Le chalutage remobilise le CO2 stocké depuis des millénaires dans les sédiments

Une étude montre que le chalutage profond, qui ravage le fond des océans et la vie marine, perturbe également les sédiments marins, qui stockent le carbone sur des millénaires et plus. Ce CO2 rejoint ainsi la colonne d’eau puis la surface. En 7 à 9 ans, la moitié de ce puissant gaz à effet de serre aura rejoint l’atmosphère. Une donnée inquiétante qui n’est pas encore prise en compte par les modèles de réchauffement global.

Les océans sont les principaux puits naturels de carbone de la planète, notamment via la photosynthèse du phytoplancton qui, à partir du CO2, produit la moitié de l’oxygène de la planète. Ce premier maillon de la chaîne alimentaire marine favorise ainsi la dissolution dans l’océan du CO2 atmosphérique.

Celui-ci va ensuite permettre aux organismes marins de constituer leurs squelettes et coquilles.

A leur mort, squelettes, coquilles calcaires et carbone organique s’abîment en « pluie » vers le plancher océanique où ils se sédimentent. Une fois enfoui dans les sédiments, le carbone organique peut rester piégé sous une forme non minéralisée pendant des millénaires, voire des milliards d’années.

Traîner un lourd filet de pêche sur le plancher océanique, une source importante de pollution par le carbone

« Toutefois, les perturbations des fonds marins par les activités humaines menacent la permanence de ce carbone marin, avertit Trisha Atwood de l’Utah State University and Pristine Seas, premier auteur d’un article paru dans Frontiers in Marine Science. 

Le chalutage de fond –le fait de traîner un lourd filet de pêche lesté sur le plancher océanique et de remettre en suspension une partie du carbone contenu dans les sédiments du plancher océanique– est une source importante de pollution atmosphérique par le carbone. »  

Environ 80% de la pêche profonde dans le monde est menée avec des chaluts profonds.

Nombre d’ONG s’inquiètent depuis quelques années de cette méthode de pêche qui arrache, détruit, arrase et capture sans distinction tout ce qui se trouve sur son passage. Ce qui entraîne une énorme déperdition, « puisqu’en moyenne environ la moitié du contenu du filet est rejetée à la mer », explique l’association Bloom.

Cette méthode de pêche non sélective est aujourd’hui considérée par les chercheurs comme la plus destructrice existante.

Une étude parue en 2021 avait déjà montré que les filets et les panneaux du chalut qui peuvent tracer des sillons d’un mètre de profondeur libèrent dans l’eau des panaches de dioxyde de carbone. L’étude publiée aujourd’hui montre que 55 à 60% de ce carbone extrait des sédiments rejoindra l’atmosphère en l’espace de sept à neuf ans, voire en quelques mois selon l’emplacement géographique et la profondeur d’eau du chalutage de fond.

Panneau de chalut de fond. 
Port de la Turballe, panneau de chalut de fond. Bretagne
 Crédit : Jeanne Menjoulet

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont utilisé des données de pêche à l’échelle mondiale recueillies par satellite entre 1996 et 2020 et des modèles de circulation océanique et du cycle du carbone.

Ils estiment ainsi que les lourds engins de pêche traînés sur le fond marin mélangent et remettent en suspension les sédiments, exposant chaque année des centaines de millions de tonnes de carbone organique enfouis à une possible dégradation microbienne.

Celle-ci le remobilise dans la colonne d’eau, d’où il va à terme rejoindre la surface.

Jusqu’à 370 centaines de millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère

Selon cette étude, ce processus aurait pu rejeter chaque année jusqu’à 370 centaines de millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère et altérer localement le pH (l’acidité) de l’eau dans certaines mers semi-fermées et fortement chalutées.

Des études récentes ont montré que la quantité annuelle de CO2 libérée dans l’océan par ce type de pêche est supérieure aux émissions de la plupart des pays et potentiellement le double de celles de la flotte de pêche mondiale, soit 4,1 millions de navires en 2020 selon l’ONU.

chaluts jumeaux Crédit : Ifremer/Deschamps

Chaluts jumeaux.

L’étude dirigée par Trisha Atwood identifie des régions océaniques où les émissions de carbone dues au chalutage de fond sont particulièrement intenses : la mer de Chine orientale, la mer Baltique, la mer du Nord, et la mer du Groenland, qui s’étend entre le Groenland et l’archipel du Svalbard.

Il est probable que l’Asie du Sud-Est, le golfe du Bengale, la mer d’Arabie, l’Europe et le golfe du Mexique soient aussi des sources majeures d’émissions de carbone, mais le manque de données ne permet pas à ce jour de le constater.

Pour les auteurs, il est aujourd’hui essentiel de s’attaquer à ces émissions pour ralentir le réchauffement de la planète et restaurer la vie marine.

sciencesetavenir

You may like