Football : comment la Real Sociedad a fait de la France son terrain de jeu pour recruter de jeunes joueurs

Malgré la frontière, le club espagnol qui affronte le PSG, mardi, est probablement l’une des équipes les plus attractives et influentes dans le Pays basque français.

Antoine Griezmann y a lancé sa carrière. Robin Le Normand s’y est relancé avant d’exploser.

Adversaire du PSG en huitièmes de finale retour de Ligue des champions, mardi 5 mars, la Real Sociedad est l’un des clubs étrangers les plus impliqués dans la formation de joueurs français. Nombreux sont ceux qui ont fait leurs gammes à Zubieta, le centre de formation très réputé du club basque, qui a lancé un grand nombre d’internationaux espagnols comme Xabi Alonso.

Début 2022, une étude du CIES (Centre international d’étude du sport) avait montré que la Real était le club des cinq grands championnats européens qui s’appuyait le plus sur sa formation, qu’avaient suivi à l’époque 63% des joueurs utilisés en championnat.

Les Mikel Oyarzabal et autre Martin Zubimendi, qui fouleront la pelouse mardi soir, font partie de ceux-là. Tout cela découle d’une stratégie exigeante que s’impose la direction sportive : ne pas descendre en dessous des 60% de joueurs formés au club. Un ratio qui comprend évidemment une majorité de joueurs espagnols, mais également les Français arrivés très jeunes.

L’atout de la proximité

« C’est indéniable que la France, dans sa réalité, est un lieu d’intérêt pour la Real Sociedad, assure Luki Iriarte, directeur du centre de formation et présent au club depuis 1999. Nous avons deux visées. L’une est la proximité avec le Pays basque français et cette possibilité d’accueillir des joueurs très jeunes à partir de la catégorie U13. L’autre est le marché français dans sa totalité, dès l’âge de 16 ans ». Un cas de figure qui concerne Antoine Griezmann et Robin Le Normand. 

Antoine Griezmann, sous les couleurs de la Real Sociedad, célèbre son but contre Barcelone, le 22 février 2014. (JUAN HERRERO / EFE)Antoine Griezmann, sous les couleurs de la Real Sociedad, célèbre son but contre Barcelone

L’article 19 du règlement du statut et du transfert des joueurs de la Fifa prévoit normalement l’interdiction de transferts de joueurs mineurs, mais certaines exceptions peuvent s’appliquer. La Real remplit l’une des conditions pour contourner ce règlement, uniquement dans le cas des jeunes joueurs dont « la famille vit à moins de 50 km de la frontière nationale ».

Ainsi, toute la zone allant d’Irun au Sud, à Capbreton au Nord est une mine d’or pour l’actuel 7e de la Liga.

Seul club majeur du Gipuzkoa (l’une des trois provinces de la communauté autonome du Pays basque) à pouvoir regarder de l’autre côté de la frontière, Zubieta – où se trouve le centre d’entraînement du club – étant à une quarantaine de kilomètres de la France, la Real Sociedad a flairé l’occasion de s’extirper d’une forte concurrence régionale. 

« En Espagne, dans un rayon de 100 km, on a quatre équipes de première division (la Real, l’Athletic Bilbao, Osasuna et Alavés), deux de deuxième division (Eibar et Amorebieta). C’est l’occasion de s’extirper d’une forte concurrence régionale pour une population d’à peine 3,5 millions d’habitants.

Et tous ces clubs n’ont pas une politique de formation aussi développée que la nôtre », analyse Luki Iriarte.

La Real profite aussi du fait que, malgré la frontière, elle est bien plus proche du Pays basque français que les deux clubs tricolores les plus influents de la région. Pour un jeune de Bayonne, Saint-Sébastien n’est qu’à 58 km en voiture contre 183 pour Bordeaux et 300 pour Toulouse. Franceinfo: sport a interrogé trois joueurs français ayant rejoint les rangs de la Real Sociedad dans les catégories de jeunes, et pour tous l’argument de la proximité a pesé lourd dans la balance.

Un travail de terrain auprès des jeunes d’Iparralde

Une proximité au sens large et pas seulement géographique. Courtisé par Bordeaux et l’Athletic Bilbao, Benoit Cachenaut confie avoir opté pour les Txuri-urdin (surnom des joueurs de la Sociedad) grâce à l’accompagnement de l’hyperactif belge Sylvain de Weerdt, alors directeur de sa section foot au collège et recruteur de la Real Sociedad en France. Jérémy Blasco a suivi les traces de son frère, de cinq ans son aîné et pensionnaire de Zubieta.

