La perspective d’une trêve entre Israël et le Hamas s’éloigne. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a balayé mercredi d’un revers de la main les minces espoirs apparus ces derniers jours alors que les efforts diplomatiques semblaient tendre vers une désescalade. Décryptage.
Dans un discours à la télévision, Benjamin Netanyahu a déclaré, mercredi 7 février, avoir ordonné à l’armée de « préparer » une offensive terrestre sur Rafah, la ville la plus au sud de la bande de Gaza, où s’entassent 1,7 million de Palestiniens, dont de nombreux déplacés ayant fui le nord de l’enclave.
Alors que le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken se trouvait en Israël pour discuter d’un accord de trêve entre Israël et le Hamas – sa concrétisation était même espérée dans les prochains jours dans les milieux diplomatiques –, le chef du gouvernement israélien a opté pour la poursuite de la guerre.
Faisant fi de la pression américaine pour accepter une trêve et des suppliques des familles des 136 otages toujours retenus à Gaza qui le pressent d’arrêter les combats, il a assuré que « la victoire sur le Hamas » était « une affaire de mois ». Benjamin Netanyahu dit refuser de se plier aux demandes du mouvement islamiste palestinien qui ne ferait que « mener à un autre massacre », après celui du 7 octobre, perpétré sur le sol israélien.
Total victory over Hamas will not take years. It will take months.
Victory is within reach.
When people talk about “the day after,” let’s be clear about one thing. It’s the day after all of Hamas is destroyed. Not half of Hamas, not ¾ of Hamas; all of Hamas.
— Prime Minister of Israel (@IsraeliPM) February 7, 2024
Le Premier ministre fait-il simplement monter les enchères pour imposer ses conditions dans les négociations, ou bien craint-il d’être affaibli politiquement s’il accepte de signer un accord avec un le mouvement islamiste palestinien qu’il a promis d’éradiquer ?
Interrogé sur l’antenne anglophone de France 24, Yossi Mekelberg, membre associé du groupe de réflexion Chatham House, basé à Londres, se montre surpris par le ton adopté par Benjamin Netanyahu, rappelant que la guerre dure depuis quatre mois et que le Hamas continue de se battre – et même de tirer encore, certes occasionnellement, des roquettes vers le territoire israélien.
« Netanyahu ne parle pas seulement de victoire contre le Hamas, il dit aussi qu’il veut écraser ce mouvement palestinien, souligne-t-il. Il doit définir ce qu’il entend par ‘victoire’, et plus encore, ce qu’il compte faire après un tel résultat dont, pour l’instant, on ne prend pas le chemin sur le terrain ».
Le gouvernement israélien, et plus particulièrement le Premier ministre Benjamin Netanyahu, « n’est manifestement pas enclin à accepter un quelconque compromis ou accord de cessez-le-feu pour le moment », juge de son côté Hugh Lovatt, chercheur au sein du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du Conseil européen des relations étrangères (ECFR).
« Le problème est que Netanyahu dit qu’il n’acceptera rien de moins que l’éradication totale du Hamas, rappelle-t-il.
Dès les premiers jours de la guerre, son gouvernement a défini, du moins publiquement, une série d’objectifs qu’il ne peut pas atteindre militairement. C’est en totale contradiction avec ce que des responsables politiques et militaires israéliens disent, parfois en public, à savoir qu’Israël ne sera pas en mesure d’éradiquer le Hamas. En définissant des objectifs irréalistes, Netanyahu s’est acculé lui-même.
Ce faisant, il ne permet pas à l’opinion publique et politique israélienne d’évoluer dans une direction qui pourrait commencer à permettre des concessions ».
Quel plan pour l’après-guerre ?
En plus d’avoir fixé des objectifs inatteignables, Hugh Lovatt considère que le gouvernement israélien, paralysé par « des contradictions idéologiques » entre les membres d’extrême droite de la coalition de Netanyahu et ceux qui sont plus centristes, n’a pas été en mesure de présenter un plan cohérent pour l’après-guerre à Gaza.
