Pour faire avancer la cause féminine et amener les mentalités à évoluer, les Amazones Afrique s’expriment à travers «Musow Dance», troisième volet discographique d’un collectif à géométrie variable, mais constant dans l’engagement depuis près de dix ans.
A y regarder de près, le mythe des Amazones d’Afrique a commencé à fasciner bien avant que celui des guerrières du Dahomey ne se fasse connaître : dans le Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique ou bibliothèque de l’Homme d’Etat et du Citoyen, une de ces encyclopédies en plusieurs volumes, parues dans la foulée de celle de Diderot au 18e siècle, elles sont là.
Avant le mot «ambassade», ordre alphabétique oblige.
Evoquées depuis l’Antiquité, localisées en Libye, ces guerrières redoutées jouaient ensuite, après être devenues mères, un autre rôle dans leur société : «elles exerçaient les magistratures et les charges publiques», laissant les hommes au foyer s’occuper de leur progéniture. En 2015, la légende des Amazones d’Afrique a quitté les pages jaunies pour se faire entendre cette fois en musique, incarnée par une poignée de chanteuses et musiciennes du continent aux parcours remarquables.
D’abord sur scène, avec entre autres Oumou Sangaré, Mariam Doumbia et Mamani Keïta, la formule s’est prolongée en studio, en 2017, avec République Amazone et trois ans plus tard avec Amazones Power. Au fil du temps, les effectifs ont évolué. Initialement constituée pour l’essentiel de Maliennes, la bande s’est élargie, en termes de nationalités, afin de représenter davantage l’Afrique.
Dobet Gnahoré et Alvie Bitemo, des «nouvelles» expérimentées
Pour Musow Dance, nouvel épisode discographique de cette aventure, elles sont six à tenir les rôles principaux, en live, tout dépend des disponibilités des unes et des autres. Aux côtés de Mamani Keïta, doyenne du projet, de la Germano-Nigériane Nneka présente sur le premier album, de la Burkinabè Kandy Guira et de la Béninoise Fafa Ruffino, toutes deux arrivées sur le suivant, le groupe accueille donc deux «nouvelles».
La Congolaise Alvie Bitemo, avec son profil pluridisciplinaire de chanteuse et comédienne, s’est déjà illustrée en concert avec l’équipe.
Tout comme l’Ivoirienne Dobet Ghanoré, formée au sein de la pépinière artistique du village Ki-Yi de la Camerounaise Were Liking et qui compte ses six albums à son actif. A travers ce casting se dessine la dimension militante du collectif, indispensable pour honorer le nom qu’elles portent en commun. Y compris lorsque le groupe se produit à Dubaï, aux Emirats arabes unis, où les questions liées à la condition féminine sont sensibles.
«Je devais calculer mes mots, faire attention, mais je disais ce que je pensais.
On avait envie de défendre les droits des femmes, mais aussi de prendre l’avion du retour», confie Fafa Ruffino. Leur passage dans un festival peut aussi être l’occasion de mettre la lumière sur d’autres initiatives menées par des femmes. A Essaouira, l’an dernier, elles ont collaboré avec la Marocaine Asma El Hamzaoui, rare représentante de la musique gnaoua et joueuse de guembri.
Le puzzle géant de Jacknife Lee
Pour respecter l’Adn des Amazones, encore faut-il que ses membres aillent «dans le même sens» dans les nouvelles chansons qu’elles se partagent, constate Fafa Ruffino. Rien d’évident, même si le thème de la solidarité tend à émerger naturellement et que chacune travaille de son côté sur les instrumentaux basiques qu’elles ont reçus («on a une tonalité, un mood»). Qui plus est dans des langues différentes !
Pourtant, in fine, tout fait sens.
Le réalisateur Jacknife Lee (U2, REM ou encore la Kenyane Muthoni Drummer Queen) est passé par là, avec ses machines et autres synthétiseurs analogiques. Pour succéder à l’avant-gardiste Doctor L., le choix s’est porté sur le multiinstrumentiste irlandais qui a récemment travaillé avec Rokia Koné (passée dans les rangs des Amazones) et appréciait leur répertoire. «Elles combinent un message culturel, politique et social puissant avec une exubérance et une joie qui sont addictives. J’avais envie de me mettre à leur service», résume-t-il.
Avec quelles intentions artistiques ?
«Je voulais entendre un disque dansant inhabituel, frais, enjoué, électronique, énergique, qui se traduirait aisément dans leurs performances live. Le premier morceau que nous avons fini était Kuma Fo, et il a donné le ton pour le reste de l’album», poursuit le quinquagénaire.
Plus que par un style, l’homme se distingue par sa signature sonore, très riche, à la mesure de son expérience et des époques qu’il a traversées.
«Une grande partie du rythme de l’album a été développée sur ordinateur et, par la suite, j’ai commencé à tout jouer sur des synthés, tout ce qui était à portée de main. Je ne voulais pas que ça sonne digital. Donc ce processus a introduit des bizarreries, des anomalies et une intemporalité dans le son», précise Jacknife Lee, qui voit le travail réalisé comme «un puzzle passionnant».
Sur sa méthode et le résultat, Fafa Ruffino met d’autres mots : «C’est de la magie», estime la chanteuse. Dans l’histoire légendaire des Amazones d’Afrique, l’irrationnel a toute sa place.
Rfi Musique