Une photo montrant un homme palestinien assis sur une chaise, en sous-vêtements, blessé et menotté face à un soldat israélien, génère des dizaines de milliers de partages sur les réseaux sociaux depuis début février. Cette photo, qui a été diffusée pour la première fois en décembre, fait écho à d’autres images de prisonniers palestiniens dénudés diffusées ces derniers mois.
Un Palestinien « torturé » par l’armée israélienne : depuis le 5 février, une photo indigne et mobilise les soutiens de la cause palestinienne en ligne. Sous un préau aux murs jaune et bleu, un homme, qui ne porte qu’un caleçon noir, menotté et la jambe en sang, soutient le regard face à un soldat israélien.
La photo semble avoir été partagée à l’origine par le journaliste indépendant palestinien Younis Tirawi, qui a déclaré qu’un soldat israélien du nom de Yosee Gamzoo avait publié ce cliché « le montrant en train de torturer un civil palestinien », dans un post sur X (anciennement Twitter) vu près de sept millions de fois depuis le 5 février au matin.
Dans les heures qui ont suivi, la photo a été reprise par de nombreux comptes propalestiniens en plusieurs langues, qui y ont vu un symbole de la résistance palestinienne face à l’armée israélienne.
« Nous sommes à Gaza, pas à Abou Ghraib »
« Nu, attaché, torturé, blessé, mais digne et tête haute devant son colonisateur », a notamment déclaré Rima Hassan, juriste et militante pour la défense de la Palestine dans un post publié sur X le jour-même.
La photo a aussi été reprise sur X par le député français du parti La France insoumise Thomas Portes, qui a qualifié l’armée israélienne de « criminelle » et « génocidaire ».
« Nous sommes à Gaza, pas à Abou Ghraib », a de son côté déclaré sur X le représentant de la Palestine en Allemagne Laith Arafeh, en référence aux nombreuses photos des mauvais traitements infligés par l’armée américaine à des détenus dans une prison irakienne en 2004.
Interrogé le 5 février lors d’une conférence de presse sur cette image par le média saoudien Al-Arabiya, le porte-parole du département d’État des États-Unis, Devant Patel, a décrit l’image comme « profondément troublante », mais a aussi rappelé qu’il en ignorait le contexte.
Un cliché diffusé pour la première fois en décembre
Que sait-on de cette image ? Comme l’a géolocalisée le reporter Younis Tirawi, la photo a été prise dans la ville de Gaza, dans une école pour enfants située dans le quartier de Rimal, reconnaissable à ses murs bleu et jaune caractéristiques.
Tandis que certains médias arabophones ont affirmé que la photo avait été prise début février, le cliché semble en réalité dater au moins du mois de décembre.
Contacté par la rédaction des Observateurs, Younis Tirawi a indiqué avoir retrouvé la photo dans une vidéo YouTube publiée le 24 décembre sur le compte du soldat israélien Yosee Gamzoo, à l’origine de la photo.
Dans cette vidéo désormais supprimée , des images semblant montrer le même détenu, toujours dévêtu et marchant dans une rue de Gaza les mains attachées et entouré de soldats, ont aussi été publiées.
Il est difficile de déterminer si l’homme palestinien a été torturé lors de son arrestation. L’homme palestinien semble en tout cas bien être blessé, comme le montre une entaille à l’origine indéterminée sur sa jambe droite.
Interrogé par la rédaction des Observateurs, l’armée israélienne a déclaré que le détenu « n’avait pas été blessé au cours de l’interrogatoire », et a affirmé l’avoir « relâché après un bref interrogatoire ».
Une photo « en violation des ordres et des valeurs »
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Yosee Gamzoo, photographe de profession habitué des photos de mariage comme le montre son site, a confirmé être la personne à l’origine du cliché, tout en réfutant être le militaire visible sur la photo comme l’ont affirmé de nombreuses publications en ligne.
Ce dernier a refusé d’indiquer quand la photo avait été prise.
De son côté, l’armée israélienne a déclaré à la rédaction des Observateurs que le photographe était un « réserviste », qui a « photographié et publié la photo en violation des ordres et des valeurs » de l’armée israélienne. « Il a récemment été décidé de mettre fin à son service de réserve. »
Relancée pour savoir quand la décision de mettre fin au service de Yosee Gamzoo a été prise, et si elle était directement liée à la publication de cette photo, l’armée israélienne a indiqué ne pas avoir d’autre commentaire à faire sur le sujet.
Yosee Gamzoo avait déjà publié une autre vidéo diffusée en décembre dans laquelle l’armée israélienne avait rassemblé des dizaines de prisonniers palestiniens dévêtus dans un stade de la ville, comme l’avait rapporté Libération.
Accusations de « crimes de guerre »
Ces images font écho à celles diffusées en ligne début décembre de centaines de prisonniers palestiniens arrêtés et dévêtus par l’armée israélienne, les yeux parfois bandés, en pleine rue.
Si l’armée israélienne affirme que ces conditions de détention sont liées à des raisons de sécurité afin de détecter d’éventuels armes ou explosifs chez les prisonniers, diffuser intentionnellement des images de traitement dégradant d’êtres humains peut toutefois être considéré comme contraire au droit international, avaient expliqué les ONG Human Rights Watch et Amnesty International à la rédaction des Observateurs de France 24 en décembre 2023.
« Filmer des détenus peut parfois se justifier, dans certaines situations », indiquait Ahmed Benchemsi, directeur de la communication et du plaidoyer pour le Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Mais c’est le fait de diffuser ces images qui relève du crime de guerre, car cela démontre l’intention d’humilier et de publier le traitement dégradant d’êtres humains. »
Quant au traitement des détenus, l’armée israélienne avait affirmé auprès de plusieurs médias que ces prisonniers étaient « traités dans le respect du droit international ».
Si plusieurs des personnes arrêtées avaient été libérés dans les heures qui avaient suivi, d’autres avaient en revanche été détenues plusieurs semaines.
Le journaliste de la version arabe de The New Arab, Diaa al-Kahlout, qui faisait notamment partie d’un groupe de personnes arrêtées début décembre par l’armée israélienne, avait été relâché plus d’un mois plus tard, sans procès ni charges à son encontre. Auprès d’El Pais le 7 février, il a aussi témoigné avoir subi humiliations et torture au cours de sa détention.
observateur/france24