Il est décédé dans la nuit du mardi au mercredi à l’âge de 102 ans. Malgré une belle carrière dans la marine nationale, il a vécu une grande partie de sa vie à l’ombre de son père.
La chance de Philippe de Gaulle est d’avoir été le « fils de… ». Sa malchance est de n’avoir été que cela. Soldat courageux pendant la seconde guerre mondiale, il fit une belle carrière dans la marine nationale mais la toise avec laquelle on le mesurait le rapetissait inévitablement. Victime de sa glorieuse ascendance, il prit sa revanche sur le tard avec un best-seller, De Gaulle mon père, version très personnelle du grand homme, qui captiva le grand public mais le fâcha avec les historiens patentés.
Mort dans la nuit du 12 au mardi 13 mars à l’âge de 102 ans, l’amiral Philippe de Gaulle était né dans la capitale le 28 décembre 1921.
Il est le premier enfant d’Yvonne Vendroux et du capitaine Charles de Gaulle, blessé à Verdun en 1916, qui enseigne à l’époque à Saint-Cyr. Contrairement à une légende tenace, Philippe de Gaulle n’est pas le filleul de Philippe Pétain. Mais celui-ci tient Charles de Gaulle en haute estime. En témoignage de leurs liens, qui remontent à 1912, le Maréchal dédicacera sa photo au nouveau-né avec ces mots : « Au jeune Philippe qui marchera, je l’espère, sur les traces de son père. »
Croix de guerre, grand-croix de la Légion d’honneur
Dès le berceau, l’histoire guettait Philippe de Gaulle. Elle entre définitivement dans sa vie le 19 juin 1940 lorsque, accompagné de sa mère et de ses deux sœurs, il débarque sur la côte anglaise dans l’espoir d’y retrouver son père dont ils ont perdu la trace. C’est en ouvrant le journal local qu’ils apprendront qu’un général de brigade français du nom de Charles de Gaulle a lancé la veille, au micro de la BBC, un appel à la résistance contre l’occupant.
Philipe de Gaulle a 18 ans.
C’est un jeune homme longiligne, au visage glabre, qui a eu du mal à convaincre son père de le laisser préparer Navale au collège Stanislas à Paris, où il vient de passer son bac. Le colonel de Gaulle aurait préféré le voir embrasser la carrière diplomatique, sous prétexte qu’il n’est « guère avantageux pour une famille d’avoir en son sein trop de militaires ».
Il finira sa vie militaire en 1982 comme amiral inspecteur général de la marine.
Croix de guerre, grand-croix de la Légion d’honneur, il n’était pas compagnon de la Libération. Un « oubli » dont son père s’était justifié : « Naturellement, je ne pouvais pas, toi mon fils, te faire compagnon de la Libération. Sinon à titre posthume ou si tu étais revenu gravement mutilé, et encore ! » Avant d’ajouter sur le même ton : « De toute façon, tout le monde sait que tu fus mon premier compagnon. »
Etre le fils d’un tel père
Philippe de Gaulle s’agaçait d’être considéré comme un « fils d’archevêque », comme quelqu’un qui doit sa carrière à la position de papa. Au petit jeu des médisances il hérita, pour des raisons obscures, du sobriquet de Sosthène et souffrit longtemps des jalousies suscitées par une destinée hors du commun qui n’était pas la sienne.
C’est ainsi que Philippe de Gaulle devint contre-amiral en septembre 1971. Et qu’en rétribution de la même dette, Jacques Chirac le fit plus tard sénateur de Paris, un siège que Philippe de Gaulle occupa sous l’étiquette RPR puis UMP de 1986 à 2004.
Heurs et malheurs d’être le fils d’un tel père. Un père intimidant et inflexible, même dans l’intimité familiale. Un père attentif à l’éducation de ses enfants mais lointain, peu présent, tout à son destin et à celui de la France. Dès son plus jeune âge, Philippe de Gaulle comprit qu’il ne partagerait jamais la familiarité du grand homme.
« Après m’avoir embrassé, ce qu’il fait rarement, il me renvoie au bout d’un quart d’heure… » Combien de fois dut-il se contenter de cette affection mesurée, malgré les formes que son père y mettait en l’appelant « cher vieux garçon » ?
Héritier du droit moral attaché à l’œuvre du Général
Il est l’aîné mais il n’est pas le préféré. La tendresse de Charles de Gaulle va d’abord à sa fille Anne, trisomique, qui mourra à 20 ans, en 1948. Et dans l’étroit cercle familial, Philippe de Gaulle doit compter avec Alain de Boissieu, l’époux de sa sœur Elisabeth. Lui est compagnon de la Libération. Il sera chef d’état-major de l’armée de terre et grand chancelier de la Légion d’honneur.
En hommage au disparu, des milliers de rues et d’établissements scolaires sont baptisés « Charles-de-Gaulle » après la mort de celui-ci. En 1990 encore, c’est presque tous les jours que Philippe de Gaulle est invité à honorer de sa présence l’inauguration d’un collège, une cérémonie ou un colloque.
Il est d’autant plus sollicité que, les années passant, sa ressemblance avec le Général est devenue criante. Même stature gothique, même nez « cyranoesque » – une expression de son père –, même soupçon de moustache et paupières tombantes.
Des Mémoires passés inaperçus
Lui qui s’était longtemps opposé à toute représentation figurative du Général fait une exception pour la statue qui est érigée au bas des Champs-Elysées, non loin de celles de Churchill et de Clemenceau. Il publie de nombreux ouvrages. D’abord les treize volumes des Lettres, notes et carnets de son père (tous chez Plon comme les autres livres de Philippe de Gaulle). Puis un album de photos tirées des archives familiales, De Gaulle (1989).
Enfin ses propres souvenirs, sous un titre en forme de constat : Mémoires accessoires (deux volumes, 1997 et 2000).
Ses entretiens avec Michel Tauriac pour De Gaulle mon père rencontrent, eux, un immense succès.
Il s’en vend, selon ses éditeurs, huit cent mille exemplaires au total plus quatre-vingt mille en poche (Pocket). Dans la foulée, il publiera en 2006, toujours avec Michel Tauriac, un nouvel album de photos, Mon père en images (Michel Lafont).
Avec De Gaulle mon père, Philippe de Gaulle accède, satisfait, à la notoriété.
A plus de 80 ans, il court les studios de radio et de télévision, papote avec Arielle Dombasle, se fait chambrer par Thierry Ardisson et cajoler par Michel Drucker. Il fait tant la roue, il ressemble tant à son père que des fidèles du Général crient à la trahison.
De Gaulle mon père lève le voile sur un pan caché de la vie du fondateur de la Ve République – le mari, le père, le grand-père. L’homme privé y gagne en précisions – on en ignorait presque tout. Philippe de Gaulle y dépeint le Général jetant un jour, de mépris, Le Monde dans sa corbeille à papiers. Il révèle que son père « adorait les choucroutes bien garnies ».
Et qu’il faisait rire ses petits-enfants, qu’il chérissait, avec cette devinette : « De quelle couleur sont les petits pois ? Les petits poissons rouges ! »
Puis la querelle s’apaisa. Au soir de sa vie, Philippe de Gaulle était plus économe de ses apparitions, même s’il honorait de sa présence les hommages que la République rendaient au grand homme, à ce père si différent.
lemonde