Alice Milliat, créatrice des premiers Jeux olympiques féminins, enfin en pleine lumière

Au début du XXe siècle, Alice Milliat a activement milité au niveau national et international pour que les femmes exercent tous les sports. Décédée dans l’anonymat, elle bénéficie enfin d’une juste reconnaissance. À l’occasion de la journée international des droits des femmes, France 24 revient sur l’incroyable parcours de cette pionnière.

« Le sport féminin a sa place dans la vie sociale au même titre que le sport masculin. Il devrait même passer au premier plan des préoccupations du gouvernement ; je n’exagère pas ». En  prononçant ces mots en 1917, Alice Milliat était clairement en avance sur son temps. Elle détonait à une époque clairement hostile à la gente féminine dans le monde du sport.

« C’était vraiment une pionnière pour la France, mais aussi à l’échelle internationale.

C’est elle qui a lancé la pratique du sport pour les femmes », résume l’historienne Florence Carpentier, maîtresse de conférence à l’Université de Rouen. Entre 1915 et 1936, Alice Milliat a ainsi été la première dirigeante sportive à encourager la pratique physique pour les femmes dans l’Hexagone et dans le monde. 

Une provinciale devenue dirigeante internationale

Née à Nantes en 1884 de parents épiciers, cette provinciale de condition modeste n’était pourtant pas destinée à une tel parcours. Sa vie bascule à 20 ans lorsqu’elle épouse à Londres un jeune Nantais employé de commerce. De l’autre côté de la Manche, elle découvre la pratique sportive féminine, mais aussi le mouvement féministe avec la naissance des suffragettes qui réclament le droit de vote.

Veuve à seulement 24 ans, elle reprend le chemin de la France et s’installe à Paris pour travailler.
C’est dans la capitale qu’elle commence véritablement à faire du sport en pratiquant notamment l’aviron. Très vite, elle s’investie aussi au sein du club Fémina Sport, l’un des trois clubs de sports parisiens pour les femmes, dont elle devient la présidente en 1915. « Elle était veuve. Elle n’avait pas d’enfants.
Elle était donc totalement libre », souligne Florence Carpentier qui lui a consacré une étude dans la Revue d’histoire. 
Alice Milliat pratiquant l'aviron en 1913.
                                                                 Alice Milliat pratiquant l’aviron en 1913. 

Deux ans plus tard, la Fédération des sociétés féminines sportives de France est créée. En accédant à sa présidence en 1919, Alice Milliat devient alors la seule femme au monde à la tête d’une fédération nationale sportive.

Une véritable révolution, selon l’historienne : « Elle a féminisé le bureau directeur en virant tous les hommes pour les remplacer par des femmes. Elle ne voulait pas laisser le sport féminin aux seuls mains des hommes ».

Les Jeux olympiques féminins

À la même époque, elle demande au Comité international olympique (CIO) d’inclure des épreuves féminines d’athlétisme lors des Jeux olympiques, mais sans succès. Alice Milliat doit faire face aux arguments, médicaux, sociaux et moraux que lui opposent les détracteurs des sports pour les femmes.

« Il y a une différenciation biologique des sexes encore à l’époque. On pense que la femme est plus faible physiquement et qu’elle n’est pas apte à faire un effort physique. Cela peut-être en plus dangereux pour la procréation », décrit Florence Carpentier.

« On pense aussi que les femmes ne doivent pas se donner en spectacle dans des tenues légères ». 

En 1935, le président du CIO le Français Pierre de Coubertin avait ainsi résumé cet état d’esprit : « Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l’adulte mâle individuel […]. Aux JO, [le rôle des femmes] devrait surtout [être], comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs ».

Pendant plusieurs éditions des JO, les sportives sont donc cantonnées à certaines épreuves comme la natation, le tir à l’arc, le patinage artistique ou encore le tennis. 

Les remarques sur le « sexe dit faible » n’ont jamais découragé Alice Milliat dans son combat. « Malgré nos sollicitations pressantes et réitérées, le Comité olympique a toujours refusé d’adjoindre l’athlétisme féminin aux Jeux olympiques. […] Nous allons prouver que nous sommes capables de conduire nous-mêmes nos destinées », annonce-t-elle. 

