Le premier essai clinique par thérapie génique contre la surdité de l’enfant promet une avancée aussi importante que l’arrivée des implants cochléaires. Nommée Audiogene, l’étude espère rétablir l’audition chez douze enfants de moins de trois ans atteints d’une forme génétique de surdité profonde.
C’est une vraie « rupture thérapeutique » qui s’annonce dans la prise en charge de la surdité profonde chez l’enfant, anticipe Natalie Loundon, directrice du Centre de Recherche en Audiologie Pédiatrique, oto-rhino-laryngologiste pédiatrique et chirurgien de la tête et du cou à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP, Paris). Elle participe à Audiogene, le premier essai clinique de thérapie génique contre la surdité de l’enfant, dont les résultats chez l’animal laissent espérer une réversion de l’audition chez douze petits patients jusque-là destinés à dépendre des implants cochléaires.
Rémission totale de l’audition chez des souris porteuses d’une rare surdité héréditaire
Un véritable « alignement des planètes » donne à Natalie Loundon d’excellentes raisons d’espérer une rémission pour 2 à 8% des cas de surdités héréditaires. Aussi dite DFNB9, cette surdité est caractérisée par une mutation empêchant la production de la protéine otoferline, sans laquelle l’information auditive ne circule pas au niveau des synapses des cellules sensorielles dédiées.
C’est le premier candidat et le meilleur actuellement pour ces nouveaux traitements par thérapie génique, explique la chirurgienne, car en dehors de l’absence de l’otoferline, le système auditif est fonctionnel.
De plus, le modèle murin (souris) reproduisant la surdité DFNB9 est très fidèle à la réalité de la maladie chez l’humain, ce qui est loin d’être toujours le cas. Or, les études réalisées sur ces souris ont montré la récupération d’une audition normale après une seule injection de la thérapie génique SENS-501, développée par la biotech Sensorion. Des résultats d’autant plus impressionnants qu’ils concernent des souris adultes, dont le système auditif est mature.
Douze enfants de moins de trois ans recevront la thérapie génique
Dans sa transposition à l’humain, l’essai clinique Audiogene se concentrera sur douze enfants de 6 à 31 mois, afin de maximiser les chances non seulement d’une meilleure efficacité du traitement, tant que le système nerveux est en maturation, mais également pour donner les meilleures chances à l’enfant de développer le langage normalement. Six mois, cela peut paraître jeune, mais en réalité c’est à cet âge que commencent les implantations cochléaires, pointe Natalie Loundon.
Un appareillage précieux et nécessaire, mais qui nécessite quatre chirurgies dans le cours de la vie afin d’en faire évoluer la partie interne, sans compter les contraintes d’entretien et de port au quotidien.
L’injection de SENS-501, a contrario, se fait en une seule chirurgie, en insérant un très petit cathéter développé à cette fin dans une des membranes ouvrant sur la cochlée. « La cochlée est un espace clos, majoritairement osseux et relativement isolé du reste du corps », explique Natalie Loundon. Le produit ne peut donc pas, comme pour certaines thérapies géniques, être injecté dans la circulation afin qu’il trouve lui-même sa cible.
« L’avantage, c’est que l’injection se fait directement dans l’espace où se trouvent les cellules cibles, ce qui permet d’obtenir de belles concentrations avec très peu de produit, à peine une dizaine de gouttes. » Dans le traitement, le couple d’adénovirus modifiés pour transporter chacun une partie du long ADN codant pour l’otoferline pénètrera ensuite dans les cellules qui en sont dépourvues pour en restaurer l’intégrité.
De grands espoirs
En raison de la rareté de la maladie, les douze enfants seront recrutés et opérés courant 2024 dans les centres de référence de plusieurs pays d’Europe, en Allemagne, en Angleterre et en Italie, en plus de l’hôpital Necker en France. « L’idée est d’ouvrir le plus de centres experts possibles, au plus près des patients, avec des médecins experts de la chirurgie de l’oreille interne chez l’enfant », annonce Natalie Loundon.
« Au vu des éléments précliniques obtenus sur la souris, il est raisonnable de penser qu’il y aura d’excellents résultats chez le nourrisson », ajoute-t-elle.
Pour autant, il se peut que la rémission ne soit pas de 100%, et que certains patients doivent toujours porter un petit appareil auditif. Reste que les attentes sont immenses. « Je pense que cette nouvelle thérapie est une avancée aussi majeure que celle qu’a apportée l’implantation cochléaire il y a 30 ans », s’enthousiasme la chirurgienne. Il faudra attendre début 2026 pour que les premiers résultats tombent, un an après l’injection du médicament.
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