« La dépression des étudiants demeure un problème massif »

« Nous n’observons aucun retour à la normale » concernant la santé mentale des étudiants après la pandémie de Covid, s’inquiète auprès de Sciences et Avenir le Pr Tzourio.

Sciences et Avenir : Les cours ont repris en présentiel depuis deux ans et pourtant la santé mentale des étudiants ne s’améliore toujours pas. Pourquoi ?

Nous n’observons aucun retour à la normale. La santé mentale des étudiants reste très affectée par l’épidémie de Covid. Après l’étude Confins publiée en 2021 qui mettait en évidence une très nette dégradation de leur état de santé mentale, nous avons voulu poursuivre nos investigations et avons recruté 2000 étudiants à Bordeaux entre septembre 2022 et avril 2023.

Résultat : avant le Covid, 26 % déclaraient des symptômes dépressifs modérés à sévères ; après le Covid, ils sont 41 % ! Les pensées suicidaires ont bondi de 50 %. Et nos collègues du service de santé universitaire nous disent qu’ils croulent sous les demandes de prise en charge psychologique.

Cette vague de dépression touche-t-elle uniquement les étudiants et est-elle inédite ?

Les études de Santé publique France montrent un impact plus important chez les jeunes et plus particulièrement les étudiants. Les primo-entrants qui découvrent l’enseignement supérieur et qui n’habitent plus chez leurs parents sont bien sûr plus fragiles. De même que ceux qui ont des antécédents de troubles psychiatriques. Mais, dans nos études, la majorité des étudiants en souffrance n’ont aucun antécédent.

Les jeunes issus de milieux favorisés ne sont pas épargnés.

Quant à savoir si cette situation est inédite, nous manquons d’études. Cependant, des collègues canadiens avaient observé que trois ans après l’épidémie de Sras (en 2004), les étudiants de Toronto souffraient encore de syndrome de stress post-traumatique et de pensées suicidaires.

Les jeunes n’ont pas eu peur de la mort.

Le problème numéro un a sans doute été la solitude. C’est arrivé au pire moment pour eux. En effet, le cerveau continue à se développer jusqu’à 25 ans. Et lors de ces dernières années, ce sont les interactions humaines qui sont centrales dans la maturation du cerveau. Nous pensons donc que nous assistons à un effet prolongé du Covid parce que ce développement n’a pas pu se faire correctement.

On a l’impression de voir quelque chose qui est de l’ordre du handicap.

Je reste malgré tout optimiste. Beaucoup vont s’en sortir. Certains seront même mieux armés pour faire face au chaos de l’existence. Mais, d’autres risquent de développer une pathologie psychiatrique face à de nouvelles contraintes.

Que préconisez-vous pour améliorer la situation ?

Tout d’abord, il faut prendre conscience que nous sommes face à un gros problème collectif, un problème massif ! Les plus de 40 ans ont tendance à sous-estimer les difficultés auxquelles les jeunes sont confrontés. Or, les décideurs appartiennent à cette tranche d’âge…

Ensuite, nous devons nous donner les moyens de détecter ceux qui sont en grande souffrance, mais aussi ceux qui ne vont pas bien et qui n’ont pas forcément besoin d’un psy. Des ressources existent mais les jeunes ne les connaissent pas.

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