Islamabad– Aamir Mughal brandit fièrement une aubergine. Candidat aux élections de jeudi au Pakistan, il tente de rallier à l’étendard saugrenu qui lui a été attribué les électeurs attroupés devant lui, en détournant à son avantage un symbole qui confine à l’absurde.
« L’aubergine est maintenant un symbole célèbre dans tout le Pakistan », ironise ce candidat à la députation dans la capitale Islamabad et partisan de l’ancien Premier ministre Imran Khan, actuellement emprisonné.
Au Pakistan, où le taux d’alphabétisation n’est que de 60%, les partis politiques recourent à des symboles pour faire identifier leurs candidats pendant la campagne et sur les bulletins de vote.
Mais alors qu’une répression orchestrée par l’armée s’abat sur l’opposition, certains candidats accusent les autorités d’entraver leur campagne en leur attribuant des logos qu’ils considèrent incongrus voire même infamants.
Imran Khan n’a pas été autorisé à se présenter et son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), s’est vu interdire d’utiliser son symbole de longue date: une batte de cricket.
Les candidatures de dizaines de responsables du PTI ont été rejetées.
Les autres doivent concourir en indépendants et nombre d’entre eux ont rapporté être victimes de harcèlement ou être contraints à se cacher.
Certains se sont vu allouer de manière discrétionnaire des emblèmes parfois farfelus et ont bien du mal à faire décoller leur campagne.
Un porte-parole de la Commission électorale a expliqué que les symboles étaient choisis parmi une liste destinée aux candidats indépendants et « sont exclusivement de la prérogative des directeurs de scrutin ».
L’aubergine – ou « baingan » en ourdou, la langue nationale – est un ingrédient majeur de la cuisine pakistanaise. Mais elle cache aussi d’autres allusions, étant notamment utilisée comme émoji suggérant l’anatomie masculine.
« Une renommée extraordinaire »
« La Commission électorale nous a attribué ce symbole pour se moquer de nous », s’insurge Aamir Mughal, 46 ans.
Mais le candidat a embrassé son destin. Il est partout flanqué d’un assistant qui porte un sac bourré du légume violet. Aamir Mughal l’agite comme une mascotte et prononce ses discours devant une guirlande d’aubergines.
Quand il s’adresse au public, il la lève dans les airs et la contemple. Sa campagne a tellement gagné en popularité qu’il jure que le prix des aubergines a été multiplié par quatre sur les étals.
« Ce symbole m’apporte une renommée extraordinaire », assure-t-il.
Ejaz Gaddan dépeint, avec un brin de romantisme, sa circonscription dans la province du Pendjab comme sa terre ancestrale, la « dernière demeure » de ses aïeux. Le hasard faisant parfois étonnamment les choses, on lui a alloué comme symbole un lit.
« Ils essaient de nous humilier avec ces symboles.
Certains candidats sont gênés de dire aux gens lequel ils ont reçu », estime ce candidat de la circonscription de Bahawalpur, âgé de 50 ans.
« Ce n’est pas une élection, c’est de la cruauté », soupire-t-il. Son emblème est un « charpai », un lit traditionnel fait d’un cadre en bois tissé de cordes, usuel dans les familles pauvres.
« C’est un objet domestique très utile. Quand on est en vie, le charpai nous permet de nous reposer. Quand on meurt, il nous emmène pour notre dernier voyage », observe Ejaz Gaddan.
« Un préjugé négatif »
« Mon symbole est dans chaque foyer. Je n’ai pas besoin de le présenter à mes électeurs », ajoute-t-il, en essayant de regarder le bon côté des choses.
La Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), le parti de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, qui aurait le soutien de l’armée, fait campagne avec un félin pour symbole. Mais Ejaz Gaddan reste imperturbable.
« Le lion est une bête assoiffée de sang », fustige-t-il. « Il n’y a pas de place dans notre société pour une bête. »
Dans le nord-ouest du Pakistan, Shehryar Afridi est entré dans une fureur noire quand il a appris que son symbole serait une bouteille.
En langue locale pachtoune, appeler quelqu’un une bouteille sous-entend qu’il n’a pas de cervelle. Cela peut aussi laisser supposer qu’il consomme de l’alcool, ce qui est très mal perçu dans cette région conservatrice.
« La plupart des candidats du PTI, dont moi-même, ont reçu des symboles destinés à créer un préjugé négatif », constate Shehryar Afridi, 45 ans, candidat pour la ville de Kohat.
« On nous a délibérément donné des symboles ayant pour but de nous ridiculiser », assène-t-il. Il a saisi la justice locale, mais n’a pas obtenu gain de cause.
Cependant, lui aussi a trouvé une manière astucieuse de retourner les choses à son avantage. « Une bouteille ne représente pas juste l’alcool, elle représente aussi un médicament », remarque-t-il.
« C’est pour ça qu’on ça qu’on a transformé notre symbole électoral en bouteille médicale, pour que nous puissions soigner toutes les maladies de la société. »
AFP