« Tragédie » en Méditerranée centrale : deux exilées meurent et trois migrants sont portés disparus, malgré l’intervention de MSF

Le Geo Barents, navire humanitaire de Médecins sans frontières (MSF), a porté secours à 87 personnes lors de deux opérations de sauvetages « critiques » ce week-end. La première, effectuée auprès d’un bateau pneumatique surchargé, s’est soldée par la mort de deux femmes. La seconde, qui a eu lieu sur une plateforme pétrolière abandonnée en pleine mer, par la disparition de trois migrants.

Dans la nuit du samedi 17 au dimanche 18 février, Médecins sans frontières (MSF) « a été témoin de la tragédie qui se déroule en Méditerranée centrale ». À quelques heures d’intervalle, l’ONG a procédé à deux opérations de sauvetages « critiques », qui ont tout de même permis de secourir 87 personnes, témoigne-t-elle sur X (ex-Twitter).

Retour sur les faits.

Un peu avant 3h du matin, dimanche, l’équipage du Geo Barents reçoit une alerte de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures : des personnes ont été repérées sur une plateforme pétrolière tunisienne abandonnée, au beau milieu de la Méditerranée. Le navire humanitaire se met en chemin.

En route, MSF reçoit alors une seconde alerte, de la plateforme d’aide aux migrants en mer Alarm Phone, cette fois. Le collectif lui indique la position d’un canot pneumatique en détresse dans les environs.

Le Geo Barents priorise en fonction de la position géographique : il se rend tout d’abord sur le lieu du 2e appel, plus proche.

« Quand notre premier zodiac est arrivé, la tension était à son comble sur le canot. Les passagers étaient complètement paniqués, raconte à InfoMigrants Juan Matias Gil, chef de mission MSF pour les opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, à bord.

Presque tout de suite, les naufragés nous annoncé la mauvaise nouvelle : une passagère était morte dans le canot ».

Originaires d’Éthiopie, d’Érythrée et du Soudan, et partis de Zouara en Libye, les exilés sains et saufs sont récupérés sur le zodiac, puis emmenés sur le Geo Barents. Un membre de l’équipe médicale a ensuite procédé à l’examen du corps, toujours dans le canot, et a confirmé le décès. Le cadavre a alors été transféré à son tour sur le navire humanitaire, via un pont distinct de celui des rescapés, à l’abri des regards.

Une heure plus tard environ, alors que les équipes de MSF distribuent vêtements, eau et nourriture aux rescapés, l’un deux, une femme, fait un arrêt cardiaque. D’après Juan Matias Gil, « le staff médical a tout de suite tenté de la réanimer. Sans succès ».

Un sauvetage « trop compliqué » pour les autorités tunisiennes
Quatre heures plus tard, vers 7h, le Geo Barents arrive enfin à proximité de la plateforme pétrolière. Cela fait 36 heures que 19 exilés, syriens et égyptiens, patientent là. Partis eux aussi de Zouara, leur bateau a pris l’eau après quelques heures de navigation. De peur de sombrer, le groupe a sauté à l’eau et s’est hissé sur la structure métallique.

Seuls trois passagers sont restés dans le canot, qui a continué à dériver.

Ces trois personnes sont toujours portées disparues. « Nous craignons pour leur vie et exigeons que les autorités les recherchent ! », s’inquiète Alarm Phone sur X.

Quelques heures plus tôt pourtant, le groupe avait été aperçu par les autorités tunisiennes, venues tout près de la plateforme.

« Elles ont bien vu les naufragés, puis ont fait demi-tour. Elles nous l’ont confirmé », assure Juan Matias Gil. D’après les garde-côtes, contactés par le Geo Barents, « l’opération de sauvetage était trop compliquée ». Ils sont donc repartis sans avoir prodigué quelconque aide aux naufragés.

Les 19 migrants sont « physiquement en bonne santé », affirme le chef de mission. « Mais ils sont très éprouvés psychologiquement par la disparition de leurs trois compagnons de voyage.

C’est très difficile ».

Le lendemain de ces deux opérations, deux rescapés du canot pneumatique ont été transférés par hélicoptère dans un hôpital de Malte, « au vu de la détérioration de leur santé ». Le premier a quitté le navire au matin, le second, dans l’après-midi.

Quatre longs jours de navigation avant débarquement
Ce lundi, les 87 exilés ont été rejoints par 37 autres migrants – des Bangladais – récupérés lors d’un troisième sauvetage par le Geo Barents. Épuisés après quatre jours en mer depuis les côtes libyennes, ces derniers « vont bien », atteste Juan Matias Gil. Le sauvetage de ce canot en fibre de verre, repéré également par Alarm Phone, « a été réalisé en coordination avec les autorités italiennes » et « grâce au précieux soutien » de l’association Pilotes Volontaires, qui sillonne la zone à bord de son avion de surveillance, précise MSF sur X.

L’ensemble des migrants, 108 adultes et 13 mineurs dont un non accompagné, « sont désormais en convalescence et soignés sur le Geo Barents après ces épreuves traumatisantes », indique encore l’ONG.

Prochain arrêt ? Bari, dans le sud de l’Italie, port de débarquement assigné par les autorités italiennes. Soit « à quatre jours de navigation de la plateforme pétrolière », déplore Juan Matias Gil. « Les autorités ne se rendent pas compte de la situation à bord. Les exilés sont complètement éreintés, les équipes de MSF courent partout pour essayer d’aider tout le monde. C’est très difficile. On a insisté pour débarquer dans un port plus proche, mais on nous l’a refusé ».

D’après l’humanitaire, l’état de santé des rescapés n’influence pas la décision des autorités italiennes. Seul le mauvais temps peut jouer sur leur décision.

Des routes « inutilement longues »
Depuis la promulgation du décret Piantedosi en janvier 2023, qui régit les activités des ONG en mer, les navires humanitaires dénoncent l’assignation de ports lointains, situées à plusieurs jours des zones de sauvetages. Des décisions qui obligent les associations à passer « des jours et des jours à faire du transit entre les ports italiens et la zone de recherche », déplorait à InfoMigrants en novembre dernier Margot Bernard, coordinatrice de projet adjointe à bord du Geo Barents.

Dans un rapport publié début février, l’association de sauvetage SOS Humanity a relevé qu’au cours de l’année passée, les navires de secours en Méditerranée ont perdu 374 jours à effectuer des longs trajets pour rejoindre des ports de débarquement italiens, au lieu de rester en mer pour porter assistance aux canots en détresse.

Les navires ont ainsi réalisé plus de 150 538 km en un an pour emprunter des routes « inutilement longues », ce qui représente plus de trois fois et demi la distance d’un tour du monde. « Ce n’est pas une coïncidence, mais bien une tactique politique », assure SOS Humanity.

Les rescapés du Geo Barents devront donc encore patienter quelques jours sur le pont du navire qui leur est réservé, malmenés par les hautes vagues et les rafales de vent qui jalonnent cette route. À l’extérieur du navire, dans deux compartiments blancs postés derrière la passerelle, gisent aussi les deux femmes qui n’ont pas survécu à leur tentative d’exil. À cause de la distance qui les séparent de Bari, « leurs enterrements sont retardés de manière injustifiable ».

infomigrants

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