Nouvelle grève à l’Ofpra : « Des mesurettes ont été prises par la direction mais elles ne répondent pas au problème de fond »

Environ 20% des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides entamaient vendredi leur troisième journée de grève reconductible, et leur huitième depuis le début du mouvement en octobre. Si les syndicats reconnaissent quelques avancées, ils regrettent qu’aucune réponse n’a été apportée sur les principales revendications, à savoir des recrutements supplémentaires et une baisse de l’objectif chiffré portant sur le nombre de décisions d’asile à rendre.

Entretien avec Anouk Lerais, co-secrétaire générale de la CGT Ofpra et Henri de Bonnaventure, co-secrétaire du syndicat Asyl (action syndical libre).

InfoMigrants : Vous avez suivi plusieurs journées de grève depuis octobre, mais depuis mercredi 6 mars, vous êtes en grève reconductible. Pourquoi ce changement de stratégie ?

Henri de Bonnaventure : Nous avons choisi de reconduire le mouvement en ce moment car des négociations ont lieu avec les tutelles [ministère des Finances et de l’Intérieur, ndlr] sur le contrat d’objectif de l’Ofpra. Or, on n’est pas à la table des négociations. Alors que nous, les travailleurs de l’agence, sommes les principaux concernés.

Notre seul moyen d’y participer est donc de se mettre en grève.

IM : Quelles sont les réponses apportées par la direction depuis le début du mouvement ?

Anouk Lerais : Le directeur de l’Ofpra a bien pris quelques mesures mais ce sont des mesurettes, qui ne répondent pas au problème de fond.

On a par exemple obtenu la flexibilité du jour de télétravail dans la semaine pour les officiers de protection et les encadrants, qui était jusque-là imposé. La direction a également nommé deux chefs d’appui supplémentaires – les personnes en charge de valider les décisions d’asile. Mais ce n’est pas suffisant.

Des groupes de réflexion pour améliorer nos conditions de travail ont été créés mais on ne voit pas de changement significatif dans notre quotidien.

IM : Vos revendications sont toujours les mêmes ? Quelles sont-elles ?

AL : Nos revendications principales se déclinent en deux axes.

Le premier est la baisse de 25% des objectifs chiffrés pour tous les services. Cela correspond peu ou prou à ce qui a été réalisé les années précédentes. Mais, les agents restent pourtant évalués sur des objectifs élevés et reçoivent des pressions constantes en ce sens.

Vendredi 8 mars marque la 8e journée de grève des agents de l'Ofpra. Crédit : CGT Ofpra

HDB : La partie la plus visible est le nombre d’entretiens et de décisions annuelles assignés aux officiers de protection [personnes qui recueillent le témoignage des demandeurs d’asile et qui émettent un avis sur le dossier, ndlr]. Au total sur une année, un agent doit rendre 386 décisions. C’est irréalisable !

Ce chiffre n’est plus adapté car notre charge de travail a évolué : ces dernières années, l’Ofpra a de plus en plus mis l’accent sur la question de la vulnérabilité et sur les risques à l’ordre public.

Nous devons donc prendre plus de temps pour examiner certaines informations données par les demandeurs d’asile en se basant sur ces critères, et ce travail de vérification a une incidence sur l’objectif. En clair, on augmente notre charge de travail mais on ne diminue pas le nombre de dossiers à traiter.

Conséquence : les heures supplémentaires non payées s’accumulent, les congés ne sont pas pris, et les agents travaillent parfois chez eux le soir et le week-end pour atteindre ces objectifs. Ce n’est plus tenable.

Il peut aussi y avoir des répercussions sur la qualité de l’accueil des usagers et sur le traitement de leur dossier.

Avec ce rythme infernal, les entretiens sont moins humains, alors même que les demandeurs d’asile ont besoin d’une véritable écoute. Notre travail est juridique donc on doit rendre une décision juste. Et cela nécessite parfois du temps. On risque de devenir une administration caricaturale et inhumaine.

IM : Le deuxième axe de vos revendications concerne le recrutement ?
AL : Oui, particulièrement pour le pôle protection, le service en charge de délivrer les actes d’état civil aux personnes protégées [en tant que réfugiées ces dernières ne peuvent plus se tourner vers les autorités de leurs pays d’origine pour ce type de documents administratifs].

Elles doivent attendre entre six mois et un an, parfois plus, pour obtenir leurs documents administratifs. Ce délai, beaucoup trop long en raison du manque de personnel, a un impact sur le processus d’intégration des gens.

HDB : En effet, les actes d’état civil permettent de faciliter l’accès à l’emploi, aux soins, au logement et à l’éducation.

Entretien à Niamey, au Niger, d'une demandeuse d'asile évacuée de Libye qui demande la protection de la France. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants

Le rôle de l’Ofpra n’est pas uniquement de statuer sur un dossier d’asile mais aussi de s’occuper des personnes une fois qu’elles ont obtenu la protection.

AL : Certes, huit nouveaux postes ont été créés l’an dernier dans ce service, portant à 16 le nombre de personnes chargées de délivrer les actes administratifs, mais ce n’est toujours pas suffisant. Les associations estiment qu’une cinquantaine de recrutements sont nécessaires pour rattraper le retard accumulé. On en est loin !

HBD : Nous réclamons aussi des recrutements dans les autres services, comme les ressources humaines, le budget ou l’informatique. Le nombre d’officiers instructeurs a augmenté mais les autres entités de l’Office n’ont pas suivi et se retrouvent en sous-effectifs. Cela créé de la désorganisation et des tensions entre les services.

La hausse des recrutements des agents a été menée dans un but politique, afin de répondre à la demande visant à réduire les délais des décisions d’asile, mais n’a pas été pensé au niveau de l’établissement, et se fait au détriment des officiers et des usagers.

Contacté au début du mouvement, le directeur général de l’Ofpra, Julien Boucher, a rappelé que depuis sa prise de fonction en 2019, 200 emplois ont été créés au sein de l’institution.

Il a également estimé que « ces sujets de préoccupation, relatifs aux conditions et à la charge de travail, sont légitimes, mais ils (…) ne doivent pas faire oublier les nombreux progrès accomplis au cours des dernières années ».

infomigrants

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