Judith Godrèche, l’«icône du cinéma français» qui ne voulait plus être «l’archétype de la gentille fille»

L’actrice, visage incontournable des années 1990 et 2000, est revenue à l’écran en décembre dans une autofiction libératrice, avant de témoigner contre Benoît Jacquot et Jacques Doillon.

Icon of the French Cinema . C’est avec cette mini-série produite par Arte que Judith Godrèche est revenue sur le devant de la scène en décembre, après des années de réserve, loin de la «grande famille» du cinéma français. L’actrice de 51 ans y racontait, sur un ton satirique, son come-back imaginaire dans le paysage cinématographique français.

Dans la rue, on la voit confondue avec Juliette Binoche, ses auditions font pschitt !, sa cadette (jouée par sa vraie fille, Tess Barthélemy) veut partir en tournée avec son professeur de danse. Ce qui fait remonter à la surface les souvenirs de ses propres débuts aux mains d’un réalisateur pygmalion prédateur, Éric (Loïc Corbery), de 25 ans son aîné. Mais Judith persévère.

Ado star
Autofiction portée à l’écran, la production laissait entrevoir la suite, bien réelle, de l’histoire. L’actrice a annoncé cette semaine qu’elle avait porté plainte contre Benoît Jacquot, 25 ans de plus qu’elle, qui l’avait dirigée à l’écran et avec qui elle avait entretenu une relation durant plusieurs années à partir de ses 14 ans.

Une enquête préliminaire a été ouverte «sur les infractions de viol sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité, viol, violences par concubin, et agression sexuelle sur mineur de plus de 15 ans par personne ayant autorité». Judith Godrèche a mis en cause jeudi un autre réalisateur, Jacques Doillon, pour son comportement lorsqu’il la dirigeait alors qu’elle était âgée de quinze ans.

L’enquête préliminaire a été étendue à ces faits présumés.

Ces blessures, longtemps sourdes et tues, sont aujourd’hui sur la place publique. Elles transparaissaient pourtant sur les réseaux sociaux où l’actrice poste des vidéos d’archives d’interview de Benoît Jacquot ou d’elle-même sur des plateaux, témoignages d’une époque pas si lointaine.

À 12 ans, Judith Godrèche débutait devant la caméra de Nadine Trintignant.

Elle croise alors vite la route de Benoît Jacquot, qui la met à l’affiche des Mendiants en 1988, des Désenchantés en 1990. Elle tourne aussi La Fille de quinze ans avec Jacques Doillon en 1989. Talent précoce, beauté mutique, elle est en lice pour le César du Meilleur espoir féminin en 1991.

Si elle s’incline devant Judith Henry, sa carrière est lancée : elle porte les grandes fresques en costumes et les comédies phares des années 1990-2000. De Beaumarchais à Potiche en passant par Ridicule, L’Auberge espagnole, Bimboland. Elle a même donné la réplique à Leonardo DiCaprio dans L’Homme au masque de fer.

Puis elle s’est faite rare, jusqu’à quasiment disparaître des écrans, s’expatriant aux États-Unis. Une décennie sabbatique tout sauf stérile puisqu’elle a nourri son projet si personnel : Icon of French Cinema.

J’ai mis du temps à assumer ma violence intérieure.

J’avais sans cesse la tentation d’adoucir les angles pour rester dans l’archétype de cette gentille fille. L’héroïne de la série essaie de se reconstruire, de se réancrer dans son industrie

« À 40 ans, j’ai perdu de vue l’horizon de mes désirs. Je peinais à reconstituer le puzzle de ma vie. J’étais dans le cinéma depuis tellement longtemps, conditionnée par le regard que posaient sur moi les réalisateurs. Qu’avais-je vraiment envie de faire ? Malgré ma longue filmographie, j’ai toujours eu l’impression d’être arrivée là par hasard.

Puis HBO m’a proposé d’écrire une série sur une comédienne française à Los Angeles en proie au choc des cultures et des fantasmes américains », raconte Judith Godrèche. Le projet n’aboutit pas. Mais dans l’anonymat californien, elle se sent libre de repartir de zéro, de lâcher la bride à un humour et à une autodérision réprimés. Influencée par Phoebe Waller Bridge et Larry David, elle glisse de l’incongru et du surréalisme dans Icon of French Cinema, à l’image de cette conversation avec un doudou géant.

Les flash-back, où elle est campée par l’impressionnante Alma Struve, ont une qualité cauchemardesque, le regard d’un enfant perdu dans des rituels et mondanités d’adultes, trop bruyants, trop maquillés. «  Je pars de morceaux de réalité et je les pousse jusqu’au bout. J’ai mis du temps à assumer ma violence intérieure. J’avais sans cesse la tentation d’adoucir les angles pour rester dans l’archétype de cette gentille fille.

L’héroïne de la série essaie de se reconstruire, de se réancrer dans son industrie. »

À travers le personnage d’Éric, Judith Godrèche pourfend ses fantômes. Sans encore régler ses comptes nommément. Sans laisser paraître non plus d’aigreur ou d’esprit vengeance. Avec une lucidité poignante. « Il n’y a pas eu un responsable unique. J’ai grandi dans une société complice où l’art était un passe-droit absolu. Personne autour de moi ne s’est offusqué quand, à 15 ans, j’ai dû faire 45 prises d’une même scène torse nu en embrassant un acteur du double de mon âge.

L’enjeu, c’est d’accepter ce qui nous a construits dans ce monde d’avant, heureusement révolu », expliquait Judith Godrèche en décembre.

Sa prise de conscience est moins liée à #MeToo qu’au fait d’avoir une fille qui atteint l’âge de ses premiers rôles. « En la voyant grandir, j’ai réalisé ce que cela veut dire émotionnellement d’avoir 15 ans. À quel point on est vulnérable. Cela m’intéressait de souligner la différence de perception entre sa génération et la mienne. »

Quelques semaines après la diffusion de la série, le poids de ces années passées et perdues est semble-t-il devenu trop lourd pour Judith Godrèche. Et le monde d’aujourd’hui regarde sans faux-semblants ce «monde d’avant, heureusement révolu».

lefigaro

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