Tel Aviv – Le gouvernement israélien a dévoilé, pour la première fois depuis le début de la guerre avec le Hamas, une feuille de route pour le « jour d’après ». Un document qui exclut le retour du mouvement islamiste au pouvoir, mais qui laisse peu de place au retour de l’Autorité palestinienne.
Quel avenir pour la bande de Gaza ? Trois mois après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, l’État hébreu a dévoilé, le 4 janvier, un plan pour « le jour d’après » que d’aucuns n’ont pas manqué de critiquer immédiatement, le jugeant trop superficiel. D’autres, comme le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari, parce qu’il exposait les plans secrets du pays à ses « ennemis ».
Peu détaillé, il donne une sorte de feuille de route, indispensable pour l’allié américain. Ce plan présenté par le ministre de la Défense Yoav Gallant en amont de la visite du secrétaire d’État américain Antony Bliken, repose sur le succès de l’objectif numéro un de la guerre : l’éradication du Hamas dans la bande de Gaza.
« Le Hamas ne gouvernera pas Gaza et Israël ne gouvernera pas les civils de Gaza.
Les habitants de Gaza étant palestiniens, ce sont des organes palestiniens qui seront en charge, à condition qu’il n’y ait pas d’actions hostiles ou de menaces à l’encontre de l’État d’Israël », a-t-il déclaré dans un communiqué. « L’entité qui contrôlera le territoire s’appuiera sur les capacités du mécanisme administratif existant [comités civils] à Gaza », a déclaré Yoav Gallant.
« Il est très important qu’une personnalité politique très haut placée en Israël présente un plan politique pour l’avenir.
Je sais qu’il a été critiqué par le porte-parole de l’armée, qui a dit qu’il était trop tôt pour révéler nos plans secrets. Je ne suis pas d’accord avec Daniel Hagari, explique David Shimoni, ancien membre des services de renseignement israéliens et membre de Commandants pour la sécurité d’Israël (CIS), un groupe de réflexion regroupant 400 anciens membres des forces de sécurité, de l’armée mais aussi du renseignement israélien. C’est très bien qu’Israël ne gouverne pas Gaza, pas plus que le Hamas car c’était l’objectif principal de cette guerre. »
« L’Autorité palestinienne n’a aucune chance »
Une proposition simple sur le papier, mais plus difficile à mettre en place. D’une part parce qu’une partie des Palestiniens soutient le Hamas. D’après un sondage réalisé du 22 novembre au 2 décembre par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les enquêtes (PSR), 42 % de la population de Gaza soutenait le Hamas, contre 38 % au début de la guerre.
Mais c’est surtout en Cisjordanie occupée que le mouvement islamiste palestinien gagne des points : 44 % des habitants disent aujourd’hui supporter le parti, contre 12 % en septembre. Un chiffre qui s’explique également par l’impopularité croissante de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.
Au total, 88 % souhaitent la démission d’Abbas, soit une hausse de 10 points par rapport à il y a trois mois. Pour la seule Cisjordanie occupée, 92 % appellent à la démission de l’octogénaire dont l’administration est largement considérée comme corrompue, autocratique et inefficace. Installer l’Autorité palestinienne à Gaza semble donc irréaliste.
« L’Autorité palestinienne telle que nous la connaissons aujourd’hui n’a pas le pouvoir et l’influence pour gouverner Gaza.
Elle est faible, corrompue, et ne bénéficie pas du soutien de la majorité de la population palestinienne, confirme Daniel Shimoni. Elle a été une grande déception pour les Palestiniens car elle n’a pas réussi à résoudre les problèmes quotidiens. Nous avons entendu les Américains parler d’une Autorité palestinienne rajeunie. Mais pour l’instant, l’Autorité palestinienne n’a aucune chance. »
À l’issue de sa visite en Cisjordanie occupée, le 10 janvier, Antony Blinken a néanmoins affirmé que Mahmoud Abbas était « tout à fait prêt à aller de l’avant ».
« Nous avons également parlé de l’importance de la réforme de l’Autorité palestinienne, de sa politique et de sa gouvernance, afin qu’elle puisse effectivement assumer la responsabilité de Gaza, et que Gaza et la Cisjordanie puissent être réunifiées sous une direction palestinienne », a-t-il ajouté.
En 2007, le Hamas avait chassé l’Autorité palestinienne à l’issue de violents affrontements avec le Fatah, parti fondé par Yasser Arafat. Un coup de force pour prendre totalement le pouvoir dans l’enclave, alors que le mouvement islamiste avait remporté les élections législatives un an auparavant. Cette prise de contrôle de l’enclave, qualifiée de « coup d’État » par Mahmoud Abbas, aboutit au renforcement du blocus par Israël.
Depuis, aucune élection n’a été organisée à Gaza ou en Cisjordanie occupée.
