Le Chili est ravagé depuis le 2 février par des feux de forêts d’une ampleur inédite, ayant causé la mort d’au moins 130 personnes. Une catastrophe qui porte la marque claire des effets conjugués du réchauffement climatique et du phénomène météorologique El Niño, jugent les climatologues.
Plus de 130 morts et des centaines de disparus, des quartiers entiers dévastés, des milliers de maisons détruites et plus de 43 000 hectares de forêt réduits en cendres. Le Chili observe mardi 6 février un second jour de deuil national en hommage aux victimes des incendies dévastateurs qui touchent les régions touristiques du centre et du sud du pays. « La plus grande tragédie climatique depuis plus de dix ans », selon le président chilien Gabriel Boric.
Si une enquête en cours devra déterminer les causes des centaines de départs de feu dénombrés depuis le 2 février, une chose est sûre : les flammes se sont propagées très vite.
Une intense vague de chaleur
Selon Raul Cordero, climatologue à l’université de Groningen, aux Pays-Bas, précédemment basé au Chili, les conditions météorologiques sont le premier facteur d’explication de ces incendies meurtriers. « Depuis le 29 janvier, le centre du Chili est touché par une vague de chaleur extrême et historique. Le thermomètre a atteint jusqu’à 40°C par endroits, et 35°C à Santiago del Chile. C’est du jamais-vu », explique-t-il.
« Et à ces chaleurs persistantes sont venus s’ajouter des vents violents : les paramètres idéaux pour voir apparaître des incendies extrêmes. »
« Sans compter que le pays subit depuis plusieurs années une période de sécheresse », abonde Davide Faranda, climatologue au CNRS et spécialiste des événements météorologiques extrêmes. « Ces trois facteurs – températures très élevées, air sec et vents forts – rendent les feux particulièrement difficiles à maîtriser. D’autant plus dans un terrain marqué par du relief où les interventions sont plus compliquées. »
« Autre élément important : au-delà de 35°C, certaines espèces d’arbres ne parviennent plus à fonctionner normalement et se comportent comme du bois mort. Ils sont donc beaucoup plus susceptibles de prendre feu », poursuit-il.
À cette période, qui correspond à l’été austral en Amérique du Sud, les feux de forêt sont choses courantes au Chili, avec environ 6 000 départs d’incendies dénombrés chaque année, selon Raul Cordero. « Mais cette fois-ci, les flammes ont pu se propager d’une façon inédite grâce à ces conditions météorologiques », résume-t-il.
Face à ce constat, les deux scientifiques pointent du doigt un même coupable : le dérèglement climatique. « On sait qu’il amplifie les phénomènes météorologiques et donc que les températures records actuelles y sont liées », rappelle le climatologue chilien. « C’est donc sous son effet que les feux habituels sont en train de se transformer en catastrophes. »
Un réchauffement amplifié par El Niño
Mais la vague de chaleur qui touche le Chili est aussi en partie liée au phénomène climatique et cyclique El Niño, ajoutent les deux climatologues. « En réchauffant les eaux du Pacifique de manière cyclique, il provoque des sécheresses, des hausses de températures, ou à l’inverse des inondations », explique David Faranda.
« Et ces conditions vont, là encore, être amplifiées par le dérèglement climatique. »
Un « cocktail explosif », déplore Raul Cordero. « On a connu des feux importants au Chili pendant tous les précédents épisodes d’El Niño, notamment en 1982 et 1998 », rappelle-t-il. « Mais c’est en ajoutant le facteur réchauffement climatique qu’on arrive à la situation que le pays connaît actuellement. »
Le Chili n’est d’ailleurs pas le seul pays d’Amérique latine concerné par cette problématique.
La Colombie est, elle aussi, frappée par des incendies ces dernières semaines, rappelle la chaîne américaine CNN. Et si les températures devraient redescendre à partir de mercredi au Chili, une vague de chaleur devrait désormais toucher l’Argentine, le Paraguay et le Brésil.
South America is living the most extreme heat wave in its history:hundreds of records are smashed allover .
More records:
GUYANA 37.4 Lethem Hottest February day in Guyanese history
FRENCH GUIANA 35.1 St Laurent record broken for the 3rd time in a row
SURINAME 34.4 Paramaribo pic.twitter.com/0Ds1MdMlhh— Extreme Temperatures Around The World (@extremetemps) February 4, 2024
« Devant cette conjonction de phénomènes, on considère l’Amérique du Sud comme l’un des territoires les plus vulnérables face au dérèglement climatique », termine Davide Faranda. « Si on ne fait rien pour limiter nos émissions de gaz à effet de serre responsables du dérèglement climatique, on peut s’attendre à ce que le continent vive toujours plus de vagues de chaleur, de sécheresses et donc d’incendies dévastateurs. »
« Mettre l’accent sur une meilleure prévention »
Au-delà des effets conjugués d’El Niño et du dérèglement climatique, plusieurs autres paramètres sont mis en avant pour expliquer l’ampleur des dégâts.
Lors de précédents incendies, en 2023, qui avaient particulièrement touché le sud du pays, où s’étendent d’immenses plantations de pins et d’eucalyptus, « les grandes monocultures avaient été pointées du doigt pour la propagation des feux », rappelle Raul Codero. « Mais dans le centre du pays, la végétation est plus diverse et n’a donc certainement pas joué un rôle déterminant », estime-t-il.
En revanche, dès vendredi, le feu a atteint les collines en périphérie des stations balnéaires de Viña del Mar et de Valparaiso – des zones très densément peuplées. « Et dans ce secteur comme dans d’autres, les familles vivent souvent entassées dans des constructions légères », rappelle le climatologue, souvent en bois et donc facilement inflammables.
Selon des récits de survivants, les flammes se sont ainsi engouffrées dans les rues étroites et fortement peuplées des collines, faisant dans le même temps exploser des rangées entières de voitures garées devant les maisons.
« Ce sont par ailleurs des zones où subsistent d’importants problèmes de sécurité », continue-t-il. « La population a bien reçu des ordres d’évacuation, mais a préféré l’ignorer ou, pire, ne pas les croire. Cela montre qu’il faut vraiment mettre l’accent sur une meilleure prévention. »
Du côté de l’État, le président Boric a augmenté de 47 % le budget consacré à la prévention et à la lutte contre les incendies ces deux dernières années. Au total, quelque 1 400 pompiers et 1 300 militaires et bénévoles, appuyés par 31 hélicoptères et avions lanceurs d’eau ont pu être mobilisés pour combattre les flammes.
« Une belle avancée », salue Raul Cordero.
« Mais cela ne suffit malheureusement pas. » Parmi les problèmes soulevés par plusieurs experts : le pays ne dispose pas de moyens de lutte anti-incendie nocturnes. « Par conséquent, la probabilité que tout le travail effectué pendant la journée soit perdu pendant la nuit est très élevée », a expliqué Michel De L’Herbe, expert en gestion des situations d’urgence, à la radio Cooperativa.
france24