L’annonce du retrait « sans délai » du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) marque un net coup d’arrêt aux houleuses négociations sur l’organisation d’élections et le retour d’un gouvernement civil. Un sujet jugé secondaire par les militaires au pouvoir dans ces trois pays qui ont érigé le souverainisme et la reconquête du territoire en priorité.
Le sujet était au cœur du bras de fer entre les militaires putschistes et l’organisation sous-régionale. Depuis les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso puis au Niger, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) tentait d’obtenir des nouveaux dirigeants des engagements clairs quant à l’organisation d’élections permettant le retour d’un gouvernement civil au pouvoir.
Des négociations délicates qui, malgré l’imposition de lourdes sanctions, n’ont jamais vraiment abouti.
En annonçant conjointement, dimanche 28 janvier, leur départ de la Cédéao, les dirigeants des trois pays ont reproché à l’organisation son absence de soutien dans la lutte antiterroriste ainsi que l’adoption de mesures punitives « illégales, illégitimes et inhumaines ». Ce retrait marque du même coup la fin des négociations sur le calendrier électoral, que les militaires s’étaient montrés peu enclins à mettre en place.
Bataille de longue haleine
Au Mali, premier pays concerné par la vague de coups d’État qui s’est répandue ces dernières années en Afrique de l’Ouest, les négociations initiées par la Cédéao sur la durée de la transition ont connu de nombreux rebondissements. Après le putsch d’août 2020, marquant la chute du président Ibrahim Boubacar Keita, l’organisation sous-régionale avait imposé un embargo économique, fermant ses frontières avec le pays tout en maintenant les livraisons de biens de première nécessité.
Les militaires avaient alors mis en place un gouvernement civil qui s’était engagé à la tenue d’élections sous une durée de deux ans, fixées au 27 février 2022. Mais le deuxième coup d’État de mai 2021 a fait voler en éclats cette promesse.
Ce délai a été fixé « à partir des positions de principe de la Cédéao », expliquait alors le Premier ministre de la transition, Choguel Maïga, le jugeant irréaliste. « Il vaut mieux avoir quelques semaines de plus, même quelques mois de plus » que de retomber dans une nouvelle crise post-électorale, comme celle qui avait conduit à la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta, avertissait-il, sur France 24.
Depuis, la durée de transition a été modifiée à plusieurs reprises.
Fin décembre 2021, à l’issue d’assises nationales, Assimi Goïta avait proposé de la prolonger de cinq ans. Une durée finalement réduite à deux années supplémentaires lors d’un nouveau bras de fer avec la Cédéao. Avant l’annonce du retrait de l’organisation, les autorités maliennes avaient à nouveau repoussé, en septembre 2023, le scrutin prévu le 4 février 2024, pour des « raisons techniques », sans donner de nouvelle date.
L’antiterrorisme comme étendard
Au Burkina Faso comme au Mali, le calendrier électoral défini a été depuis relégué aux oubliettes. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui avait renversé en janvier 2022 le président Roch Marc Christian Kaboré, s’était engagé à la tenue d’élections en juillet 2024, avant d’être lui-même renversé par le jeune capitaine Ibrahim Traoré, en septembre 2022. Ce dernier avait dans un premier temps affirmé vouloir maintenir ce calendrier, avant de prendre ses distances.
« Ce n’est pas une priorité, ça je vous le dis clairement, c’est la sécurité qui est la priorité », déclarait-il à propos de l’organisation des élections un an plus tard.
Au Niger, pourtant moins touché que ces voisins par les attaques terroristes des groupes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique, les autorités putschistes ont elles aussi justifié leur intervention par la « dégradation de la situation sécuritaire ».
Suite au coup d’État de juillet 2023, la Cédéao a, là encore, engagé des négociations avec la junte pour la mise en place d’un calendrier électoral. Elle a menacé les nouveaux dirigeants d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel, sans parvenir à les faire fléchir.
« L’approche des militaires, qui consiste à placer la lutte antiterroriste avant la question démocratique, éloigne de fait le retour à l’ordre constitutionnel car personne ne sait quand la sécurité va revenir », analyse Abba Seidik, journaliste spécialiste du Sahel.
« Au Burkina la situation est, il est vrai, particulièrement difficile, mais qu’en est-il du Mali, où les autorités ont repris le contrôle de Kidal ? Ou bien du Niger, où il a été possible d’organiser fin 2020 une présidentielle ? Les situations ne sont pas toutes identiques. Le sujet des élections n’est peut-être pas la raison première du retrait des trois pays de la Cédéao. Mais force est de constater qu’elle fait disparaître toute possibilité de pression dans ce domaine ».
« Militaro populisme »
Pour Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne à l’Ifri (Institut français des relations internationales), la décision de quitter l’organisation ne fait que confirmer la mort de ces négociations infructueuses initiées par la Cédéao.
« Les engagements sur l’organisation de scrutins par les militaires au Mali et au Burkina Faso ont été pris dans le cadre d’un dialogue avec l’organisation sous-régionale qui n’existait déjà plus », analyse-t-il. « La tenue d’élections était déjà enterrée et la sortie de la Cédéao n’en est que l’ultime preuve.
Ces pays pratiquent le militaro populisme, ils n’ont pas l’intention de se confronter aux résultats des urnes et organisent des mobilisations populaires pour se légitimer ».
« La tenue d’élections est certes réclamée par les partenaires régionaux et la communauté internationale mais aussi, et il ne faut pas l’oublier, par une partie silencieuse des populations dans ces pays », ajoute Abba Seidik. « Or, celles-ci évoluent dans un contexte où la liberté d’expression s’est considérablement réduite. Au Mali, les positions critiques exposent à des campagnes de lynchage en ligne, et c’est encore pire au Burkina où l’on a vu que l’on pouvait être réquisitionné pour critique du pouvoir ».
À Bamako, quelques rares voix se sont exprimées contre le retrait annoncé de l’organisation sous-régionale. Dans un communiqué, la coordination de l’Appel du 20 février, qui rassemble des partis politiques d’opposition et des mouvements de la société civile critiques des autorités de transition, a dénoncé une décision « prise sans aucune forme de débat démocratique ».
De leurs côtés, les dirigeants des trois pays, réunis sous la bannière de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont organisé le 1er février des « grandes mobilisations de soutien » pour célébrer une décision « courageuse et historique ».
Lors d’une interview avec l’ancien journaliste de RFI Alain Foka, après l’annonce du retrait de la Cédéao, le dirigeant du Burkina a enfoncé le clou quant à la question de la tenue d’élections dans son pays. « Il faut qu’il y ait un minimum de sécurité pour que, s’il y a campagne, les gens puissent aller partout au Burkina expliquer leurs idées », a martelé Ibrahim Traoré, se gardant bien de fixer un quelconque cap.
Il a par ailleurs défendu la « montée en puissance » de l’armée burkinabè, assistée par les volontaires de la défense de la patrie, « aujourd’hui à l’offensive dans la plupart des zones » du pays. « Il faut savoir réveiller le patriotisme dans chaque peuple, les mettre en confiance, savoir que leur patrie est la seule chose qu’il leur reste. Ça on a réussi à le faire », s’est-il félicité.
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