Sur les routes britanniques, le fléau des nids de poule et leur lourd tribut

Londres– De toutes tailles, de toutes formes, ils constellent le bitume, coûtent une fortune et même des vies : au Royaume-Uni, les nids de poule sont un fléau qui perdure faute d’investissements, au point de virer parfois à l’obsession.

Ces trous dans la chaussée qui se forment l’hiver, quand l’eau s’infiltre dans les fissures puis gèle et fait éclater le revêtement, seraient un million, selon la société de dépannage et d’assistance RAC.

Symboles d’une dégradation des infrastructures au Royaume-Uni, ils font enrager les automobilistes tels Mark Morrell. Cet ardent militant de 63 ans a fait de la question son cheval de bataille, au point de devenir « M. Nid de Poule » (« Mr Pothole » en anglais) et de s’illustrer par des coups de communication.

Habile sur les réseaux sociaux, il a fait flotter des canards en plastique dans un nid de poule pour démontrer la nécessité d’intervenir, en a rempli un autre de nouilles instantanées et roulé dans un char orange jusqu’au Parlement à Londres.

L’état « épouvantable » des routes britanniques s’explique, souligne-t-il, par « le manque d’investissement de la part des gouvernements successifs ».

Il plaide pour une politique de long terme de rénovation et d’entretien des routes, pour éviter le retour de cratères à la moindre gelée.

Alligator et canyon

Il existe tant de sortes de nids de poule que le RAC les a classés: l’Alcatraz, si vaste qu’il est impossible d’y échapper, le sniper qu’on ne voit pas et qui sévit quand on s’y attend le moins, en passant par l’alligator, le canyon, ou l’Iron Maiden, blotti contre une plaque d’égout.

Le principal acteur du secteur du dépannage, l’AA (Automobile Association) a dénombré près de 632.000 incidents liés aux nids de poule en 2023. Un record en cinq ans.

Un nid de poule, sur une route de Liverpool, en Angleterre, le 30 janvier 2024
Au total, ils auraient couté 474 millions de livres sterling (557 millions d’euros) aux automobilistes britanniques l’année dernière, selon les estimations de l’AA.

Selon un rapport des professionnels du secteur, l’Asphalt Industry Alliance, il faudrait 14 milliards de livres sterling (16,4 milliards d’euros) pour rattraper le retard des réparations des routes.

Après l’abandon d’un coûteux projet ferroviaire, le Premier ministre britannique Rishi Sunak a annoncé l’automne dernier que le gouvernement consacrerait 8,3 milliards de livres sterling (9,7 milliards d’euros) à destination des collectivités locales, responsables de l’entretien des routes mais confrontées souvent à des situations financières très difficiles.

« Mais c’est sur plus de 10 ans, et ils disent que c’est suffisant pour rénover 8.000 kilomètres de routes, mais ça représente 2% du réseau » alors que 20% des routes nécessitent rénovation ou travaux majeurs, objecte Mark Morrell.

Cet ancien technicien a embrassé ce combat il y a 11 ans autour d’un trou dans la chaussée dangereux près de son village alors que sa fille apprenait à conduire.

Il pronostique que les nids de poule seront parmi les cinq grands sujets des élections qui s’annoncent cette année.

« Wanksy »

Mark Morrell est loin d’être le seul à mettre sa créativité au service de la cause: dans l’Essex (Sud-Est), un habitant a créé un projet photo avec des jouets, des personnages Playmobil et même un monstre du Loch Ness.

Il y a deux ans, le chanteur Rod Stewart s’est fait filmer pelle à la main, en train de remblayer lui-même les trous dans la chaussée qui disait-il ont occasionné une crevaison à une ambulance et empêchaient sa Ferrari de passer.

Une route abîmée, à Liverpool, le 30 janvier 2024
Et dans les années 2015 à Manchester, un certain « Wanksy » – en référence à l’artiste de rue Banksy – a dessiné des verges sur la chaussée autour des nids de poule pour forcer les collectivités locales à faire les travaux.

Le mystérieux artiste avait expliqué à un site d’information locale que les trous dans la chaussée avaient envoyé ses amis cyclistes à l’hôpital.

Car en deux roues, le risque est loin de se limiter à une simple facture.

Ces 10 dernières années, 23 cyclistes sont morts lors d’accidents dans lesquels nid de poule ou défaut de la chaussée ont été enregistrés comme facteurs impliqués, selon Duncan Dollimore, chef de campagne chez Cycling UK.

L’organisme a lancé une application qui permet de signaler la présence d’un nid de poule aux collectivités locales.

Il revendique environ 10.000 signalements chaque année.

Une initiative qui « met la pression sur les autorités locales » pour réparer les défauts qui leurs sont signalés, souligne M. Dollimore. Mais pour lui, une véritable victoire serait de les pousser à une « culture d’entretien des routes » avant l’apparition des nids de poule.

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