information du public dès le collège, ainsi que l’instauration de consultations ciblées pour repérer les facteurs d’altération de la fertilité. Ils soulignent également la nécessité d’informer sur la teneur en phytoestrogènes des produits alimentaires (susceptibles de provoquer des troubles de la fertilité) et de renforcer la formation des médecins et des autres professionnels de santé.
« Un sujet maltraité par la société »
Dans le même temps, les chercheurs s’efforcent de mieux comprendre les facteurs et les mécanismes à l’origine de l’infertilité. « L’identification des causes de l’infertilité est une condition indispensable à l’amélioration des traitements », martèle Micheline Misrahi-Abadou, insistant sur la génétique comme un outil essentiel.
« Lorsqu’on ne parvient pas à identifier la cause d’une infertilité, il est possible d’utiliser l’analyse de l’ADN, comme dans toutes les spécialités médicales, pour la rechercher », poursuit celle qui est responsable du premier laboratoire de référence pour les infertilités génétiques à l’hôpital Bicêtre. « L’objectif final est de définir une thérapie ciblée avec des médicaments qui pourront agir directement. »
Selon les expertes interrogées par France 24, l’infertilité est une problématique de santé publique qui n’a pas été suffisamment prise en compte.
Elles espèrent que les annonces d’Emmanuel Macron seront suivies d’effets. « L’infertilité reste un sujet maltraité par la société et maltraitant pour les personnes concernées », dénonce Virginie Rio qui, avec son association, a « l’impression de s’agiter dans un désert depuis dix ans. » Micheline Misrahi-Abadou abonde en ce sens. « L’infertilité n’est pas une maladie mortelle et est donc considérée comme moins grave que d’autres pathologies », explique la professeure.
Le « tabou du siècle », dénoncé par le président, va-t-il enfin être brisé ?
« L’infertilité est un tabou, mais elle n’est pas la seule question de santé reproductive qui soit encore difficile à aborder », rappelle Élise de La Rochebrochard. « Les menstruations et l’avortement sont des sujets dont on parle encore trop peu. »
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