Pourquoi l’accord entre le Mercosur et l’Union européenne attise la colère des agriculteurs

L’abandon de ce projet d’accord de libre-échange négocié entre le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay, l’Argentine et les 27 États de l’Union européenne est au cœur des revendications des producteurs agricoles français. Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen pour les réformes économiques, résume les enjeux de ce traité en discussion depuis les années 1990.

• Que contient l’accord ?

Ce projet d’accord inclut deux volets : le premier est politique, le second commercial et dit « de libre-échange ». Il a été parfois résumé comme un partenariat « viande contre voiture ». C’est réducteur, mais cela résume le double enjeu pour les pays signataires. Ceux du Mercosur qui exportent principalement des produits alimentaires et agricoles, et les Européens qui entendent vendre du lait, du vin, des spiritueux ou encore des automobiles, de la chimie et des produits pharmaceutiques.

Cet accord a pour ambition de faciliter l’accès de ces biens aux deux parties sans taxes douanières, notamment. Les droits de douane par exemple sur les voitures et sur les équipements industriels européens exportés vers le Mercosur – respectivement de 35 % et de 14 % à 20 % – seraient supprimés.

• Où en sont les négociations ?

Il y a eu plusieurs suspensions et relances du processus de négociation, qui a commencé dans les années 1990, avant d’aboutir sous sa forme actuelle en 2019. Le principal point de crispation vient des impacts environnementaux et sanitaires des politiques agricoles sud-américaines, notamment concernant la déforestation, et donc les effets induits sur le climat et la biodiversité. Les Européens étaient en particulier fermement opposés à l’approche du président brésilien Jair Bolsonaro (2019-2023). L’élection de Luiz Inácio Lula da Silva, en janvier 2023, a permis de relancer les discussions, mais le contenu du texte n’a pas changé.

• Pourquoi le projet fait-il débat ?

L’accord fait l’objet de critiques des deux côtés de l’Atlantique. Dans les pays du Mercosur, de nombreux syndicats de travailleurs craignent qu’il ait des conséquences sur leur activité en raison d’une hausse des importations européennes. Par ailleurs, les organisations de défense des peuples autochtones redoutent aussi que l’augmentation des productions agricoles ne se fassent au prix de violations des droits humains.

Au sein de l’Union européenne, la France est le principal opposant au texte. Paris s’inquiète particulièrement d’une concurrence déloyale des productions agricoles en provenance d’Amérique du Sud vis-à-vis de ses agriculteurs. L’Allemagne, elle, au contraire, y voit de nouveaux débouchés pour ses industries automobiles et chimiques. L’Espagne et le Portugal soutiennent aussi cet accord en raison des proximités historiques et culturelles fortes avec les pays du Mercosur.

• Quels sont les points de divergences dans la réglementation des normes ?

Les divergences règlementaires entre les pays du Mercosur et ceux de l’UE sont nombreuses. C’est notamment le cas dans le domaine agricole. Certains pesticides sont interdits dans l’Union européenne, mais sont autorisés au Brésil ou en Argentine. Il en est de même concernant les pratiques d’élevage pour lequel ces pays ont recours aux antibiotiques comme activateurs de croissance.

Les règles environnementales sont aussi très différentes et peuvent créer des distorsions de concurrence. Pour la France, c’est une ligne rouge. Paris veut négocier des clauses miroir. Il s’agit d’obtenir des normes de production communes ou de trouver un terrain d’entente pour équilibrer ces désaccords.

• En quoi l’accord serait économique, mais aussi politique ?

Du point de vue européen, les défenseurs de cet accord mettent aussi en avant les effets positifs qu’il pourrait induire. Notamment, parce que le traité obligera dans une certaine mesure les pays du Mercosur à adopter des normes sociales et environnementales plus exigeantes pour exporter vers l’Europe. L’importation de véhicules européens moins polluants permettra aussi réduire les émissions de gaz à effet de serre dans ces pays. Ce texte a aussi une portée diplomatique pour les États membres de chacune des communautés en facilitant les échanges politiques, voire à terme l’adoption d’accords bilatéraux.

rfi

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