Est-ce qu’Israël a créé et financé le Hamas ? « C’est plus complexe que cela », selon un expert

C’est une déclaration qui fait du bruit, vendredi soir, lors d’une conférence dans une université espagnole, Josep Borrel, le chef de la diplomatie européenne a accusé Israël d’avoir « créé » et « financé » le mouvement islamiste palestinien Hamas, au pouvoir à Gaza et à l’origine de l’attaque sans précédent du 7 octobre en sol israélien. « Le Hamas a été financé par le gouvernement israélien pour tenter d’affaiblir l’Autorité palestinienne du Fatah. Mais si nous n’intervenons pas fermement, la spirale de la haine et de la violence se poursuivra de génération en génération, de funérailles en funérailles », a-t-il déclaré.

Mais est-ce la réalité ? Est-ce qu’historiquement, le Hamas a été soutenu par le gouvernement israélien? Nous avons posé la question à Michel Liégeois, professeur de Relations internationales à l’UCLouvain : « Le problème n’est pas tellement que ce que monsieur Borrell dit est inexact ou faux, mais c’est que ce n’est pas suffisamment contextualisé et détaillé », explique l’expert.

oui, Israël a soutenu les Frères Musulmans à la base mais le Hamas n’en est qu’une émanation spécifique

« Historiquement, Israël met pour la première fois les pieds à Gaza en 1967, à l’issue de la guerre des Six Jours. Puisqu’avant cela, le territoire gazaoui qui est aujourd’hui la bande de Gaza, ne faisait pas partie de l’Etat d’Israël dans le cadre du plan de partage. C’est, à l’époque, un territoire palestinien », explique Michel Liégeois. « Pour des raisons de sécurité, Israël maintient sa présence et occupe Gaza. Elle y trouve à ce moment-là une seule organisation un peu structurée : l’organisation des Frères musulmans. Ensemble, ils trouvent un modus operandi. Les Frères Musulmans vont aider Israël à administrer la bande de Gaza.

Cela permet à Israël de ne pas devoir y perdre trop d’énergie et d’argent. »

Cette reconnaissance et cette aide vont se réaliser avec une contrepartie :  » Israël va, en échange, financer un certain nombre de projets, notamment la construction de mosquées », explique Michel Liégeois. Cette « entente » dure 20 ans, jusque dans les années 80 : « En 1987, le Hamas est créé. Le Hamas est bien l’émanation politico militaire, plus radicale, de la mouvance des Frères musulmans. Donc oui, Israël a soutenu les Frères Musulmans à la base mais le Hamas n’est qu’une émanation spécifique, politique, de cette organisation. Il est important de le préciser », ajoute l’expert.

Aider les ennemis de ses ennemis, c’est une tactique vieille comme le monde

Soutenir les Frères Musulmans pour déstabiliser le Fatah ?

Dans sa déclaration, Josep Borrell explique que si Israël a créé le Hamas et l’a financé, c’est pour déstabiliser le Fatah, mouvement nationaliste palestinien laïque. Là aussi, Michel Liégeois apporte une nuance aux propos du chef de la diplomatie européenne:  » C’est vrai qu’à ce moment, la lutte pour le pouvoir et pour l’influence au sein de l’ensemble des partis politiques ou des mouvements palestiniens est très forte. Le Hamas apparaît comme un rival du Fatah puisqu’il propose une organisation politique totalement différente, basée sur le Coran. »

Se met alors en place une autre dynamique à Gaza : « Une lutte fratricide extrêmement dure va commencer entre ces différentes factions, ces différentes visions au sein du peuple palestinien et de la lutte contre Israël » analyse Michel Liégeois. Mais alors, peut-on affirmer qu’Israël a aidé le Hamas à gagner du terrain contre le Fatah ? :  » À certains moments, de façon ponctuelle, dans le cadre d’opérations menée par les services secrets israéliens, il n’est pas exclu qu’ils n’aient pas jugé utile d’affaiblir un peu le Fatah, de lui rendre la vie un peu plus difficile. Donc on ne peut pas totalement exclure cette possibilité. »

Le professeur remet cependant cela dans un contexte géopolitique global : « C’est le genre de choses que toutes les puissances font. Les Etats-Unis ont aidé les combattants afghans en leur fournissant des missiles antiaériens, lors de l’occupation de l’Afghanistan par l’URSS. Donc aider les ennemis de ses ennemis, c’est une tactique vieille comme le monde. Il n’y a pas de raison particulière d’exclure qu’à un moment ou un autre, Israël ait pu y avoir recours. »

Une déclaration qui demande des clarifications
Cette déclaration du chef de la diplomatie fait la une de la presse ce samedi. Pour Michel Liégeois, il s’agit d’une erreur de communication de Josep Borrell : « Je pense qu’il n’aurait pas dit les choses de cette façon s’il s’était agi d’une déclaration officielle ou d’une conférence de presse. Quand on fait une conférence, on a un peu l’impression d’être isolé. Monsieur Borrell est quelqu’un de très grande expérience. Ça fait longtemps maintenant qu’il exerce la fonction qu’il exerce au niveau de l’Union européenne. Mais je trouve qu’il a peut-être ici commis une imprudence. Sorti du contexte, ce sont des propos qui évidemment posent problème notamment vis-à-vis du gouvernement israélien.

Dans le contexte actuel, accuser le gouvernement israélien d’être à l’origine de la création du Hamas, c’est évidemment des propos qui font sursauter. »

Selon lui, Josep Borrell va donc devoir s’expliquer : « Je ne peux pas imaginer que le gouvernement israélien ne va pas répondre à cette déclaration. Il va, à tout le moins, demander des explications sur la signification exacte des propos. Israël va aussi mettre au défi la cohésion de l’Union européenne. Est-ce que monsieur Borrell exprime LA voix de l’Union européenne ou est ce qu’il s’exprimait à titre personnel ?

Il va devoir réagir et préciser son propos. »

Une déclaration qui risque aussi de faire réagir les leaders européens. Hier, les Etats membres de l’Union européenne ont renforcé leur arsenal de sanctions contre le Hamas, visant cette fois les personnes ou entités qui soutiennent financièrement ou matériellement l’organisation, considérée comme terroriste par l’UE. Les 27 ont d’emblée visé six personnes. Leurs avoirs situés dans l’Union européenne seront gelés, et elles-mêmes ne peuvent plus entrer sur le territoire européen.

rtbf

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