Les températures clémentes et le peu de neige reçue cet hiver font craindre le pire aux entreprises de balades en traîneau à chiens.
«En 19 ans de carrière, je n’ai jamais vu un hiver comme ça», se désole Éric Pichette, propriétaire de la Meute Tanwen, en Outaouais.
Avec à peine une vingtaine de jours de «vrai hiver» depuis décembre, l’éleveur n’a qu’un seul mot pour qualifier la saison froide: «désastreuse».
Même son de cloche du côté de Stéphane Denis, du Centre Kanatha-Aki, à Val-des-Lacs, dans les Laurentides. Il n’a pu ouvrir que deux mois, soit deux de moins qu’à l’habitude.
«On a commencé avec un mois de retard dans la saison et on a un mois d’avance sur la fin de l’hiver, explique-t-il. En tout, on a vraiment eu un mois d’opérations sachant qu’on a dû composer avec la pluie, la fonte de la neige et les températures chaudes.»
Chez Laurel Aventure Nature, certains sentiers sont restés fermés tout l’hiver.
Et dans ceux qui étaient ouverts, de la neige a dû être ajoutée par des employés, «parce qu’il y avait plusieurs portions du sentier sans neige», explique Marie-Hélène Durocher, copropriétaire de l’entreprise.
«Et là, on est au minimum de neige requis pour être en opération. S’il ne neige pas de nouveau et qu’on a une semaine de redoux, on n’en aura plus et on va devoir fermer pour la saison dans deux semaines», ajoute-t-elle.
Un risque pour les chiens
Au-delà de la neige qui fond, le redoux pose un risque pour les chiens.
«Dès que la température atteint cinq degrés Celsius, les chiens risquent de surchauffer, de faire de l’hyperthermie. Il faut faire très attention. On doit changer nos horaires pour travailler tôt le matin et ne pas faire de tours l’après-midi», précise Stéphane Denis du Centre Kanatha-Aki.
Ce dernier soutient également avoir dû changer la race des chiens de sa meute dans les dix dernières années. Les huskys, une race originaire de Sibérie orientale, a le poil trop long et trop épais pour pouvoir travailler durant nos hivers de plus en plus chauds, dit-il.
L’entrepreneur s’est plutôt tourné vers l’élevage de chiens alaskan, un croisement entre le husky, le lévrier et des chiens de chasse.
Des revenus coupés de moitié
Financièrement, l’hiver 2023-2024 est à oublier. Meute Tanwen a vu ses revenus bruts chuter de 50% cette année, soutient Éric Pichette.
Il faut dire que la clientèle québécoise n’était pas aux rendez-vous, notamment à cause des faibles précipitations de neige.
«Beaucoup de Québécois pensent que parce qu’il n’y a pas de neige chez eux qu’il n’y en a pas nulle part. Il y a seulement les touristes qui appellent. Ça a un impact sur l’achalandage», déplore Marie-Hélène Durocher de Laurel Aventure Nature.
Du côté du Centre Kanatha-Aki, on parle d’environ 70% de revenus en moins.
«L’année passée était vraiment une bonne année. Mais là, il faut faire attention où on met nos billes. Je suis assez sécuritaire, on a quand même d’autres activités l’été qui nous permettent de fonctionner, mais je sais que beaucoup d’autres collègues ont dû fermer [leur entreprise] cette année», indique Stéphane Denis.
Éric Pichette dénombre pas moins de quatre chenils qui ont dû cesser leurs activités touristiques cette année, «du jamais-vu», selon lui.
S’adapter pour survivre
Les trois entrepreneurs envisagent d’augmenter leurs prix dès l’hiver prochain pour pallier aux saisons écourtées et continuer à entretenir une meute de chiens à l’année. Avec les changements climatiques, les entreprises de traineaux à chiens n’ont également d’autres choix que d’adapter leurs services.
«Il y a des activités qu’on peut faire l’été, mais c’est complètement une autre logistique. S’il fallait opérer à l’année pour gagner l’équivalent de ce qu’on fait en hiver, je ne suis pas certaine qu’on pourrait continuer comme ça», craint Marie-Hélène Durocher.
El Niño en cause?
Même si Éric Pichette craint les impacts des changements climatiques, le propriétaire de Meute Tanwen pointe du doigt le phénomène météorologique El Niño pour l’hiver «désastreux» que nous vivons cette année.
Particulièrement puissant cette année, El Niño apporte des températures supérieures à la normale. Le phénomène a d’ailleurs atteint son pic en décembre, mais pourrait continuer à persister jusqu’en mai, selon l’Organisation météorologique mondiale.
Éric Pichette a donc bon espoir que les saisons hivernales à venir seront plus normales et que les visiteurs seront au rendez-vous.
«Les tendances à long terme sont relativement encourageantes. Les rapports disent que oui on risque d’avoir moins de froid, mais qu’on risque d’avoir plus de neige dans les années à venir, et c’est ce qui m’importe.»
24heures