Quant à Théo Lucbert, le partenariat qu’entretenait son club, l’Aviron bayonnais, avec la formation espagnole fait que cette dernière a été la première à lui faire une offre.

La Real Sociedad est proactive et matérialise sa présence de l’autre côté de la frontière. Depuis 2010, le club a augmenté ses investissements en France.

Une équipe dirigée par Sylvain de Weerdt, dont l’effectif a grimpé jusqu’à 10 personnes, a contrôlé jusqu’à 2 500 joueurs par an, formé des éducateurs et entretenu les relations avec les clubs et les agents. Parfois des écoles et des associations ont eu l’occasion de venir à Anoeta tous frais payés, visite du centre et photos avec les joueurs pros incluses dans le package.

Aujourd’hui, cinq clubs basques français sont en partenariat avec le club espagnol : Anglet, Hasparren, les Croisés de Saint-André de Bayonne, Hendaye et Saint-Jean-de-Luz. Président des Croisés de Saint-André de Bayonne, club convenido (partenaire en Français) depuis dix ans, Lionel Cabot évoque une relation « donnant-donnant » permettant d’apprendre « une méthodologie de formation des jeunes joueurs » en échange de leur « mise à disposition » à l’occasion de tournois. 

« Cela se traduit par l’intervention de techniciens de la Real sur nos catégories U11 et U13 et par des sessions de formation de nos éducateurs », détaille-t-il, séduit par la philosophie tactique de la Real et de « l’idée que le joueur doit être acteur de son football » sur le terrain.

« Ce n’est pas l’usine »

« Quand les éducateurs de la Real Sociedad interviennent, il n’y a qu’à voir le nombre de parents présents sur le bord du terrain. Tout cela rend le club plus attractif, également pour les joueurs extérieurs qui souhaitent nous rejoindre. Ça fait rêver les jeunes et ça nous apporte à nous.

Aujourd’hui, toutes nos catégories de jeunes de 14 à 18 ans évoluent au plus haut niveau régional », se félicite Lionel Cabot, qui a vu deux jeunes de l’équipe, « un né en 2010 et un 2006 », signer au centre de formation de la Real Sociedad sur les trois dernières années.

Depuis la mise en place de ces partenariats, le niveau des clubs basques a augmenté dans les divisions régionales en France.

L’Aviron bayonnais était le seul club avec une formation en Régional 1 chez les jeunes et des U17 nationaux. Un cap a été franchi avec le développement d’un centre de performance en France où 120 joueurs des catégories U10 à U17 sont encadrés. Comme la Real Sociedad ne possède pas d’équipe avant la catégorie U13, les plus jeunes sont contrôlés à l’année, pour la première fois cette saison.

L’équipe basque est du genre à anticiper.

Les jeunes ont par exemple l’obligation de poursuivre des études. « Je ne les remercierai jamais assez. Je me suis orienté dans le marketing et j’ai vu que je kiffais ça », apprécie Benoît Cachenaut. Théo Lucbert a passé onze années au centre de formation et se souvient de la confiance accordée par la direction sportive : « Ce n’est pas l’usine. Si un joueur fait une mauvaise saison, il ne sera pas forcément lâché. »

L’idée de la seconde chance y est particulièrement importante.

Actuellement défenseur au Stade poitevin en N3, Benoît Cachenaut se souvient des débuts critiqués de Robin Le Normand, aujourd’hui maillon essentiel du club : « Tout le monde parlait en mal de lui et disait qu’il n’avait pas de pieds. Il a mis une bonne année à s’intégrer tactiquement. »

« Notre politique ce n’est pas d’attirer des joueurs pour les attirer.

On veut s’assurer qu’ils restent plusieurs années à Zubieta. Le club fait tous ces efforts pour qu’ils ne soient pas seulement des joueurs, mais aussi des hommes », appuie Luki Iriarte. Une vision qui transparaît dans les propos du coach de l’équipe première Imanol Alguacil, lorsqu’il attend que son équipe montre « identité et personnalité » mardi, alors que son équipe doit effacer un déficit de deux buts après le match aller.

franceinfo

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