Alors que des ministres extrémistes prônent le retour à Gaza des colons, évacués par le gouvernement d’Ariel Sharon en 2005, et « l’émigration » des Gazaouis vers l’Égypte voisine, le ministre de la Défense Yoav Gallant a présenté début janvier un plan excluant toute « présence civile israélienne »…
« Cette question bloque les pourparlers indirects entre le Hamas et Israël, insiste-t-il.
Le gouvernement israélien a clairement indiqué qu’il voulait reprendre les combats à Gaza une fois la trêve terminée, afin d’éradiquer le Hamas, alors que le mouvement palestinien fait pression pour qu’un cessez-le-feu permanent soit mis en place après cette pause ».
« Finalement, ce que le Premier ministre israélien dit et promet, c’est la poursuite d’une guerre perpétuelle à Gaza, et il le fait probablement aussi pour sa propre survie politique, explique-t-il.
Cette survie politique dépend dans une large mesure de la poursuite de la guerre. Une fois celle-ci terminée, il est tout à fait clair, et je pense qu’il y a un consensus au sein du système politique israélien sur ce point, le Premier ministre sera éjecté du pouvoir en cas d’élections ».
Hugh Lovatt poursuit : « Une fois qu’il ne sera plus aux affaires, il sera vulnérable aux enquêtes judiciaires en cours contre lui [Benjamin Netanyahu fait face à des accusations de corruption, NDLR] ».
Il devrai aussi rendre des comptes sur les défaillances sécuritaires ayant permis au Hamas et à ses alliés de mener les attaques du 7 octobre qui ont fait au moins 1 200 morts en Israël. Le 25 octobre, le Premier ministre israélien a admis que les failles ayant conduit à ces attaques seraient examinées « après la guerre ».
Frustrations américaines
Jeudi, un nouveau cycle de pourparlers indirects entre le Hamas et les Israéliens s’est ouvert au Caire, avec la médiation de l’Égypte et du Qatar.
Hugh Lovatt explique qu’en coulisses, l’administration américaine a augmenté la pression sur le gouvernement israélien pour que ce dernier commence non seulement à avancer vers une désescalade, ou au moins vers une nouvelle phase de la guerre à Gaza et vers un cessez-le-feu.
« L’administration américaine essaie de développer un plan portant sur ce qui se passera à Gaza après la fin des combats, et c’est la question centrale, poursuit Hugh Lovatt. Mais il y a manifestement beaucoup de tensions en coulisses et de frustrations côté américain, comme ont pu l’illustrer assez symboliquement les conférences de presse séparées de Netanyahu et de Blinken », organisées mercredi en Israël.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a prévenu qu’un assaut sur Rafah « augmenterait de façon exponentielle ce qui est déjà un cauchemar humanitaire ».
« Sur les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza, qui sont à l’origine et en grande partie des réfugiés, près de 1,7 million sont déjà déplacés, puisque les Israéliens leur ont demandé de se rendre dans des endroits sûrs, y compris à Rafah, rappelle Yossi Mekelberg. Si une opération de grande envergure ayant pour objectif l’éradication du Hamas est menée dans cette zone, il faudra donc le traquer au milieu de cette population.
Je n’ose imaginer le nombre de victimes civiles que cela pourrait provoquer et c’est là l’un des grands dangers de cette initiative. »
Yossi Mekelberg n’écarte pas l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’une tactique de négociation de Benjamin Netanyahu dans sa guerre des nerfs avec le Hamas : amener toutes les parties à repenser les termes et conditions présentés jusqu’à présent.
« C’est peut-être un vœu pieux de ma part, confie-t-il, mais si ce n’est pas une tactique, nous pouvons probablement nous attendre au plus lourd bilan quotidien établi depuis le début de la guerre. »
france24