Les récentes vagues de chaleur mettent en péril les précieuses gorgones rouges de Méditerranée. Mais pas toutes ! Pour comprendre ce phénomène, l’Unesco, le CNRS et la Fondation 1 Ocean mènent un ample programme d’exploration scientifique.
Au large de l’île de Porquerolles (Var), à 20 mètres de profondeur, la « forêt » sous-marine autrefois rougeoyante de vie a laissé place à un paysage de désolation où persistent de pâles branches décharnées. « Depuis 1999, on a enregistré plusieurs épisodes de mortalité majeurs chez les gorgones rouges de Méditerranée », alerte Lorenzo Bramanti, chercheur à l’Observatoire océanique de Banyuls (CNRS).
L’été caniculaire de 2022 détenant le record de mortalité.
Les gorgones rouges (Paramuricea clavata), ces cousines des coraux sont constituées d’un squelette flexible formé à partir d’une protéine, la gorgonine, ainsi que de centaines de minuscules polypes pourvus de tentacules qui leur permettent de capturer le plancton dont elles se nourrissent.
Les colonies, composées de centaines d’individus, forment, d’ordinaire, les branchages foisonnants d’impressionnantes forêts sous-marines, véritables oasis de vie pour toute une biodiversité : les poissons, les crustacés, les invertébrés pour lesquels elles font office de nurserie, d’abri et de garde-manger.
Les forêts de gorgones, un refuge pour beaucoup d’autres espèces
Caractérisées par une grande sensibilité aux variations de son environnement, cette espèce est aujourd’hui fortement menacée par les hausses record de températures estivales. »L’importance écologique des forêts de gorgones réside dans le fait qu’elles sont un refuge pour beaucoup d’autres espèces », poursuit le directeur scientifique du programme « L’arche de Noé des profondeurs, un avenir pour la biodiversité ? », lancé le 1er décembre 2022.
« Comme pour une forêt classique, quand on la protège, on assure la survie, dans le même temps, des oiseaux, des insectes, des amphibiens et de tous les animaux qui y vivent. »
La couche supérieure de la Méditerranée absorbe les températures de l’atmosphère
Cependant, en analysant les données, les membres du programme scientifique ont constaté que les plus fortes mortalités étaient enregistrées sur les 30 premiers mètres de profondeur, mais qu’en dessous, dans les eaux plus fraîches, des populations, préservées des hausses de température, ont résisté et continuent de s’épanouir, notamment sur les récifs artificiels que sont les épaves.
« Il s’agit peut-être des derniers refuges de la planète », explique Alexis Rosenfeld, photographe sous-marin et explorateur de l’Unesco.
« La couche supérieure de la Méditerranée, et de l’océan en général, se comporte comme un bouclier thermique qui absorbe les températures de l’atmosphère », poursuit-il. En-dessous, les températures sont stables. Cependant, ce périmètre de répit pour la biodiversité marine est susceptible d’évoluer si le réchauffement perdure. « Il faut être conscient que c’est un petit cadeau à utiliser à bon escient », rappelle Lorenzo Bramanti.
Des analyses génétiques pour mieux connaître la gorgone
Le programme Arche de Noé des profondeurs se donne donc pour ambition d’étudier ces derniers sanctuaires et leur capacité de résilience, à savoir leur capacité à revenir à un état initial après une perturbation, sur les trois prochaines années, afin de comprendre comment préserver cette espèce du fléau du réchauffement océanique.
L’un des axes de recherche repose sur les interactions éventuelles entre couches superficielles et profondes.
Ainsi des analyses génétiques menées sur différentes colonies, à différentes profondeurs, permettront de déterminer si les populations du fond se sont établies à partir des larves produites lors de la reproduction de celles de surface qui a lieu une fois par an. Si tel est le cas, il faudra vérifier que les colonies profondes sont autonomes et parviennent néanmoins à se maintenir, sans les apports de surface.
Et évaluer s’il existe une « communication » verticale entre les écosystèmes du bas et ceux du haut.
Auquel cas, les populations saines des profondeurs seraient susceptibles de repeupler les sites plus proches de la surface, dans le cas où nous serions un jour capables de juguler la hausse des températures océaniques. « C’est aussi tout l’intérêt de conserver certaines zones protégées », interpelle Lorenzo Bramanti.
« Mais, attention, si les conditions climatiques de surface ne sont pas compatibles avec la survie de la gorgone, il n’y a pas d’issue de résilience possible ». Une meilleure compréhension du fonctionnement de ces colonies assortie de la délimitation d’aires marines protégées pourraient laisser une chance inespérée de survie à cette espèce clé de la biodiversité marine méditerranéenne.
Les épaves donnent l’âge des gorgones
Nombre de colonies de gorgones rouges se sont fixées sur les épaves qui jonchent le plancher océanique de la Méditerranée. Non contentes d’offrir un refuge à cette espèce menacée, celles-ci fournissent un moyen de datation original.
En effet, la date du naufrage de ces embarcations étant généralement connue, les scientifiques estiment sans peine l’âge maximum d’une colonie. Cette indication permet d’estimer le temps nécessaire à une population pour mettre en place un certain nombre de mécanismes essentiels à sa survie.
Fiche d’identité des gorgones rouges
100 % animales. Sous leurs airs de buissons, ce sont en fait des animaux invertébrés qui vivent en colonie de milliers de minuscules polypes.
Une croissance lente. Mesurant de 30 centimètres à un mètre de haut, ces créatures ont une croissance lente, pas plus de un à trois centimètres par an. Mais elles peuvent grandir durant plus d’une vingtaine d’années.
Eaux profondes. Les colonies de gorgones rouges s’établissent de 10 à plus de 100 mètres de fond, dans toute la Méditerranée occidentale.
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