Aubervilliers– Sous le regard solennel d’un buste de Marianne, les affaires d’expulsions locatives, factures impayées et différends de voisinage défilent devant une juge dans un pavillon en pierre, une justice de proximité qui tente de dénouer les problèmes du quotidien.
« Justice de paix », prévient l’inscription sculptée au fronton du tribunal de proximité d’Aubervilliers, l’un des sept de Seine-Saint-Denis, un bâtiment historique à colonnade installé dans un parc arboré, au pied de tours de logements sociaux.
Loin des feux de la rampe des grands procès criminels se jugent ici des contentieux civils de moins de 10.000 euros, litiges d’habitations ou troubles de voisinage dans une ville populaire où le taux de pauvreté dépasse les 40%.
« On arrive à faire comme une petite conciliation à l’audience. Les avocats sont vraiment dans l’échange, dans le dialogue, pour essayer d’arranger des situations souvent très compliquées sur le plan économique et social. Au pénal, ce n’est pas du tout la même philosophie », explique à l’AFP Elsa Perdrisot, 28 ans, seule juge titulaire de cette juridiction qui dépend du tribunal judiciaire de Bobigny.
Faute d’effectifs suffisants, cette énergique jeune femme aux cheveux blonds coupés au carré s’est retrouvée en septembre, dès sa sortie de l’École nationale de la magistrature (ENM), propulsée directrice de la juridiction d’une quinzaine de personnes. Un « petit vertige ».
En plus de son travail de juge des contentieux de la protection, cette fille d’agriculteur doit gérer des imprévus comme l’impossibilité d’accéder au tribunal à cause de la fermeture du parc pour cause de chute d’arbre, ou programmer les livraisons de bouteilles d’eau car la vétusté des tuyaux rend l’eau courante impropre à la consommation.
Sans salle dédiée pour se réunir, les équipes du tribunal déjeunent sur les bancs de la vaste salle d’audience aux murs de boiseries, sous les moulures craquelées du haut plafond.
La juge titulaire a reçu le renfort d’une autre jeune magistrate de 28 ans pour quelques mois. Les deux femmes ont fait chauffer les téléphones de leurs collègues dans le département et les groupes WhatsApp de leurs camarades de l’ENM pour répondre à leurs interrogations sur la façon de faire tourner un tribunal de proximité.
« On n’est jamais restées seules face à nos doutes. Il y en a eu beaucoup mais on a eu des réponses », estime Manon Surcin, la juge en renfort.
Dettes locatives
À l’audience mensuelle de février, qui se déroule devant une juge unique, une femme poursuit une société de pompes funèbres qui, 18 mois après le décès de sa sœur, n’a toujours pas installé sa stèle funéraire.
Au bout d’un banc, des locataires essayent de convaincre l’avocate de leur bailleur du bien-fondé des travaux qu’ils ont entrepris dans le jardin de la résidence. Au milieu du brouhaha ambiant, un petit enfant de deux ans suçote sa compote entre ses parents.
Quinquagénaire divorcé, Hafedh B. est en conflit avec son bailleur privé depuis des mois.
La caisse de retraite propriétaire de son immeuble lui reproche d’avoir dégradé le portail d’entrée et veut lui faire payer les réparations.
En rétorsion, ce locataire ne paie plus son loyer depuis plusieurs mois et se retrouve donc devant le tribunal pour une procédure d’expulsion.
Juste avant l’audience, les deux bords sont parvenus à un accord. « Le bailleur a décidé de faire fi de la porte de parking et des frais de mise en demeure. Restent les frais principaux de 2.450 euros » de loyers impayés, explique à la barre l’avocat de la caisse de retraite.
Hafedh peut-il régler sa dette en payant 305 euros mensuels, en plus du loyer, sur les huit prochains mois ? La charge financière sera trop lourde, redoute-t-il devant la juge Manon Surcin.
Après un rapide calcul sur un coin de pupitre, les parties arrivent à un accord de 204 euros mensuels sur un an.
« Si une seule échéance n’est pas respectée, votre bailleur peut vous expulser sans même repasser par moi », le prévient la juge.
Ces rééchelonnements de dette peuvent apporter un oxygène bienvenu à des personnes en grande difficulté.
« On ne peut pas créer de nouveaux logements sociaux quand les personnes n’en ont pas, faire les travaux chez elles quand il y a de la moisissure, mais on a quand même quelques leviers et cela donne un peu de sens à ce qu’on fait », estime Elsa Perdrisot.
AFP