Elle organise un premier meeting féminin international à Monaco en mars 1921, devenue présidente de la Fédération sportive féminine internationale, elle lance les premiers Jeux mondiaux féminins à Paris le 20 août 1922.

Ces Jeux olympiques féminins connaissent un vive succès rassemblant 20 000 spectateurs et des athlètes de cinq pays différents qui concourent dans 11 épreuves . « Elle a réussi à faire venir les États-Unis, ce qui était un vrai challenge. Cela a été une vraie victoire pour elle », souligne Florence Carpentier.

 Quatre ans plus tard, la Suède accueille la seconde édition de ces Jeux olympiques féminins.
En 1928, après la démission de Pierre Coubertin, Alice Milliat obtient une victoire avec la participation des femmes aux épreuves d’athlétisme aux JO d’Amsterdam. La Nantaise fait d’ailleurs partie des arbitres, la première et seule femme juge parmi les hommes. En 1930, elle organise les championnats du monde féminins d’athlétisme qui perdurent jusqu’en 1936.
Mais peu à peu, la Fédération sportive féminine qu’elle dirige s’éteint faute d’argent. « Il y a quand même eu une résistance de la part des dirigeants masculins à la tête des différentes fédérations internationales d’athlétisme et du CIO. Ils ont fait en sorte que les budgets soient coupés pour les femmes.

Tout cela, dans un contexte de crise économique au début des années 30″, analyse l’historienne spécialiste du monde du sport.

Alicia Milliat, seule femme parmi les hommes dans le jury des épreuves d'athlétisme aux Jeux olympiques d'Amsterdam en 1928.
Alicia Milliat, seule femme parmi les hommes dans le jury des épreuves d’athlétisme aux Jeux olympiques d’Amsterdam en 1928. 

Le retour en grâce d’Alice Milliat

Epuisée par des années de militantisme, Alice Milliat quitte la scène sportive en 1935. C’est dans l’anonymat le plus total, qu’elle meurt à Paris en 1957. Cent ans après ses faits d’armes, l’histoire de cette pionnière ressort de l’ombre. Plusieurs villes, dont sa cité natale de Nantes, ont donné son nom à des installations sportives.

En mars 2021, à la Maison du sport français, qui abrite le siège du Comité national olympique, sa statue a été inaugurée face à celle de Pierre Coubertin. Comme un ultime défi. Plus récemment, son nom a été donné à l’esplanade devant la toute nouvelle Adidas Arena située Porte de la Chapelle à Paris.

Une Fondation Alice Milliat a également vu le jour en 2015.

Elle vise à promouvoir la pratique du sport féminin, mais aussi à faire mieux connaître la grande oubliée du sport français. « Elle a vraiment été invisibilisée. C’est une sportive qui s’est battue et qui a été un porte-voix pour les femmes », estime Aurélie Bresson, présidente de la Fondation. « Elle avait une vision progressiste, humaniste, mais trop en avance sur son temps ».

Cent ans après, Alice Milliat aurait de quoi se réjouir. 

Les Jeux olympiques de Paris seront les premières olympiades paritaires de l’histoire avec un nombre équivalent d’athlètes féminins et masculins. Pour autant, le chemin est encore long. « Il y a des sujets qui n’ont plus du tout lieu d’être car les femmes peuvent pratiquer tous les sports qu’elles souhaitent.

Mais il y a encore beaucoup de choses à faire évoluer », note Aurélie Bresson; « Il y a notamment les questions des violences sexistes et sexuelles. Il y a aussi toujours des problèmes dans la représentation des femmes dans le sport. Il y a également la place des femmes dirigeantes dans le système français. Où sont-elles ? Il faut des réseaux de femmes dirigeantes ».

La présidente de la Fondation se sent en tout cas faire partie d’une longue chaîne.

Héritière de l’action de son illustre aînée, elle se félicite de voir qu’Alice Milliat continue de faire de nombreuses émules : « Les sportives prennent de plus en plus la parole, alors qu’avant on insistait surtout sur leur performance. Aujourd’hui, elles se mobilisent, elles s’engagent et elles dénoncent. C’est la vraie révolution de ces dernières années ».

france24

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