« Ces dernières années, le gouvernement israélien a eu de multiples occasions de renforcer l’Autorité palestinienne et de la placer à l’intérieur de Gaza, explique Nimrod Dwek, président fondateur de Darkenu, mouvement issu de la société israélienne. Prenez l’accord d’échange de Gilad Shalit [un soldat israélien otage du Hamas pendant cinq ans, NDLR], Benjamin Netanyahu aurait pu le conclure avec Mahmoud Abbas.
Au lieu de cela, il a choisi de le faire avec le Hamas. Il a même préféré apporter l’argent directement au Hamas, plutôt que de le faire passer par une autre organisation. Il pensait gérer le Hamas en utilisant la force et l’argent. C’est la responsabilité de Netanyahu. »
Appels au retour des colons israéliens
Après le coup de tonnerre provoqué par les attaques du 7 octobre, la société israélienne attend des garanties sur sa sécurité. Le plan du ministre de la Défense Gallant prévoit ainsi qu’Israël se réservera le droit d’opérer à l’intérieur de la bande de Gaza aussi souvent que nécessaire. Concrètement, cela signifie que l’armée pourrait intervenir comme elle le fait actuellement en Cisjordanie occupée.
Les frontières seraient surveillées, ce qui implique que le blocus de l’enclave, déjà en place depuis deux décennies, perdurerait. Rien ne pourra entrer ou sortir sans être inspecté avec soin.
« Bientôt, l’armée va dire aux habitants des villes, des fermes et des kibboutzim qui entourent Gaza qu’il n’y a pas de danger et qu’ils peuvent rentrer chez eux, précise Daniel Shimoni. Beaucoup des combattants du Hamas ont été éliminés et son équipement détruit. Le chef d’état-major et le ministre de la Défense ont dit ‘Quand vous rentrerez chez vous, vous verrez les FDI partout sur le site.’
Ils essaient de donner l’impression que les choses seront sûres, même si nous n’éliminons pas les capacités du Hezbollah dans le Nord. »
Quant à la réinstallation de civils israéliens dans la bande de Gaza, elle a été totalement exclue par Yoav Gallant, au grand dam des franges les plus extrêmes du gouvernement. À maintes reprises, le ministre de la Sécurité nationale d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir, a appelé au retour des colons israéliens dans le territoire après la guerre et à une « solution pour encourager l’émigration » de la population palestinienne de Gaza.
Des propos qui font écho à ceux du ministre des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich.
« Nous devons encourager l’immigration en provenance de cette région. S’il y avait 100 000 à 200 000 Arabes dans la bande de Gaza et non deux millions, la discussion sur le lendemain [de la guerre] serait complètement différente », a analysé fin décembre Bezalel Smotrich lors d’une interview accordée à la radio de l’armée. « Ils veulent partir. Ils vivent dans un ghetto depuis 75 ans et sont dans le besoin. »
Rassurer les alliés arabes dans la région
Pour Nimrod Dweck, ces propos sont très « problématiques ». « Bien que cette option ait été exclue, ils continuent de l’évoquer tous les jours. Que fera le Likoud pour empêcher ses partenaires de dire cela ? Car il ne s’agit pas seulement de le dire. Ils ont organisé une convention et des centaines de familles ont déjà signé pour repeupler Gaza, regrette le président fondateur de Darkenu.
Les organisateurs sont les mêmes que ceux des colonies illégales en Cisjordanie.
Ce sont toujours les mêmes cercles. Mais le problème avec eux, c’est qu’ils ne voient que leurs intérêts messianiques et pas l’intérêt d’Israël. Cela n’aboutira qu’à braquer nos voisins modérés que sont les Egyptiens, les Jordaniens et les Saoudiens, avec qui nous allions signer des accords. »
L’Arabie saoudite était en effet en passe de normaliser ses relations avec Israël lorsque le 7 octobre est arrivé.
Mais dans une interview accordée à la BBC radio le 9 janvier, le prince Khalid ben Bandar al-Saoud, ambassadeur d’Arabie saoudite au Royaume-Uni, a affirmé que les discussions reprendraient à l’issue de la guerre avec pour condition la création d’un « État indépendant de Palestine ».
Plus de trente ans après les accords d’Oslo, scellés par la poignée de mains historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, cette perspective semble pourtant plus que jamais lointaine. La création d’un État palestinien apparaît comme la seule solution pour aboutir à une paix durable au Proche-Orient, a confirmé le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, interrogé par le Financial Times.
Pour lui, tout accord éventuel doit comporter « une solution politique pour l’ensemble de la Palestine ».
L’avenir de Gaza ne peut pas se penser sans la Cisjordanie occupée, où les opérations militaires israéliennes se sont multipliées depuis le début de la guerre. En somme, la région est une bombe à retardement. « Il existe un consensus international sur la solution à deux États », ajoute le Premier ministre. La question est : que vont-ils faire pour préserver la solution à deux États à un moment où Netanyahu la détruit systématiquement ? »
france24