S’il y a aujourd’hui une organisation sous régionale profondément embarrassée, au sujet de la situation politique pré-électorale au Sénégal, c’est bien la CEDEAO. La raison principale de ce sentiment qui traverse les capitales ouest africaines et ailleurs, est que le Sénégal, qui jusque- là était présenté comme le chantre de la démocratie avec ses trois alternances démocratiques successives, (même si le Cap Vert, le Bénin aussi en ont fait) a stoppé net sa trajectoire démocratique en procédant, par décret de son président en fin de mandat, à un report sine die de la présidentielle qui devait avoir lieu le 25 février 2024.
Le fait est inédit, par son timing en ce qu’il intervient quelques heures avant le début de la campagne électorale, au moment où les candidats étaient dans les locaux de la Radiotélévision sénégalaise ( média public) pour enregistrer, comme la loi le prévoit, leur première déclaration devant marquer leur entrée en campagne électorale.
Pis, les textes de la CEDEAO notamment le protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la Bonne gouvernance, Additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité » en son chapitre 1, section 2 , Article 2 dispose en son alinéa 1, qu’ : « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques.
Dans la foulée son alinéa 2 indique que « Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales ».
Ces dispositions d’une limpidité à toute épreuve, rendent inconfortables la position de la CEDEAO face à un Etat membre, qui certes occupe aujourd’hui une position phare dans le dispositif de la Cedeao. Faut-il le rappeler le Sénégal 4ème économie de la CEDEAO, qui mobilise 3000 soldats pour l’ECOMOG, a été un des pays pourfendeurs des changements inconstitutionnels lorsqu’il s’est agit du Mali son voisin, du Burkina Faso et du Niger récemment sous régime militaires suite à des coups d’Etat.
C’est le Sénégal dont l’armée sous la bannière de la CEDEAO est allée « déloger » le Président Yaya Jammeh de Gambie qui avait refusé de quitter le pouvoir après sa défaite en 2016.
En outre, le Sénégal, tout comme la Côte d’ivoire et le Nigéria étaient au premier rang de l’initiative pour une action militaire au Niger pour rétablir le pouvoir du Président Bazoum déchu par le général Tiani. Heureusement que les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont ressaisi à temps pour éviter une aventure, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle aurait été fatale à la CEDEAO.
Au regard de tout cela, la Cedeao, ne pouvait s’en tenir à sa position « classique » du 04 Février 2024, consistant seulement à « exprimer sa préoccupation quant aux circonstances qui ont conduit au report de l’élection présidentielle et lancé un appel aux autorités sénégalaises à accélérer les différents processus afin de fixer une nouvelle date pour l’élection ».
Ladite position a été vertement critiquée pour sa « complaisance », mais surtout parce que dans son communiqué l’organisation « salue le président Macky Sall, pour avoir maintenu sa décision de ne pas briguer un autre mandat, et l’encourage à continuer de défendre et de protéger la longue tradition démocratique du Sénégal ».
En fait la CEDEAO demande au pyromane d’être le sapeur-pompier.
C’est pourquoi, elle a vite fait de se raviser dans son communiqué du 07 février 2024, où elle « encourage », cette fois, « le Sénégal à prendre urgemment les mesures nécessaires pour « rétablir » le calendrier électoral ».
Cette évolution est bien entendue dictée d’une part, par le concert de désapprobations des partenaires du Sénégal, et d’autre part, les risques qui pèsent sur l’avenir de la CEDEAO, dés lors que ses décisions n’avaient aucun effet, à commencer par le Sénégal, qui naguère a déjà refusé d’appliquer les décisions de la Cour de Justice de la CEDEAO dans les affaires Khalifa Sall et Karim Wade ( tous opposants au régime de Macky Sall et écarté de la course à la présidentielle en 2019), et avait menacé de ne pas se soumettre aux décisions de la Cour d’Abuja, si sa décision dans l’affaire Ousmane Sonko, un autre opposant, ne lui était pas favorable.
La promptitude avec laquelle des sanctions avaient été prises contre le Niger le Burkina et le Mali (qui étaient en guerre), et les effets produits, rendent perplexe sur la reconduite de cette voie sans issue, pour le Sénégal, d’autant que le Bénin a décidé de tourner la page des sanctions.
C’est dire que la Cedeao devra naviguer, cette fois entre fermeté diplomatique et souplesse, pour ne pas se laisser dépasser et voir sa crédibilité sapée. L’exercice ne sera pas du tout aisé. Bola Tinubu est très attendu.
allafrica.